Qu’est-ce que les QER (Quartiers d’évaluation de la radicalisation) ?

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Vous avez peut-être déjà entendu parler des « QER », les Quartiers d’évaluation de la radicalisation. Mais que se cache réellement derrière cet acronyme ? Quelle est la réalité de ces quartiers et quels en sont les résultats ? L’équipe de l’AfVT vous donne quelques réponses à l’heure où plus de 1000 détenus en France sont suivis au titre de la radicalisation à référentiel jihadiste et 49 millions d’euros sont consacrés à cette problématique[1].

La lutte contre le terrorisme et le jugement d’individus en lien avec une association de malfaiteurs terroriste ont eu pour conséquence d’amener l’Etat français à prendre des mesures au sujet de l’incarcération d’individus ayant un profil radicalisé, plus ou moins dangereux. L’une des premières nécessités afin de déterminer les modalités de prise en charge de la détention est celle de l’évaluation de la radicalisation et du risque de passage à l’acte, en lien avec la menace que l’individu est susceptible de représenter pour la société. Il s’agit de la fonction des QER – Quartiers d’évaluation de la radicalisation- qui sont avant tout un outil de gestion pénitentiaire. Créés en 2016 à l’initiative de Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux de l’époque, en remplacement des UPRA – Unité de prévention de la radicalisation-[2], il en existe aujourd’hui sept : six dédiés aux hommes (maison d’arrêt d’Osny, de Fleury-Mérogis et quatre QER au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil) et un pour les femmes au sein du centre pénitentiaire de Fresnes depuis la fin du mois de janvier. Cette nouvelle structure permet d’accueillir 8 détenues sur 13 semaines, ce qui est pour l’instant suffisant au vu des statistiques moindres à l’égard des femmes concernées -à hauteur de 72 femmes contre 367 hommes en janvier 2022-.

Les QER accueillent les personnes détenues, condamnées ou bien en attente de leur jugement – cette dernière hypothèse concerne uniquement les détenus TIS (terrorisme islamiste) –, pour une durée d’environ trois mois afin de conduire une évaluation. Cette dernière est obligatoire pour les individus condamnés ou mis en examen pour des faits de terrorisme. Pour des questions d’organisation ou en raison de l’incompatibilité de certains profils qui risqueraient de créer un réseau nuisible, l’évaluation peut-être parfois retardée au stade post-jugement. Depuis 2020, cette évaluation peut également être effectuée à l’égard de détenus de droit commun dont plusieurs éléments objectifs laisseraient à penser qu’une radicalisation a eu lieu en prison. Un débat contradictoire est mené avec l’intéressé, en présence de son avocat, afin de recueillir ses observations. Les éléments apportés par le conseil sont susceptibles d’influencer la décision de l’administration pénitentiaire. Cette dernière revêt la nature d’une mesure administrative, ce qui signifie qu’un recours est possible in fine devant le Tribunal administratif.

La volonté du détenu reste un élément fondamental pour permettre de dérouler à bien l’évaluation. En effet, si le détenu refuse de participer aux audiences avec les professionnels, il devient plus difficile de déterminer son adhésion à une idéologie violente. Dans l’idéal, le détenu doit être l’acteur de l’évaluation. Pour les officiers, « La meilleure façon de faire l’évaluation, c’est de participer »[3]. A ce titre, les consoles et les lecteurs DVD sont interdits pour éviter que le détenu ne se renferme dans sa cellule.

L’équipe du QER est pluridisciplinaire et spécialisée : elle comprend des éducateurs, des psychologues, des médiateurs du fait religieux, des membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation[4]. Au sein des QER pour hommes, l’équipe est composée également de femmes puisque le comportement des détenus hommes à leur égard est un élément important. En revanche, le nouveau QER pour femmes comprend une équipe exclusivement féminine suivant une formation spécifique avec plusieurs chercheurs, ce qui se justifie par l’engagement et le rôle différent que les femmes peuvent avoir dans ce domaine.

