Retour sur la réflexion menée avec les élèves de la 4ème1 du collège Jean Macé à Fontenay-sous-Bois.
Terrorisme et Éducation aux médias et à l’information
La classe s’installe dans la grande salle claire et accueillante du CDI (le centre de documentation et d’information) de ce collège REP. Ils en ont l’habitude, ils travaillent régulièrement avec leur professeure documentaliste et leur professeure d’EMC pour faire de l’Éducation aux médias et à l’information (EMI). Aujourd’hui, c’est une séance un peu particulière : le thème est « Médias et terrorisme ». C’est l’occasion à la fois de démarrer une réflexion sur le terrorisme puisqu’ils vont accueillir dans une semaine deux victimes du terrorisme et de revenir sur des fondamentaux en EMI : Qu’est-ce qu’une information ? Quel est le rôle des médias dans une démocratie ? Comment travaillent les journalistes ?
Première étape : réfléchir à ce qu’est le terrorisme à partir de différents attentats, mais aussi comprendre ce qu’est une information en les présentant le plus précisément possible en respectant la règle des 5 W : who ? what ? when ? where ? why ? et en indiquant par quel média ils ont eu accès à cette information. Puis, c’est la reprise et les élèves répondent à une première question : pourquoi les médias nous parlent-ils de terrorisme ? Parce qu’il est essentiel de nous informer nous disent-ils. On revient sur la définition d’une information et de sa clarté de sa présentation. Les élèves réinvestissent des acquis vus en classe précédemment : une information est quelque chose de nouveau, qui a un intérêt pour un nombre important de personnes et qui est vérifié et vérifiable.
Deuxième étape : s’interroger sur les rapports qu’entretiennent les victimes du terrorisme et les médias. Ils visionnent des extraits de reportage dans lequel Danièle Klein qu’ils rencontreront, s’exprime. Ils réfléchissent, les mains se lèvent, les réponses fusent. La classe en déduit deux choses : les victimes sont des sources pour les journalistes. Leur témoignage permet d’avoir un autre point de vue sur l’évènement. S’exprimer dans les médias permet aussi aux victimes de porter leurs voix et de délivrer un message à la société. Bilan : les médias permettent donc de nous informer mais aussi de mobiliser l’opinion. Avec eux nous évoquons aussi les pressions que subissent parfois les victimes de la part de certains journalistes.
Attentats dont on parle, attentats dont on ne parle pas
Quelques-uns se questionnent : pourquoi parle-t-on plus de certains attentats comme les attentats djihadistes et moins d’autres ? Pourquoi a-t-on l’impression parfois que les journalistes ne disent pas tout ? Les élèves réfléchissent ensemble au métier de journaliste et à ces contraintes : notamment celles de l’information en continu où il faut tenir l’antenne avec cette contradiction parfois de l’immédiateté de la communication et du temps plus long de l’enquête et de l’information. Celles du format de l’information qui fait que l’on doit s’adresser au plus grand nombre et l’on ne peut pas tout dire en fonction du temps imparti à l’antenne. Ensemble, nous revenons avec eux sur la règle du nombre et de la proximité, on parle plus des attentats djihadistes en France parce qu’ils sont les plus nombreux, mais pas les seuls pour autant, sur notre territoire. Avec eux, nous mettons en avant le fait que les journaux, les chaînes de radio et de télévision sont aussi des entreprises qui doivent nous informer mais aussi gagner de l’argent. Des actes terroristes très meurtriers en Afrique ou en Asie sont moins évoqués aux heures de grande écoute sous prétexte qu’ils sont loin, mais des journalistes travaillent pour nous informer, fournissent un travail d’enquête approfondi, qui n’est pas forcément mis en avant à des heures de grande écoute dans les médias qu’ils connaissent. Ensemble ils réfléchissent. C’est le moment de leur rappeler qu’en tant que citoyens ils sont acteurs de la manière dont ils s’informent et doivent utiliser leur esprit critique.
Du temps court des médias au temps long du témoignage
Arrivent le 6 février, jour de la rencontre avec les deux témoins : Danièle Klein et Asma Guenifi. Toutes deux s’expriment depuis longtemps et régulièrement dans les médias. Mais cette fois au temps court des médias, se substitue le temps long du témoignage.
Danièle Klein commence : « Ce qui m’intéresse c’est de parler avec vous, je ne suis pas là pour vous attendrir, mais pour vous parler de choses réelles. ». Elle explique que les médias l’intéressent, elle est attachée de presse : son métier consiste à faire passer de l’information aux journalistes.
