India, Lily, Lauryne et Mirana sont quatre élèves de Première ES du lycée Emilie Brontë de Lognes (77) et pour leur T.P.E., elles ont choisi le thème Agir pour son avenir et ont fait appel au pôle éducatif de l’AfVT. Voici ce qu’elles écrivent :
A l’occasion de notre TPE portant sur l’étude du terrorisme et des jeunes, dont la problématique est “Comment la société s’organise-t-elle pour protéger les jeunes face au terrorisme ?”, nous avons contacté l’AfVT tout d’abord afin de poser des questions pour enrichir nos recherches.
A la suite d’un entretien téléphonique, nous avons demandé à Aurélia van Kote si l’association pouvait intervenir dans notre classe auprès de tous nos camarades au sein notre lycée. Notre demande a été acceptée et nous nous sommes rendues tout début janvier, le 2, pour présenter notre projet et discuter de l’organisation de l’intervention.
Le vendredi 22 janvier, trois intervenants se sont alors présentés à notre classe de 1ère ES:
Mélanie Berthouloux-Dizin est une victime de l’attentat du 22 février 2009 du Caire, en Egypte. Elle avait seulement 17 ans au moment des faits, était en Terminale et était partie en colonie de vacances ; le dernier jour du séjour, le groupe fut victime d’un attentat à la bombe au Caire. Cette explosion a causé le décès de sa meilleure amie, Cécile Vannier ; quant à Mélanie elle a subi de lourds traumatismes physiques et psychologiques. Avant d’entrer dans l’association en 2009, après cet événement, elle n’est retournée au lycée que pour passer le baccalauréat et l’obtenir : elle a passé des mois dans la colère et la tristesse.
C’est 3 ans après les faits qu’elle a pu trouver un travail. Aujourd’hui elle est de plus en plus impliquée dans l’association.
Mélanie est à la fois une victime directe de cet attentat puisqu’elle a été touchée au visage, ce qui lui vaudra trois opérations pour s’en remettre, mais également indirecte puisque sa meilleure amie y a perdu la vie.
Le deuxième intervenant, en tant que victime et fondateur de l’ AfVT, était Guillaume Denoix de Saint Marc. Son premier rapport avec les attaques terroristes s’est produit en 1981 en France lorsqu’il promenait un chien qui a reniflé un colis déposé devant un centre culturel arménien ; il a signalé ce colis au concierge de l’immeuble voisin et c’est en rentrant chez lui qu’il a entendu une explosion : “C’est la première fois que le terrorisme a frappé à ma porte. Le gardien en touchant le colis est mort. Mes parents m’ont dit de ne pas m’en préoccuper : « occupe-toi de ton bac ! » “ .
La seconde fois, c’est à la radio qu’il entendit que l’avion de son père, un DC-10 de la compagnie française UTA, avait disparu des écrans de contrôle alors qu’il survolait le Niger le 19 septembre 1989. À son bord, 170 passagers. Il a fallu 48h pour être sûr qu’il n’y avait aucun survivant. C’est alors que son monde s’écroule. Il essaye pourtant de reprendre une vie normale durant laquelle il survit mais ne vit pas.
Il a été le principal négociateur, pendant deux ans, avec la Jamahiriya arabe libyenne pour l’indemnisation des ayants droits des victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA, vol 772 UTA où son père a trouvé la mort.
La troisième personne était Chantal Anglade, professeure de Lettres modernes mise à disposition auprès de l’AfVT et victime indirecte du terrorisme, sa fille ayant été blessé dans l’attentat du Caire qui a touché Mélanie.
A la suite de leur témoignage, un échange animé par Chantal Anglade s’est déroulé entre les élèves et les intervenants. Voici les questions des lycéens :
Paul : La reconstruction a-t-elle été longue après la mort de votre père ?
Guillaume: Il m’a fallu 10 ans pour pouvoir avoir de nouveaux projets. Avant, j’étais victime de ma propre situation. Ce n’est qu’après avoir négocié avec Seif Al-Islam, le fils du colonel Mouammar Kadhafi, que j’ai pu devenir le moteur de ma situation.
