Les 5 et 6 mars 2019, l’AfVT a organisé en collaboration avec le service de prévention de la mairie de l’Isle d’Abeau (académie de Grenoble) une rencontre entre les élèves du lycée Philibert Delorme et Zakia Bonnet, victime d’un attentat le 26 février 2007 en Arabie Saoudite, et Georges Salines, ancien président de l’association 13Onze15 et père de Lola, victime du Bataclan le 13 novembre 2015.
Ces rencontres ont été l’occasion pour les intervenants de raconter leur histoire.
Zakia Bonnet raconte, avec une voix emplie d’émotion, comment en 2007 son fils Romain et son mari l’ont protégée des balles tirées par des terroristes qui les visaient alors qu’ils faisaient un pique-nique avec deux autres familles d’expatriés avant de se rendre pour un pèlerinage à la Mecque. La violence de la scène continue après l’attentat puisque n’ayant pas le droit de conduire en Arabie Saoudite, elle a dû violer la loi pour déposer son fils blessé à l’hôpital le plus proche. Il décèdera 16 heures plus tard d’une hémorragie, n’ayant pas reçu les soins nécessaires car il avait été déposé par une femme.
George Salines commence sa prise de parole par une présentation de sa fille Lola. De sa naissance, sa vie en Martinique, en Egypte, son arrivée à Paris, ses questionnements sur son avenir, ses stages, ses études, sa passion pour le sport et le roller Derby à ses dessins, Georges dresse aux lycéens un portrait très fidèle et vivant de sa fille. Jusqu’à ce que celle-ci ne perde la vie de deux balles dans le corps alors qu’elle dansait au Bataclan le 13 novembre 2015.
Comme le dit très justement Georges Salines, ce n’est ici que la présentation de quelques victimes d’attentats mais plus de 130 personnes ont perdu la vie le 13 novembre et 587 à Mogadiscio le 14 octobre 2017.
La rencontre se poursuit avec un temps d’échange autour de grandes thématiques telles que les liens entre terrorisme et religion, à travers l’exemple de citations d’incitation à la haine puis à la tolérance dans le Coran et l’Ancien testament, la présentation de terroristes non islamistes mais également des dérives de la désinformation sur internet et les critiques virulentes à l’encontre de victimes du terrorisme s’étant publiquement positionnées pour la tolérance.
Survivre
Voici une sélection des questions posées par les élèves :
Elève : Les critiques sur les réseaux sociaux continuent-elles ?
Georges Salines (GS) : S’exprimer sur les réseaux sociaux est un choix et est un outil très puissant lorsque vous commencez à avoir une certaine audience.
Elèves : Comment arrivez-vous à continuer à vivre après ce qui vous est arrivé ?
Zakia Bonnet (ZB) : Pour moi, on arrive tout seul à l’aéroport, on se débrouille, c’est un combat qui est différent. C’est ce qui a fait que les associations travaillent pour améliorer ces situations. Ce qui m’a aidée jusqu’en 2011, ce sont des jeunes comme toi, les copains et copines de mon fils. Pourquoi vont-ils arrêter leur vie aujourd’hui ? Car leur ami qu’ils adoraient est parti ? Non. Quand tu rentres chez toi, il n’y a personne qui t’attend. Et en 2011, j’ai jeté l’éponge. Puis, j’ai entamé ma procédure d’adoption pour une petite fille qui était entre la vie et la mort.
GS : Moi, je pense qu’il y a différentes manières de continuer à vivre mais je pense surtout que le point commun des gens qui réussissent à survivre, c’est car leur besoin de vivre pour les autres. J’avais encore deux fils et une femme qui avaient besoin de moi. Les amis de ma fille sont devenus mes enfants. Ma fille fréquentait beaucoup les festivals de rock et tous les ans depuis 2015, on fait le LFS [Lola fucking salines]. L’isolement c’est terrible, les gens seuls face au deuil ont énormément de mal à s’en sortir.
Elève : Je sais que moi, si je perdais un membre de ma famille, je n’arriverais pas à m’en remettre.
ZB : Ce que je vais vous dire va vous choquer, mais je suis morte en 2007. Mais ma respiration continue pour vous. Jusqu’à ce que j’aie la responsabilité de ma fille, je me fichais de ce qu’il pouvait m’arriver. Et je me suis dit voilà, je suis allée la chercher. Il faut que je lutte contre la violence et cette violence ça commence tout petit et la mayonnaise monte. Je lutte vraiment contre cette violence avec les tous petits. On est comme une plante, on nourrit le mal et on nourrit le bien.
GS : Se remettre debout, c’est décider de continuer à vivre. Lola est toujours avec moi, son souvenir fait complètement partie de ma vie. Elle a eu une vie de 28 ans, très courte, mais elle a été très heureuse.
Elève : Madame Bonnet, avez-vous été touchée et comment avez-vous fait pour rentrer ?
