Quelle doit-être la portée d’un procès pour terrorisme ? Si la punition des coupables semble être évidente, la réparation des victimes peut-elle l’être également ? Nadia Mondeguer et Aurélie Silvestre ont beaucoup perdu le soir du 13 novembre 2015 : un enfant pour l’une, son compagnon pour l’autre. La simple délibération de magistrats peut-elle consoler une telle perte ? À moins que ce ne soit pas la délibération que viennent chercher les parties civiles au procès ?
Les Terminales du Lycée les Trois Sources de Bourg-lès-Valence qui travaillent avec leurs professeures sur la Justice et le droit en démocratie ont eu l’occasion de poser toutes ces questions à nos témoins mardi 19 mars. Qu’en est-il ressorti ?
Un procès pour la Justice
Lundi 18 mars, 9h00, nous retrouvons Nadia Mondeguer gare de Lyon, direction Valence. Les élèves du Lycée les Trois Sources nous y attendent. Ils ont visionné les deux documentaires de Vincent Nouzille sur le procès des attentats du 13 novembre 2015 (L’audience est ouverte ; L’audience est levée) et débordent de questions à poser à nos témoins (Nadia, Aurélie et Vincent Nouzille). Nous arrivons à destination à midi, à peine le temps de déjeuner que nous sommes déjà en route vers le lycée, pour une séance de préparation avec les élèves.
Les professeures en charge des trois classes qui nous sont confiées ont bien préparé le travail en amont : les élèves connaissent le déroulement d’un procès en cour d’assises. Ils ont même assisté à un procès pour féminicide au tribunal de Valence quelques mois plus tôt. Ils saisissent donc le rôle des différents acteurs d’un procès ainsi que la répartition des interventions. Ils savent également qu’à la différence des procès pour des crimes de droit commun, le juré est composé uniquement de magistrats et non de citoyens lambdas.
Ces élèves de terminale, dont un grand nombre a pour spécialité l’HGGSP, maîtrisent également les grands enjeux d’un Etat de droit. Ils ne voient donc aucun problème à ce que les accusés aient le droit à une défense. Une défense des avocats qui ne témoigne en rien d’un laxisme de notre système de justice. Mais au contraire, de sa rigueur dans son travail de manifestation de la vérité, utile aux magistrats ainsi qu’aux victimes. Il est primordial d’expliquer aux élèves toute la nuance entre chercher à comprendre ces actes et les excuser.
Un procès pour la reconnaissance des victimes.
Mais un procès ce n’est pas uniquement l’occasion de punir celui qui a commis un crime, c’est aussi (et peut être même avant tout) l’occasion de reconnaître comme victime celui ou celle qui a subi un préjudice. La manifestation de la vérité est nécessaire pour établir une peine cohérente avec l’acte commis, mais elle est aussi essentielle aux victimes qui revendiquent leur besoin de comprendre pourquoi elles ont subi de telles atrocités. Le procès est pour beaucoup de victimes une étape importante, et même sine qua non de la reconstruction de soi. Nadia Mondeguer, qui a perdu sa fille Lamia à la terrasse de La Belle Équipe, exprime ce besoin de compréhension au début du documentaire de Vincent Nouzille, lorsqu’elle s’adresse fictivement aux accusés : « Je veux savoir qui tu es, d’où tu viens, comment tu es, pourquoi tu as fait ça ? ». Les élèves qui ont déjà vu le documentaire, prennent le temps de la découvrir davantage avant la rencontre, au travers d’extraits de l’ouvrage V13 d’Emmanuel Carrère.
Un procès pour la mémoire des victimes
Avec nous, le lendemain, sera également présente Aurélie Silvestre, dont le compagnon, Matthieu, a été tué au Bataclan alors qu’ils attendaient l’arrivée de leur deuxième enfant. Chantal la présente aux lycéens en leur faisant lire sa déposition. Une déposition dans laquelle elle évoque ses enfants, ce qui soulève une question difficile : comment expliquer à des enfants en bas-âge que leur père est mort dans un attentat terroriste ? Ce n’est déjà pas une mince affaire que d’expliquer la mort d’un parent à un enfant, mais comment de surcroît faire comprendre toute la spécificité de celle-ci ? Le procès et ses archives permettent de conserver une mémoire de cet attentat qui sera sûrement utile aux enfants des victimes lorsqu’elles grandiront.
À la fin de la préparation certains lycéens avouent à Chantal être impressionnés par nos témoins ainsi que leur appréhension du témoignage du lendemain. Nous les rassurons, il est normal de craindre d’être maladroit quand on s’adresse à une victime. Mais nos témoins n’en sont pas à leur coup d’essai, ils aiment venir à la rencontre des jeunes pour partager un moment avec eux en répondant à leurs interrogations. Et ces moments de partage, ils consistent peut-être en l’ultime étape de la reconstruction de soi pour les victimes du terrorisme : celle de la transmission de la mémoire.
