Rencontre avec Danièle Klein et Michel Catalano
Lycée Claude Bernard, Paris
Mardi 03 avril 2018
Lire l’article En attendant Danièle et Michel Catalano
Le mardi 03 avril 2018, les élèves de la classe médias, Danièle Klein et Michel Catalano ont un peu le tract – c’est la première fois que Danièle Klein témoigne devant des lycéens ; c’est la première fois que Michel témoigne en présence de sa fille, Marianne ; les élèves ont été filmés et deux petits films, montés par l’AfVT, sont projetés.
« Un moment assez extraordinaire » (Delphine Rachet)
Voici quelques mots que Delphine Rachet, professeure d’Histoire en charge de la classe Médias, nous adresse après la rencontre, ils en résument parfaitement l’atmosphère :
« Le 3 avril, mes élèves de la classe médias du lycée Claude Bernard à Paris rencontraient Danièle Klein et Michel Catalano dans le cadre d’un projet organisé avec l’AFVT.
Nous avions échangé avec Chantal Anglade et Danièle Klein en amont sur la préparation de cette rencontre et souhaitions mener une réflexion avec les élèves autour des médias et du traitement médiatique du terrorisme. Certes il y a eu un travail de réflexion, de recherche, de préparation, mais le plus marquant et le plus important, me semble-t-il, ont été ces moments d’échanges avec les élèves. Ces moments où nous espérions qu’ils allaient parler vraiment et parler vrai, qu’ils allaient évoquer leurs souvenirs, leur perception à eux de ces évènements, qu’ils comprennent que nous étions là juste pour entendre leur parole. J’ai aimé ces quelques instants parce qu’il y a eu entre eux des moments d’écoute et d’échange qui sortaient du cadre habituel.
Et puis, ce fut le moment de la rencontre avec Danièle et Michel. Les élèves avaient participé à une petite vidéo pour accueillir nos témoins où ils prononçaient à leur intention un simple mot et où ils évoquaient leur souvenir d’un attentat. Danièle et Michel prirent chacun leur tour la parole, témoignèrent et échangèrent avec eux. Combien aussi ai-je aimé voir quelques-uns d’entre eux retourner voir les deux témoins et leur parler, leur poser des questions, prolonger l’échange encore. Ce fut un moment assez extraordinaire, au sens propre du terme, un moment qui nous a tous sorti de l’ordinaire, tant parce qu’il évoquait des évènements que nous aimerions tellement ne jamais revoir, tant par l’intensité de ce qui se racontait, se pensait et j’espère se transmettait. Ce fut un moment rare. Rare par son intensité, rare parce que nous avons rencontré des personnes extraordinaires d’humanité et d’humanisme qui sont venues nous parler d’elles telles qu’elles étaient, qui se sont découvertes et ouvertes à nous, pourtant tous des inconnus. Elles ont partagé avec nous sans retenue ce qu’elles ressentaient, et écouté, répondu à chacun. J’ai compris après, combien ce qui m’avait émue et bouleversée était bien sûr ces morceaux de vie, l’émotion brute qui en émanait, mais surtout leur immense générosité à tous les deux. C’est de cela que j’aimerais tellement les remercier. »
« Les deux hommes de ma vie » (Daniel Klein)
Danièle Klein commence : elle est attachée de presse et donc particulièrement heureuse de s’adresser à des lycéens qui ont été sensibilisés au fonctionnement des médias ; pourtant, elle ne tient pas un discours professionnel et apporte un témoignage très personnel en révélant quels sont les deux hommes de sa vie.
Le premier homme de sa vie est son frère Jean-Pierre, tué dans l’attentat contre le DC10 UTA en septembre 1989, d’un an son aîné qui l’a protégée depuis qu’ils avaient perdu leur père quand Danièle avait 11 ans. Jean-Pierre pratiquait le foot, il était goal, et était passionné par le théâtre si bien qu’à 18 ans il laisse tomber la préparation du baccalauréat, prépare et réussit l’entrée au Conservatoire Nationale Supérieur d’Art Dramatique. On lui propose en 1989 de monter une pièce avec la Compagnie Nationale du Théâtre du Congo, ce qu’il fait avec passion.
Lorsqu’explose, au-dessus du désert du Ténéré, l’avion qui le ramène en France, pendant une journée et une nuit, 170 familles ne savent pas ce qui s’est passé ; elles apprennent cependant assez rapidement qu’il s’agit d’un attentat.
Les familles françaises doivent faire face aux médias, car pour incarner l’information il n’y a pas d’images sur place. Tandis que la mère de Danièle et Jean-Pierre est rapidement traumatisée par la pression des journalistes et photographes, Danièle Klein parle au contraire aux médias : souvent cela lui fait du bien, quelquefois c’est insupportable ; un journaliste qui cherche uniquement à faire du sensationnel un jour lui demande : « ça fait quoi de perdre son frère ? ».
