Chaque semaine, l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT) donne la parole aux parties civiles, victimes et professionnels qui participent au procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Cette semaine, c’est Yann, qui accompagne fraternellement les parties civiles sur ce procès, qui répond à nos questions.
Je m’appelle Yann. J’ai été blessé lors des attentats du 13 novembre 2015, alors que j’étais au restaurant le Petit Cambodge avec des amis. J’ai suivi l’ensemble du procès V13 alors qu’au départ je pensais rester seulement pour quelques moments clés. En définitive, le procès m’a happé et j’ai suivi pratiquement toutes les journées d’audience.
-
Comment et pourquoi as-tu rejoint l’AfVT ?
J’ai rejoint l’AfVT en tant que membre en 2017, après avoir participé à un stage thérapeutique organisé par l’AfVT qui regroupait plusieurs victimes de différents attentats. Plus tard, je suis entré au conseil d’administration pour prendre part aux décisions de l’association avec comme but de mettre en œuvre des actions et projets en lien avec le soin des victimes, de se concentrer sur le bien-être des victimes et de créer du lien, de nous regrouper entre victimes.
J’avais pour ma part quelques difficultés à rencontrer des personnes touchées comme moi au Petit Cambodge. Contrairement au Bataclan où les victimes se sont regroupées assez vite et plus facilement. C’est aussi pour ça que je me suis tourné vers l’AfVT à l’origine et je pense que c’est pleinement le rôle de l’AfVT que d’aider à faire du lien avec d’autres victimes. Finalement, j’ai rencontré d’autres victimes, d’autres lieux des attentats du 13 novembre mais aussi d’autres attentats et le lien s’est fait de manière presque aussi forte qu’avec celles qui étaient comme moi au Petit Cambodge.
-
Toi qui as vécu le procès V13, as-tu aidé les victimes de l’attentat du 14 juillet à Nice à se préparer à leur procès ?
Dans le stage thérapeutique auquel j’ai participé avec l’AfVT, j’étais avec des victimes de l’attentat du 14 juillet. C’est aussi une région que je connais bien. C’est donc un attentat qui m’a beaucoup touché.
Tout au long du procès V13, l’AfVT a organisé des réunions entre victimes ayant déjà vécu le procès de leur attentat et des victimes des attentats du 13 novembre qui étaient en train de vivre le leur. Le but était de les aider à appréhender au mieux les événements et à s’y préparer.
En tant que victime du 13 novembre qui venait de vivre son procès, j’ai voulu faire pareil pour les victimes de l’attentat du 14 juillet et les accompagner tout au long de ce procès.
Mon lien avec les victimes de l’attentat du 14 juillet est très fort. Quand je rencontre une personne touchée, les liens peuvent se créer assez rapidement et on peut se sentir très proches, très vite.
A chaque réunion organisée par l’AfVT, nous créons un lien très fort avec les personnes que l’on rencontre et à titre personnel, je ressens comme une certaine part de responsabilité.
J’ai tenu à être présent au procès pour les personnes que je connaissais, en les accompagnant, mais aussi pour les autres en répondant présent aux réunions de l’AfVT. A titre personnel, j’ai été là spécifiquement pour chacune des personnes que j’avais rencontré avant et pendant le procès, notamment pour les soutenir lors de leur témoignage. Certaines me semblaient plus isolées et ça m’a paru primordial qu’elles puissent être accueillies dans ce procès de façon humaine et amicale.
J’ai donc souhaité être là lors de leur venue à Paris et être là, au Palais de Justice, en soutien lors de leur témoignage. Et puis, je sais ce que ça représente de témoigner ou de mettre un premier pied dans un tribunal en sachant qu’on va parler d’un événement qui nous a profondément marqué.
-
Pourquoi aider les victimes d’autres attentats ?
Un attentat est un traumatisme collectif et le groupe, la réunion, l’échange… tout cela me semble primordial pour avancer.
Nous ne sommes pas une seule personne qui a été agressée dans la rue, nous avons été agressés dans un groupe. Nous nous sommes retrouvés là par hasard, mais nous avons tous en commun cet événement. Le rapport au groupe aide à avancer individuellement.
J’ai l’impression que vivre un attentat ça a tendance à isoler. C’est l’effet premier. Ça nous pousse vers l’isolement. Aller vers le groupe ça nous aide à en sortir, à aller à l’encontre de ce trauma et de ces répercussions.
-
C’est la même salle d’audience que celle du V13. Est-ce que ça a été particulier pour toi ?
Cette salle a été « notre maison » pendant plusieurs mois. Nous avons beaucoup évolué dans cette salle d’audience, de manière collective, mais aussi individuellement. Y retourner c’est un peu étrange, car d’une part, cela acte la fin de notre procès et d’autre part, on se rend compte qu’il y a d’autres personnes, d’autres parties civiles, d’autres accusés dans le box. C’est un peu étrange, mais c’est bien pour continuer à avancer.
Ça a été un peu, même très, difficile de revenir écouter des témoignages de parties civiles. Ce sont des moments très difficiles. Il y a beaucoup de douleurs. Cela m’a rappelé à quel point certaines victimes avaient encore besoin d’aide et de soutien.
Dans cette grande salle, je me suis rendue compte aussi que seule une petite partie des victimes étaient venues témoigner et je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes les autres qui ne sont pas là et qui sont peut-être isolées.
-
Comment cela résonne avec ton après-procès ?
Après notre attentat, il y a deux attentats avec un bilan humain très lourd : Bruxelles le 22 mars 2016 et Nice le 14 juillet 2016. Nous avons été touchés par ces événements. Nous sommes beaucoup à le dire, victimes du 13 novembre et d’autres attentats, nous ressentons une forte solidarité avec les victimes de l’attentat du 14 juillet à Nice et nous voulons vraiment les aider.
Les témoignages étaient particulièrement difficiles et forts. Ils m’ont vraiment touché. Le témoignage, c’est quelque chose que j’ai découvert petit à petit : au cours du procès V13 mais aussi lors d’actions dans les écoles. Pour moi, c’est quelque chose de primordial pour reprendre la main face au récit des terroristes. Un attentat sert à terroriser la population. Les terroristes prônent une certaine lecture des faits et des causes. Nous avec le témoignage nous racontons la réalité de ce qui s’est passée, l’irruption de la terreur dans nos vies et les répercussions qui sont beaucoup plus parlantes que les chiffres. Avec les témoignages, nous sommes, à mon sens, plus proches de la réalité.
Au procès de l’attentat de Nice, cinq semaines de souffrances (lemonde.fr)
Procès de l’attentat de Nice: les survivants à la barre – Nice-Matin
Et puis je pense que le témoignage fait avancer les victimes. Parce qu’il permet d’avancer en tant que victime ou proche de victime. Dire, raconter, exprimer, c’est difficile, mais c’est une façon d’avancer, d’être dans l’action. C’est pour ça que je l’encourage.
J’encourage les victimes à témoigner, mais également à s’écouter. Chaque personne que j’ai vue aller témoigner ne l’a pas regretté, mais je respecte et je comprends également ceux qui refusent de témoigner.
—
Propos recueillis le 10 novembre
Dessin : ERWAN FAGES POUR « LE MONDE »