Certains considèrent qu’il n’existe aucun outil ou critère officiel pour effectuer l’évaluation, ce qui peut soulever quelques réflexions au vu des conséquences futures pour le détenu qui découlent de son passage au sein des QER[5], mais aussi remettre en cause les droits fondamentaux des personnes qui y sont soumises[6]. C’est d’ailleurs ce qui était souligné par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de janvier 2020 : « les critères d’affectation en quartier d’évaluation doivent donc être précisés et s’accompagner d’une information suffisante des personnes concernée » ; « les fonctions des professionnels doivent être précisées, et ceux-ci laissés moins seuls dans la conduite de leur mission » ; « les conséquences réellement tirées des évaluations sont mal connues »[7]. Néanmoins, serait-il possible d’objectiver le phénomène de la radicalisation au vu de la diversité des profils ? Ne convient-il pas de laisser à chaque expert une marge d’appréciation ? En réalité, le personnel du QER bénéficie d’une formation régulière à l’identification des facteurs de radicalisation violente à hauteur d’une semaine tous les quatre mois. De plus, depuis 2015, il existe une grille de détection de la radicalisation. Cette dernière a été mise à jour en 2019 au vu de l’expérience des équipes ; elle est différente entre les hommes et les femmes.

Une autre question majeure concerne la « taqiya », l’art de la dissimulation. Il faut être capable de savoir jusqu’où va la sincérité du détenu lors des entretiens, notamment dans les réponses relatives à son rapport avec la religion et sa réaction face aux attentats commis en France. « La dissimulation est la crainte permanente »[8]. Les experts sont donc attentifs à la moindre contradiction que leur expérience leur permet de remarquer à travers l’attitude du détenu, ses courriers, ses appels téléphoniques, son comportement à l’égard des surveillants ou des autres détenus. Néanmoins, les équipes se voient parfois reprocher une certaine naïveté et croyance dans les discours de l’individu évalué. De leur côté, les détenus estiment parfois qu’il est difficile pour eux de prouver totalement leur bonne foi dès lors que tout peut apparaitre comme suspect. Dès lors, convient-il d’évaluer une personne sans avoir connaissance de ses antécédents afin que l’évaluation soit la plus neutre possible au regard de la découverte de la personne au QER ou est-il préférable que les équipes soient informées des faits reprochés, des fouilles effectuées, des courriers reçus par l’individu précédemment à son passage au QER ?

Au niveau des conditions de détention, les QER sont généralement isolés des autres quartiers de l’établissement pénitentiaire afin d’éviter que les détenus à évaluer puissent en croiser d’autres : par exemple, le QER de Fleury-Mérogis, situé au dernier étage, comprend un couloir de 30 places totalement à l’écart ; une cellule sur trois est occupée et les détenus changent de cellule toutes les trois semaines[9]. Les cellules font 9 m2, de la même façon que celles des détenus ordinaires. Les communications téléphoniques, soumises à une autorisation judiciaire, font l’objet d’un enregistrement. La sécurité est maximale -il n’y a jamais plus d’une cellule ouverte à la fois- avec de nombreuses caméras qui enregistrent 24/24h tout ce qui se passe dans le quartier, à l’exception des cellules. Le nombre de surveillants est également plus important que dans les autres quartiers[10]. L’Observatoire international des prisons remarque néanmoins que ces conditions particulières ne permettent pas l’accès à un travail ou à une formation professionnelle[11]. Il existe quelques dispositions sur la nature et le régime précis des QER : l’article 726-2 du Code de procédure pénale issu de la loi du 23 mars 2019 instaurant les quartiers spécifiques, le décret du 31 décembre 2019 introduisant les articles R57-7-84-13 et suivants du même code, et la circulaire du 31 janvier 2022 précisant les modalités de gestion des détenus radicalisés. Ainsi, selon l’article R57-7-84-13 de ce code « L’évaluation réalisée au sein de ce quartier [le quartier d’évaluation] doit déterminer si la personne détenue présente une radicalisation nécessitant une prise en charge adaptée. »[12]

Les résultats des QER permettent par la suite d’orienter l’individu dans l’établissement pénitentiaire le plus adapté à sa dangerosité parmi des conditions de détention ordinaire, les Quartiers de prise en charge de la Radicalisation (QPR) – six sont dédiés aux hommes (Centre pénitentiaire Paris La Santé, Lille, Aix-en-Provence, Nancy, Conde-sur-Sarthe et Bourg-en-Bresse) et un est exclusivement féminin à Rennes depuis septembre 2021 – et les Quartiers d’isolement (QI) en milieu fermé pour ceux présentant un risque imminent de passage à l’acte violent ou un prosélytisme avéré qui sont inaccessibles à la prise en charge, considérés comme plus dangereux[13].