Si une victime ne veut pas sortir de son rôle, on ne peut rien y faire ; on a le choix, on choisit ce que l’on veut faire de notre vie. Même si, à l’époque, être victime d’attentat était mal vu par la société, il ne fallait pas s’attendre à ce que quelqu’un agisse à notre place. Et pour cela, il faut créer les conditions où l’individu se sent le mieux.
Nour : Savez-vous quelles étaient les revendications des terroristes du Caire ?
Mélanie: Selon Le Canard enchaîné, cet acte aurait été commis à cause de la présence militaire française dans les eaux de Gaza, en Palestine. Les revendications des terroristes peuvent être explicites, ou implicites comme ici.
Paul : Avez-vous eu des appréhensions avant l’échange avec Seif Al-Islam ?
Guillaume : Dans ma tête au début, tous les libyens étaient des terroristes. Je me suis préparé un an à l’avance. J’y suis donc allé en position de force, avec la tension diplomatique de la France derrière moi. Je représentais 100 victimes sur 170. Les négociations ont été très longues et j’ai dû faire 18 aller-retours entre la France et la Libye. C’est une négociation qui a été très médiatisée.
Là-bas, en Libye, un jour, dans un souk, un homme m’a murmuré à l’oreille “Je sais qui vous êtes et au nom de tous les Libyens je vous demande pardon” : c’est à partir de cet instant que j’ai pu me réconcilier avec les Libyens et ne pas voir seulement en eux que des terroristes.
Elie : Lorsque que vous avez rencontré le fils de Kadhafi , aviez-vous des envies de vengeance ?
Guillaume: Quand j’ai été sur le point de le rencontrer, oui, je voulais me venger. Je voulais acheter des poches de sang chez le boucher pour les lui jeter à la face, mais je ne l’ai pas fait, heureusement d’autant qu’à la vérité, nous lui devions l’hospitalité puisqu’il était chez nous. En revanche, j’étais très anxieux à l’idée de le voir, quand bien même son fils n’avait rien à voir avec l’attentat, car, lui, il n’avait rien fait. J’ai réussi à me retenir, il faut arriver à passer au-delà de la colère. Finalement, nous avons toujours été respectueux les uns envers les autres.
Steven : Ressentez-vous une certaine frustration en sachant que le dossier judiciaire n’est pas encore clos pour vous ? Pouvez-vous tourner la page ?
Mélanie: Oui, il y a une frustration car le dossier n’avance pas et nous ne connaissons toujours pas les auteurs de cet acte. C’est dur à dire mais je ne sais pas si j’aurais réagi de la même façon si ma meilleure amie n’était pas décédée.
Yasmine : Pendant la conférence, quelqu’un vous a-t-il empêché de parler ? qui était -ce et pourquoi ?
Guillaume: Lors de la conférence de Seif Al-Islam à Paris, il y avait plusieurs personnes qui posaient des questions. Je levais la main pour qu’on puisse m’interroger, mais personne ne le faisait, puisqu’à l’époque le dossier était clos. Quelqu’un à côté de moi avait une arme à feu dans sa poche. Il me le montrait discrètement pour me dissuader de prendre la parole. Finalement, à la fin de la conférence, lorsque tout le monde est parti vers le buffet, j’étais le seul à vouloir discuter avec Seif Al Islam. Seul son garde du corps était là. Et c’est ainsi que nous avons pu discuter.
Idriss: Avez-vous rencontré beaucoup de problèmes au cours des négociations ?
Guillaume: Cela a été un moment très épuisant et très long. J’étais chef d’entreprise, ma boîte a coulé à cause de ces négociations qui prenaient tout mon temps. Tout s’est écroulé autour de moi. Je n’avais donc plus beaucoup de revenus, j’ai dû emprunter de l’argent. C’était aussi dur physiquement que psychologiquement. Pendant les négociations, un « jeu » s’est installé entre Seif Al Islam, ses hommes et nous : les premiers qui demandaient une pause devaient accepter les requêtes des autres, nous étions en position de force.