Elle découvre le terrorisme et s’implique rapidement dans une association de victimes du terrorisme. Le juge Brugière désigne six libyens comme organisateurs de l’attentat qui seront condamnés par contumace en 1999. L’un d’eux, condamné à perpétuité, est le frère du Colonel Kadhafi ; aujourd’hui encore, il n’a toujours pas répondu de ses crimes, il est en liberté.
Danièle Klein conclue : « le premier homme de ma vie m’a fait un immense cadeau, je me suis mariée avec son meilleur ami, l’autre homme de ma vie ».
« Vous êtes dans le film que vous avez vu la veille » (Michel Catalano)
Michel Catalano témoigne ensuite en soulignant tout d’abord combien la parole des victimes est importante parce qu’elle incarne directement, sans passer ici par les médias, la réalité des drames vécus dans des vies singulières et ordinaires. Pourtant, il prévient : à chaque fois qu’il s’exprime, c’est une souffrance car tout ce qu’il a vécu « remonte » violemment. Ensuite, cela s’apaise.
2015 a été une année difficile, c’est peu dire ! Le mercredi 7 janvier 2015, c’est le massacre à Charlie-Hebdo et pour lui, cela se passait à l’autre bout du monde. Il écoutait les informations à la radio et c’était aussi le jour de son anniversaire. Le jeudi, son fils lui montre sur son portable la vidéo du policier abattu froidement par les terroristes, on saura très vite qu’il s’appelle Ahmed Merabet. Le vendredi matin, on sonne à la porte de son imprimerie, il ouvre, et se trouve face aux mêmes terroristes : cette apparition est d’une violence extrême, « vous êtes dans le film que vous avez vu la veille ! je retourne tout de suite voir Lilian – mon employé : il avait 26 ans, et des enfants ! Il était entré dans l’entreprise à l’âge de 19 ans – et lui dit de se cacher. J’allais à la mort, j’en étais sûr à cause des images de la veille ».
Quand Michel revient vers les terroristes, il est calme, serein même, il n’a plus peur, il a au moins sauvé Lilian. Il prend sur lui, converse avec eux, qui le vouvoient mais pointent à plusieurs reprises la kalachnikov sur lui. Il reste calme, il les soigne, il résiste pour sauvegarder la vie de Lilian, il ment et dit qu’il est seul, ment encore et dit qu’il n’a ni télé ni radio : ces mensonges lui procurent aujourd’hui des cauchemars, il rêve que ses mensonges sont découverts et que le scénario s’ensanglante.
Sa femme et ses enfants, ses amis ont tout vécu à distance et en suivant la télévision qui délivrent des informations sans filtre et fausses, et mentionnent pendant un moments deux morts à l’imprimerie. La télévision, ensuite, de janvier à avril, ni Michel ni sa famille ne la regardera plus.
En janvier, se gareront dans sa rue des voitures de journalistes du monde entier, son téléphone enregistrera le samedi 10 janvier 2 200 appels : « c’est un drame supplémentaire ! Nous, les victimes, on n’a rien demandé, contrairement à ceux qui participent volontairement à une télé-réalité.
Le samedi 10 janvier, Michel décide de parler pour que les journalistes ne disent pas n’importe quoi, mais son syndrome post-traumatique est immense et il pleure toutes les deux minutes.
Et depuis, chaque fois qu’un nouvel attentat se produit, il revit toutes ces scènes. Pourtant il va bien : « c’est comme avoir une cicatrice sur le visage et arriver à se regarder ».
Des questions
Alexandra à Michel : « Qu’avez-vous éprouvé face aux terroristes ? »
Michel : « Je suis demeuré calme. Si j’avais eu de la haine, j’aurais commis des erreurs. Quand ils me parlaient, j’avais l’impression d’être dans Matrix, j’analysais tout très vite. A la question « vous êtes juif ? », j’ai répondu en pesant mes mots : « je suis Français, d’origine italienne », une réponse qui se voulait un peu plus proche d’eux ».
Alexandra à Marianne, la fille de Michel : « Comment avez-vous vécu cette terrible journée ? »
Marianne : « J’apprends à 9h du matin que les terroristes sont dans l’imprimerie de mon père par sms alors que je suis en cours ! Je sors de la salle de classe, j’appelle, ma mère me dit que mon père est en vie. Je suis effondrée. Je ne verrai mon père qu’à 2h du matin ! »
Alex à Danièle : « Avez-vous maintenant la phobie de l’avion ? »
Danièle : « Longtemps, je ne pouvais pas même regarder un avion. Aujourd’hui, je le prends, mais j’ai peur de voyager et j’ai peur quand mes enfants voyagent.