Statistiques sur les sorties de QER

en pourcentage (%) Détention ordinaire QPR QI
Détenus TIS

Au 1er février 2022

70% 19% 11%
Détenus de droit commun

Au 1er février 2022

71% 18% 11%

N. B. : Il convient de rappeler que les détenus de droit commun sont évalués depuis l’année 2020 et que le nombre total de détenus TIS et de détenus de droit commun est sensiblement différent.

Dans 80% des cas, les conclusions du QER sont suivies par l’administration pénitentiaire. Les 20% s’expliquent notamment par des éléments détenus au niveau de l’administration centrale ou une éventuelle incompatibilité relevée pour une affectation dans certains établissements. Selon l’article R. 57-7-84-18 du code de procédure pénale, la personne détenue peut présenter des observations écrites ou orales qui sont jointes au dossier de la procédure et transmises à l’autorité qui prend de façon motivée la décision de placement en quartier de prise en charge de la radicalisation. Il s’agit là aussi d’une décision administrative qui peut faire l’objet d’un recours. Les détenus, souvent stressés par la synthèse finale, considèrent parfois le résultat comme une sanction, mais leur orientation peut être également perçue comme une opportunité pour eux de se préparer à la suite. L’objectif final est double : cantonner les personnes radicalisées et initier un processus de désengagement, soit « un objectif de renoncement à la violence distinct d’un objectif de déradicalisation qui impliquerait une modification des convictions et de la façon de penser de la personne »[14]. Il est possible qu’un détenu TIS soit réévalué postérieurement en fonction de son évolution.

En somme, les QER sont aujourd’hui des structures indispensables pour évaluer la radicalisation des détenus et permettre à l’administration pénitentiaire de prendre en charge de façon adaptée leur incarcération. Quand bien même ces structures sont encore soumises aujourd’hui à différentes critiques, un effort continu est mené par une pluralité de professionnels afin d’en améliorer le fonctionnement et la connaissance, comme le démontre le développement de la prise en charge de la radicalisation des femmes.

 

[1] TF1, Sept à huit, Prisons pour islamistes : peut-on les déradicaliser ?, en ligne, 17 octobre 2021, 8 min 19.

[2] Site officiel du gouvernement, Contenu publié sous le Gouvernement Valls III du 11 Février 2016 au 06 Décembre 2016, Plan d’action contre la radicalisation en prison, 26 octobre 2016. Disponible sur https://www.gouvernement.fr/argumentaire/plan-d-action-contre-la-radicalisation-en-prison

Voir également le Plan d’action de Jean-Jacques Urvoas, Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, 25 octobre 2016, p. 22.

[3] TF1, Sept à huit, op. cit., 11 min.

[4] SERRE Clarisse et DIAKONOFF Clément, Les « QER » : jugés coupables avant l’heure, in Dalloz Actualité, 5 mars 2019.

[5] SERRE Clarisse et DIAKONOFF Clément, op. cit. Voir également ANELLI Laure, Au QER, une évaluation en trompe l’œil, Observatoire international des prisons, en ligne, 21 novembre 2020.

[6] Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Prise en charge pénitentiaire des personnes « radicalisées » et respect des droits fondamentaux, Rapport, janvier 2020. SERRE Clarisse et DIAKONOFF Clément, op. cit. ; ANELLI Laure, op. cit.

[7] Contrôleur général des lieux de privation de liberté, op. cit., p. 3.

[8] TF1, Sept à huit, op. cit., 20 min 10.

[9] TF1, Sept à huit, op. cit., 12 min.

[10] TF1, Sept à huit, op. cit., 13 min.

[11] ANELLI Laure, op. cit.

[12] Décret n° 2019-1579 du 31 décembre 2019 modifiant le code de procédure pénale (partie réglementaire – décrets en Conseil d’Etat) et relatif aux quartiers de prise en charge de la radicalisation. A consulter sur https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/12/31/JUSK1929348D/jo/texte

[13] Site de l’Assemblée nationale, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Rapport d’information en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les services publics face à la radicalisation, 27 juin 2019.

[14] Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, LE DÉSENGAGEMENT PLUTÔT QUE LA DÉRADICALISATION, en ligne. Sur le même point, Site officiel du Sénat, op. cit.

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