Lily: Pendant les négociations, avez-vous eu l’aide de l’Etat Français ?
Guillaume: Oui, j’étais hébergé chez l’ambassadeur et nous prenions l’avion du Président ou du Premier ministre de l’époque, puisqu’en parallèle il y avait également des négociations diplomatiques entre les deux pays. L’Etat français nous mettait une pression de plus en plus forte. Pour que la France n’applique pas son droit de veto, nous avons dû dire que nous acceptions la levée de la sanction de l’ONU.
Méline: Comment votre reconstruction s’est-elle refaite ?
Mélanie: Après l’attentat , je ne faisais plus rien, je restais chez moi, je ne me projetais pas dans le futur. À partir d’un moment, j’ai dû voir un psychologue qui m’a dit de me reposer. Cela a duré 1 an et demi. J’ai ensuite passé mon permis puis j’ai trouvé du travail à l’auto-école, où, depuis, je suis secrétaire. Ce travail m’a permis de m’ouvrir aux gens, j’ai par la suite rencontré mon mari. Nous avons eu une fille, je considère ainsi que ma « nouvelle vie » a débuté à sa naissance.
Nour: Le fait d’avoir intégré l’association, était-ce une forme d’hommage ou de deuil vis-à-vis des victimes ?
Chantal : Votre question est très bien formulée. Car l’expression “faire son deuil” que vous n’employez pas, est, au contraire, une formule que les victimes n’apprécient pas : elles ont une forme de fidélité envers les personnes tuées et ne souhaitent pas en faire le deuil, justement.
Mélanie : Je dirais un peu des deux, j’ai intégré l’association pour rendre hommage à ma meilleure amie et aux autres victimes, mais aussi pour moi-même, pour avoir de l’aide et pour pouvoir me reconstruire.
Guillaume: Pour ma part, créer cette association m’a permis de clôturer mon histoire douloureuse. Ensuite, la création d’un mémorial dans le désert du Ténéré au Niger, pendant 1 mois et demi, a été le point final de mon histoire personnelle : dans le silence du désert, la nuit, j’avais le sentiment que les défunts venaient me parler. C’est de moins en moins douloureux, mais ce n’est pas pour autant que je n’y pense pas.
Yasmine: Combien de victimes avez-vous aidées ?
Guillaume: Nous avons aidé plus de 2000 de victimes ; il y a des victimes avec lesquelles nous avons souvent des rendez-vous comme les victimes de récents attentats, comme Nice, Strasbourg, Paris ou en Belgique. En ce moment elles sont d’ailleurs en procès. Nous avons encore aujourd’hui des victimes d’attentats moins récents. Nous avons d’ailleurs des victimes de différents extrémismes : de droite, de gauche, de religion. Nous sommes d’ailleurs également en relation avec d’autres associations, notamment au Maroc, en Belgique, au Liban, au Kenya, en Somalie et en Australie. Cela montre que nous avons un réseau de victimes international, que peu importe l’origine des victimes, la douleur est la même partout.
Elie: Mélanie avez-vous eu le soutien diplomatique de l’état français ?
Mélanie: Lorsqu’un attentat a eu lieu en dehors de la France, il est difficile d’un point de vue diplomatique d’avoir une collaboration judiciaire, comme en Egypte. En effet il est difficile de collaborer avec un pays qui applique la peine de mort et la violence carcérale.
Lily: Après l’attentat de Nice, comment ça s’est passé …
Guillaume: Nous avons passé un accord avec un centre de crise qui était sur place, nous étions donc informés de ce qu’il se passait, nous n’avons donc pas eu besoin d’intervenir directement au tout début. Ensuite nous avons mis en place des aides pour les victimes et nous les retrouvons encore régulièrement.
Paul: Avez-vous, comme Mélanie, tenté de vous reconstruire en fondant une famille ?