Michel poursuit : « C’est une bonne question ! J’ai fait du parachutisme et du saut à l’élastique, je n’avais peur de rien avant. Maintenant, lorsque je suis dans un endroit d’où je ne peux sortir, j’ai des frissons d’angoisse dans le dos. Par exemple, j’ai été invité au match Barça-PSG, on pensait me faire plaisir mais en réalité j’avais envie de partir en courant ».
Alex : « Que diriez-vous aux responsables des attentas si vous le pouviez ?
Danièle : « Kadhafi est mort dans des circonstances terrifiantes, il est mort comme il a vécu, dans la pire violence, et je ressentais presque de l’indifférence. Ce qui m’intéresse, c’est la Justice, c’est que les responsables soient jugés ».
Michel : « J’ai réfléchi : la haine entraîne la haine … »
Un élève à Michel demande si son entreprise marche mieux qu’avant : « Les employés et les clients ont fui, j’ai subi un bad buzz ! »
Danièle ajoute : « Les victimes de terrorisme font peur ; les victimes s’en rendent compte et leur premier mouvement, alors, est la honte … »
Et tous deux d’expliquer qu’ils « s’en sortent » et qu’être aujourd’hui avec eux, les élèves, au lycée Claude Bernard, en est la preuve !
On ne franchit pas la porte d’un lycée à la légère (Danièle Klein)
Voici quelques mots que Danièle Klein nous adresse après la rencontre :
« On ne franchit pas la porte d’un lycée à la légère.
Les sentiments se mélangent.
Le trac de prendre la parole devant des adolescents.
La nostalgie des heureuses années de lycée.
L’anxiété parce que j’ai 10 minutes, pour trouver les bons mots pour décrire un attentat, un avion qui explose, 170 victimes, le chagrin, la sidération, la lutte collective … sans en faire trop, sans effrayer et en suscitant les bonnes questions.
Et surtout l’envie de partager et de discuter avec eux.
Avec Michel Catalano, nous voilà donc au centre des regards d’une trentaine de de filles et garçons d’emblée sympathiques et spontanés.
Ils nous accueillent, nous scrutent et nous écoutent.
Je sens leur bienveillance et leur curiosité.
L’équipe de professeurs qui participent à ce projet, sous l’impulsion de Chantal Anglade de l’AfVT, a eu l’excellente idée de les faire parler, eux en premier.
Et c’est d’abord nous qui sommes leur public.
Chaque jeune a été filmé et nous adresse sur grand écran, un message en un mot. Ils évoquent aussi un souvenir personnel lié à un attentat qui les a marqués, sans pathos, avec leur cœur.
A mon tour de prendre la parole…
Comme les lycéens avaient sérieusement préparé en amont en s’informant du contexte de l’attentat du DC 10 en 1989, j’étais libérée du fardeau de la narration toujours douloureuse de cet épisode. Ouf.
Finalement, je crois que j’ai plus parlé de mon frère, que de l’attentat.
De son parcours de jeune comédien, de ses passions, de son courage, du spectacle qu’il a mis en scène à Brazzaville avant de monter dans ce maudit DC 10. Et puis, de notre combat, nous les victimes, pour obtenir la vérité et la justice.
Sans oublier la thématique du rôle des médias puisque nous nous adressons à une classe média.
Michel prend le relai avec son émotion si intense, pour raconter ce qui le hante encore. Son récit nous captive. Notre duo de témoins fonctionne bien.
Nous avons tous les deux largement oublié nos 10 minutes…
Viennent les questions, un peu timides au début. Elles nous cueillent par leur intelligence et leur sensibilité. Nous parlons de tout, des journalistes, des images sur Internet, du chagrin, de la peur, de nos vies d’aujourd’hui…
Les jeunes nous applaudissent, et nous les applaudissons…
Pas question de se quitter sans le verre de l’amitié.
Deux filles et un grand gaillard s’approchent de moi :
Qu’est-ce que vous préférez Madame, jus d’orange ou jus de raisin ?
Je sens surtout qu’ils ont envie de me faire plaisir…
Ce que je préfère, c’est eux et tous leurs potes de la classe média du lycée Claude Bernard. »
Merci à
Inès, Mélissa, Lou (garçon), Dialla, Alexandra, Neila, Johanna, Romane, David, Mady, Nicolas, Alex, Océane, Mélanie, Basil, Gabin, Chaïma, Stéphanie, Margot, Mathieu, Irwin, Alexia, Emilien, Paul, Alexandra, Maena, Princesse-Sylvia, Angelica, Karl, Hamida et Lou (fille)
A Paul qui a filmé la rencontre
Aux très patientes enseignantes :
Delphine Rachet
Elisabeth Bonnerot
Bénédicte Lejeune
Et à Madame Ferry-Grand, Proviseure
Un commentaire
dupont
29 mai 2018 at 14 h 50 min
excellent article
les élèves ont l’air intéréssés
beaucoup de diversité culturelle dans un groupe d’illlétré