Comment vit-on un procès pour terrorisme ?
Mardi 19 mars, 11h00, nous retrouvons Aurélie Silvestre et Vincent Nouzille qui viennent tout juste d’arriver à Valence. Direction le lycée pour un moment d’échange avec les élèves. Après un déjeuner à débriefer entre témoins et professeures ce qui a été retenu de la préparation de la veille, nous nous dirigeons vers la salle de classe où aura lieu l’échange. Peu à peu, les élèves qui se font discrets, entrent et s’installent.
Après la présentation des victimes, commence un débat sur le rôle du procès pour celles-ci. Lorsqu’un élève demande à Nadia si le procès lui a apporté toutes les réponses qu’elle souhaitait, celle-ci exprime une certaine frustration. Ayant suivi l’enquête en amont, le procès ne lui en a pas appris davantage. Elle rappelle que les auteurs directs des attentats sont presque tous décédés, et que les accusés présents au procès ne sont pas les assaillants. Pour une victime comme elle qui cherche à comprendre comment un individu parvient à commettre de telles atrocités, il aurait été plus intéressant de pouvoir confronter les assassins. De plus, lorsqu’on lui demande s’il existe des éléments qu’elle aurait aimé voir le juge abordé lors du procès, elle nous dit regretter ne pas avoir évoqué la situation géopolitique dans laquelle s’inscrivent ces faits. Il est vrai que l’un des terroristes présents au Bataclan a prononcé la phrase suivante lors de l’assaut : « Pourquoi on fait ça ? Vous bombardez nos frères en Syrie, en Irak. (…) Vous pourrez vous en prendre qu’à votre président, François Hollande. » La phrase est simpliste ; cependant le contexte géopolitique, lui, est complexe et aurait mérité d’être abordé plus longuement.
Mais chaque victime vit son traumatisme de manière singulière, et contrairement à Nadia, Aurélie fait part aux élèves d’éléments qu’elle aurait préféré ne pas entendre lors du procès notamment les détails et la pluralité des souffrances endurées à l’intérieur du Bataclan.
L’après-procès, entre « appréhension et soulagement ».
Néanmoins, les deux se rejoignent dans leur description de la vie après le procès. Elles décrivent un mélange d’émotions. Cela commence par de l’appréhension : après 10 mois à se rendre quotidiennement au palais de justice comment reprendre un train de vie plus normale ? Elles ont attendu pendant 6 ans que ce procès ait lieu, mais ont-elles eu le temps de penser à leur vie après celui-ci ? Fort heureusement, l’émotion qui prend le dessus à la fin d’un tel procès est le soulagement. Après avoir ressenti une déconnexion avec son entourage qui ne pouvait comprendre pourquoi Aurélie souhaitait continuer d’assister au procès après sa déposition, elle est contente de pouvoir à nouveau reprendre un train de vie plus normale.
Témoigner pour la postérité
L’échange se conclut par une question sur l’essence même de la présence de Nadia, Aurélie et Chantal parmi les lycéens. Pourquoi font-elles tout cela ? Chacune, forte de son histoire personnelle, à ses propres motivations pour dialoguer avec les élèves.
Nadia le fait pour son mari Jean-François, il tenait à témoigner devant les lycéens pour leur transmettre la mémoire de ces attentats. Depuis son décès, c’est elle qui a pris la relève. De son côté, Aurélie s’est rendu compte au procès de l’importance du témoignage ; auparavant, elle n’avait pas envisagé transmettre son vécu. L’expérience lui a également enseigné la force qu’a la parole pour contrer des idéologies dangereuses. Elle témoigne aussi pour elle, échanger avec les élèves a une vertu thérapeutique pour les victimes : raconter, c’est accepter, s’approprier sa vie, aussi invraisemblable qu’elle nous semble.
Chantal, a un statut quelque peu particulier durant ces rencontres, elle se trouve à l’intersection de sa mission de professeure et de son statut de mère d’une victime de terrorisme. Sa fille avait approximativement l’âge des lycéens lorsqu’elle a été blessée dans un attentat au Caire en 2009. C’est l’âge de « la vie devant soi », l’âge où l’on se laisse parfois aller à la facilité des idées les plus radicales et violentes. C’est pourquoi il est essentiel d’accompagner cette jeunesse dans une réflexion exigeante et de partager avec les valeurs humanistes.
Les élèves du lycée Les Trois Sources ont parfaitement reçu ces trois messages et nous leur en sommes reconnaissants.
MERCI
Aux trois intervenants Nadia, Aurélie et Vincent.
Aux élèves du lycée Les Trois Sources
À leurs professeures Stéphanie Nersessian professeure d’histoire géographie ; Alexandra Renault professeure de philosophie et Fabienne Leclercq professeure documentaliste.
Par Titouan Le Flem, étudiant en Master à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et stagiaire à l’AfVT