Guillaume: Ma petite amie de l’époque de l’attentat, je ne la connaissais pas très bien, mais nous sommes restés ensemble 20 ans par simple compassion, c’est avec elle que j’ai passé toutes ses épreuves. Cependant nous n’avions pas la même vision de l’avenir, c’est pourquoi nous nous sommes séparés. Quelque temps après, j’ai épousé ma femme d’aujourd’hui. Mais à cause de cette période de ma vie, je n’ai pas pu avoir une vie “normale”. L’avoir rencontrée aussi tardivement nous a empêché d’avoir des enfants malheureusement. Avant j’étais simplement un survivant, maintenant je me sens vivant. Mais aujourd’hui je peux dire qu’avec cette association j’ai plein d’enfants par procuration.
Elie: Avez-vous eu un passé comme Mélanie? C’est à dire une période où vous ne faisiez rien.
Guillaume: Non, car j’étais hyper anxieux et hyper actif. Lorsque j’ai démissionné de mon travail, j’étais paniqué à l’idée de ne rien faire. J’ai alors créé une boutique de décorations africaines qui n’a d’ailleurs pas très bien marché.
Nour: Avant d’avoir créé l’association AfVT, il y avait d’autres associations d’aide aux victimes…
Guillaume: J’ai créé l’ AfVT parce que l’autre association, qui était à l’époque SOS attentat, fut dissoute. J’ai créé l’AfVT d’abord sans aucun moyen financier, à mon domicile.
Paul: Lorsque vous avez appris que Kadhafi était mort, avez-vous ressenti de la déception ?
Guillaume: J’ai ressenti beaucoup de déception, car il n’avait pas été jugé pour ses actes et qu’il était mort dans des circonstances atroces. J’étais dégouté.
Idriss: Avez rencontré des victimes qui refusaient d’être aidées ?
Guillaume : oui, surtout les victimes invisibles, c’est-à-dire celles qui ne sont blessées que psychologiquement. Il y a par exemple à Nice des personnes qui ont perdu leur emploi et se sont réfugiées dans l’alcool.
Lauryne: Depuis vos nombreux allers-retours pour négocier en Libye et la création de votre association, comment les gens vous perçoivent-ils?
Guillaume : Les gens me prenaient pour un fou, ma mère me disait que je m’embarquais dans quelque chose d’insensé. Maintenant les gens sont plus indifférents, ils me disent : « Oh, nous t’avons encore vu à la télé » et c’est tout.
Lily: A côté du soutien juridique, y a-t-il aussi un soutien psychologique?
Guillaume : Nous regroupons des victimes d’attentats différents afin qu’elles s’entraident et de se projettent au-delà. Concernant les enfants, nous avons mis en place un projet psychothérapeutique où nous leur faisons faire tout type d’ateliers (dessin, cuisine…). C’est un projet que nous utilisons beaucoup à Nice car beaucoup d’enfants ont été impactés par l’attaque terroriste. Concernant le projet pour les adolescents, nous nous sommes inspirés d’un projet pour orphelins aux Etats-Unis. Pour les adultes, nous avons un projet appelé Phoenix.
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Nous tenons sincèrement à remercier profondément toutes ces personnes qui nous ont permis d’apporter cette valeur personnelle à notre TPE. Nous vous sommes très reconnaissantes.
Chantal, Guillaume, Mélanie, Mathieu et Aurélia, merci à vous pour votre si grande gentillesse. Vous nous avez aidées pour que notre travail soit mené à bien et Chantal nous a accompagnées tout au long de ce beau parcours.
C’est par son intermédiaire que nous avons pu organiser cette intervention. Elle nous a conseillées et aidées tout au long de nos échanges jusqu’au dernier jour.
De notre côté, nous remercions India, Lily, Lauryne et Mirana pour leur esprit citoyen et toute la classe de 1ère ES qui s’est montrée à la fois attentive et très dynamique et nous souhaitons à tous une belle réussite cette année comme l’année prochaine au baccalauréat.