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Corps tué, corps blessé, corps visé, corps réparé, les corps des victimes de terrorisme sont tantôt du côté de ce qui est visible et exhibé, tantôt du côté de l’intime ou du tabou.

Pourquoi, alors que l’attaque terroriste vécue reste profondément ancrée dans la mémoire des victimes, alors que les disparus restent profondément ancrés dans leur cœur, ont-ils besoin de les encrer/ancrer sur leur peau, dans leur chair ?

Mélanie Dizin, Helen Wilson et Jean-Claude Parent ont tenté de répondre à ces questions complexes que se posaient des lycéens de 2nde.

 

Contexte pédagogique

Le projet « Terrorisme : tatouer le corps » a été réalisé au lycée Lucie Aubrac de Courbevoie et s’intègre dans un projet plus global, pluridisciplinaire. Toute l’année, la classe travaille sur le corps, et aborde des sujets très divers afin de composer un livre, sous forme de BD, qui sera auto-édité en fin d’année. Par ailleurs ces élèves participent au jury qui décerne le prix du roman graphique des lycéens, à la suite duquel ils publieront leur propre livre, intitulé Le corps : un champ de bataille. Dans le cadre de ce projet, ils ont par exemple étudié L’Événement d’Annie Ernaux.

Le photographe Olivier Roller a publié en novembre 2022 un livre intitulé Bataclan, Mémoires – Photographies, récits, tatouages : Helen Wilson et Jean-Claude Parent font partie des trente survivants qui y figurent.

 

Le récit du corps

Mélanie, Helen et Jean-Claude sont tous les trois des rescapés, et tous les trois portent une mémoire difficile à transmettre : on peut parler des faits, mais comment parler avec justesse de tout ce que l’on a perdu d’un seul coup ? Un amour, une meilleure amie d’enfance, des personnes qu’on ne connaissait peut-être pas mais qui meurent dans des conditions si brutales à vos côtés ? Que dire des blessures du corps que les autres ne voient pas ou de la légèreté de vivre que l’on a perdue ?

Peut-être alors préfère-t-on exprimer tout cela qui manque de mots par le tatouage, pour que la chair en soit marquée, et pour qu’elle en porte visiblement les marques.

Ils expliquent calmement aux élèves pourquoi ils ont tatoué leurs corps de signes, de dessins, de lettres, de couleurs qui expriment l’attentat qui ne les a pas tués.

Mélanie Dizin a été blessée lors de l’attentat à la bombe qui a eu lieu au Caire le 22 février 2009, elle avait 17 ans, et son amie d’enfance, Cécile, y a perdu la vie. Sur son poignet, deux lettres Majuscules, C comme Cécile et M comme Mélanie : « je suis tombée dans les pommes pendant le tatouage du C », raconte-t-elle.

Jean-Claude est sorti sans blessure physique du Bataclan, et ne raconte pas ce qu’il a vu, on comprend seulement que le temps passé sous les balles est devenu une éternité, et qu’il lui fallait la graver dans sa chair. Parce qu’il a emprunté la sortie de secours sur laquelle, une nuit, l’artiste Banksy a peint une silhouette tête baissée, il part en Corse et demande à un tatoueur de Calvi de la lui tatouer sur le bras gauche. « Nos corps ont été visés aussi ».

Helen Wilson a été très grièvement blessée au Bataclan et son amour Nick Alexander rend son dernier souffle dans ses bras. Alors elle se fait tatouer des fleurs rouges, des lettres (Nick Alexander Music Trust), une étoile qui veille sur elle.

 

Souffrir

Question d’un élève : Pourquoi alors que votre corps a souffert, avez-vous subi la douleur du tatouage ?

JC : Je voulais connaître la souffrance. Le tatouage du personnage de Banksy a exigé deux séances de 7 ou 8 heures. J’avais aussi besoin que cela reste afin de me souvenir de la douleur de ceux qui ont pris des balles.

Mélanie : C’est en relation avec ma meilleure amie, Cécile.  Nous nous étions promis l’une à l’autre de nous faire tatouer lorsque nous aurions 18 ans : j’ai tenu ma promesse. Ensuite je veux me rappeler la chance d’avoir survécu.

Helen : Souffrir est aussi un hommage à Nick, et le tatouage c’est mieux que la drogue ou l’alcool.  Après l’attentat, je voulais mourir. Faire un tatouage est douloureux et cela m’a donné envie de vivre.

 

Vivre … autrement

Question : Vous êtes passés à ça de la mort ; avez-vous une vision différente de la vie ?

Mélanie : Après l’attentat, je ne supportais plus les gens de mon âge, j’ai laissé de côté ma jeunesse.

Helen : Je vois clairement à quel point la vie est magnifique et ce qu’est l’amour pour soi-même, et pour les autres. J’ai maintenant une vie beaucoup plus calme et beaucoup plus saine.

JC : Après l’attentat, j’étais dans tous les excès, je voulais vivre dix fois plus qu’avant. Je faisais n’importe quoi. Maintenant, je ne vois plus que les côtés positifs. Je vis la vie à pleines dents, mais sans excès. J’ai extirpé des attentats du positif, de belles rencontres.

 

Mourir et revivre

Question : Avez-vous autant peur de la mort ?

Helen et JC : Je n’ai pas peur.

Mélanie : J’ai moins peur.

Question : Est-ce que, si vous aviez le choix, vous revivriez cela ?

JC : Je ne laisse ma place à personne d’autre.

 

Les planches du roman graphique des lycéens

Ils ont compris le message, ils écrivent :

 

Merci

À nos trois témoins, Mélanie, Helen et Jean-Claude

Aux élèves de Seconde 9 du lycée Lucie Aubrac de Courbevoie

À Sophie Davieau, leur professeure

À nos partenaires, la Région Île-de-France et la CAF 92

 

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