ZB : Oui, j’ai été touchée au niveau du bras et je souffre d’une douleur continue qui ne s’explique pas. Au moment où l’attentat s’est produit, il était 13h47, je n’avais pas le droit de conduire et mon mari était mort. J’ai repris mon fils dans la voiture car j’étais à 5 min de l’hôpital. Quand je suis arrivée, la première question qui m’a été posée était « qui conduisait ? ». Le médecin ne voulait pas me parler car j’étais une femme. J’ai essayé de joindre l’ambassade de France mais n’ai pas eu de réponse. C’est l’ambassade de Belgique qui m’a reçue. J’ai revu le médecin un an après qui m’a dit que mon fils aurait pu vivre et qu’il était mort d’une longue hémorragie.
J’avais 48 heures pour quitter le territoire. En arrivant en France, on m’a dit qu’on ne ferait rien pour moi car il y avait trop d’intérêts politiques et financiers. L’enfant que je portais, je l’ai enterré plus tard. Il m’a fallu 11 ans de combats avec 4 présidents différents. Aujourd’hui, il ne me reste qu’un article de journal. Je n’ai pas de dossier médical, je n’ai pas de dossier judiciaire.
Que faire contre la violence ?
Elève : Après le jugement, que sont devenus les terroristes ?
ZB : Deux ont été condamnés à mort, un s’est suicidé lors de son arrestation. Les autres ont été condamnés à des peines allant de 3 à 28 ans. Certaines personnes m’ont dit que la condamnation à mort allait me faire du bien. J’ai répondu que non, ma famille ne reviendra pas et une autre maman, d’autres frères et sœurs vont être malheureux car ils vont perdre quelqu’un.
GS : Cela n’est pas facile à comprendre pour tout le monde mais cela a à voir avec la question du pardon. Je n’ai jamais pardonné à quiconque. Les assassins de ma fille sont morts, mais pour pouvoir pardonner, il faut que l’individu vous le demande. Il faut une démarche de repentance et si on applique la peine de mort, cette personne ne pourra jamais faire cette démarche. Après 30 ans de prison je pense que des gens peuvent changer et je pense que la victime, quand le bourreau est en prison, garde le pouvoir de lui pardonner ou non.
ZB : Moi j’ai une question à vous poser. Comment comptez-vous lutter contre ce fléau ? Contre la violence ?
Elève : On ne peut pas changer les gens.
ZB : Lorsque j’ai rencontré les terroristes, j’ai assisté uniquement au verdict. Ils étaient aussi violents et haineux que le jour où ils nous ont tiré dessus et je me suis posé la même question: ils ne peuvent pas changer. Ce qui change ce n’est pas eux, c’est l’entourage. Quand on te gifle et que tu souries, tu ne nourris pas l’agressivité.
GS : Nous vivons dans un monde qui est de moins en moins violent. Il est beaucoup trop violent mais en même temps, nous sommes de plus en plus horrifiés par la violence, mais en fait globalement elle diminue. Avant la seconde guerre mondiale, l’Europe était en guerre en permanence. On parle des gilets jaunes, des violences policières, mais il faut se souvenir qu’en 1950, en France, à chaque manifestation, il y avait des morts. Nous pouvons également tout simplement tenter de lutter contre la violence qui est en nous.
Elève : Je vous remercie pour ces interventions et le courage dont vous faite preuve. Je trouve que nous ne parlons pas assez souvent de ces problèmes. Je trouve qu’on devrait tous nous faire lire la Bible et le Coran
GS : Charb avait une phrase que j’aime beaucoup : « le problème ce n’est ni la Torah ni la Bible ni le Coran, mais les gens qui utilisent ces textes comme une notice IKEA ». Les textes religieux ont été écrits dans un certain contexte, il ne faut pas l’oublier.
ZB : Je suis d’accord et pense qu’il faut une ouverture sur toutes les religions.
Emilie, intervenante prévention : Nous venons de vous parler d’analyser, réfléchir, renseigner, mais moi, comme agent de prévention, je constate que vous ne savez pas vivre ensemble notamment pour des raisons de religion, d’image… ce qui conduit à la violence. Nous souhaitons vous faire réfléchir sur votre vivre ensemble, les conséquences dramatiques que peuvent avoir le fait de ne pas être accepté et de ne pas accepter l’autre.
Intervention d’un professeur : Vous nous interrogez sur ce que les élèves font pour lutter contre cette violence ? Personnellement, j’ai grandi dans un quartier à Grenoble : à cause de la rivalité entre quartiers, j’ai perdu beaucoup d’amis qui sont soit en prison soit morts. Je pense que le problème est surtout celui-là : le manque de respect des uns pour les autres. J’essaie de lutter dans les quartiers contre l’absence de culture, de connaissances car il y a des personnes qui essaient de recruter des futurs djihadistes et il y a déjà eu des menaces.
L’AfVT remercie chaleureusement Zakia Bonnet et Georges Salines pour leur intervention ainsi qu’Emilie et Laurine du Service Prévention de l’Isle d’Abeau.