Elle raconte comment le 19 septembre 1989 au soir, jour de son anniversaire, sa vie bascule quand elle apprend que l’avion DC10 d’UTA, dans lequel se trouve son frère, a disparu au-dessus du désert du Ténéré. C’est un attentat commandité par le dictateur Libyen Kadhafi dans lequel 170 personnes ont trouvé la mort. Ce que sa famille et elle vivent est ce qu’on appelle le préjudice d’angoisse. Elle évoque le rôle des médias qui 10 ans après parlent à nouveau de l’attentat au moment du procès qui s’est tenu dans le prolongement de l’enquête du juge Bruguière et qui sont à nouveau mobilisés par le collectif des familles de l’Attentat du DC10 d’UTA pour que l’on n’oublie pas et pour obtenir des réponses et la justice. Le collectif puis l’association française des victimes du terrorisme sont très importants pour elle et sa famille. Il fallait être actives pour lutter contre ce terrible sentiment d’abandon qu’elles ressentent, « C’est une façon de faire honneur à mon frère qui était quelqu’un de dynamique, qui ne se laissait jamais faire »
« C’est difficile de témoigner, de parler de soi » dit Asma Guenifi. Elle raconte à son tour comment sa vie à basculé le 6 juin 1994 quand des islamistes ont abattu son grand frère Hichem devant elle et son petit frère en bas de chez eux à Alger. Elle évoque son adolescence dans l’Algérie de la décennie noire et son arrivée en France : la création d’un collectif « le groupe le Jeune Hichem » avec d’autres jeunes Algériens qui sillonnent les lycées en France et les quartiers « pour combattre l’intégrisme musulman, dire que l’islam c’est une religion de paix. ».
Asma revient sur sa douleur infinie « je ne savais pas si je devenais folle ». Elle abandonne ses études aux Beaux-Arts pour devenir psychologue. Elle se spécialise et ouvre un centre dédié aux victimes du terrorisme « C’est comme une sorte de mission, c’est une manière aussi de militer, des personnes essayent de semer la terreur et le deuil et nous, on essaye de réparer ces dégâts. ». Témoigner n’est pas évident pour elle, mais c’est essentiel pour que l’on parle de son frère et de tous ceux qui ont été assassinés. Témoigner : « non pas pour semer la tristesse mais pour se dire que des choses horribles peuvent arriver, mais on peut s’en sortir et parler d’amour, de vivre ensemble, de partage. »
Prendre le temps de poser des questions
Les élèves prennent à leur tour la parole et posent des questions. Le témoignage est un moment qui crée un lien entre celui qui parle et celui qui écoute. Tout en douceur les élèves reviennent sur le deuil douloureux de ses deux grands frères.
Mehdi prend le premier la parole longuement : « J’ai écouté votre témoignage, on se dit que ça peut arriver qu’aux autres, mais en réalité ça peut arriver à tout moment. À votre place j’aurais un sentiment de haine qui ne me lâcherait pas. Quand vous avez réalisé la mort de votre frère, quel a été votre ressenti ? ». Asma répond la première : : « Oui j’avais bien de la rage, la haine. Je voulais même devenir policière des forces spéciales. On les appelait les Ninjas. » Elle explique comment un de ces voisins policiers vient discuter avec elle : elle ne peut devenir policière pour se venger, un policier protège les gens.
Chercher, lire, comprendre ce qui a pu conduire des hommes à plonger dans le terrorisme l’a beaucoup aidée. Rencontrer d’autres jeunes qui ont vécu la même chose qu’elle, entendre des gens qui réfléchissent autrement, les voir se reconstruire a été aussi très important. « Le malheur on pense qu’il atteint toujours les autres mais le terrorisme peut toucher tout le monde, il n’a pas de couleur de peau. Aujourd’hui je ne suis pas dans la colère, ni dans la haine ou la vengeance ». Danièle renchérit : « la vengeance ne sert à rien. Si on reste dedans, on rate sa vie, la vie devient triste, noire. On en voit des gens comme ça, qui n’en sortent pas, ils n’arrivent pas à prendre leur vie en main. » Elle évoque aussi le soutien des copains de son frère et notamment celui de son meilleur ami qui est devenu le père de ses enfants. « Je dis souvent que c’est le dernier cadeau de mon frère ». Il y a aussi son engagement à l’AfVT : « C’est l’action, le fait d’être ensemble, qui a fait qu’on n’est pas devenus fous. »
Foullemata se tourne vers Danièle et lui demande si elle arrive encore à fêter son anniversaire. Cette date dans la famille Klein est assez chargée car c’est aussi l’anniversaire de son papa. Tous les 19 septembre, elle participe à la cérémonie d’hommage au cimetière du Père Lachaise. Elle reçoit beaucoup de messages qui lui disent que l’on pense à elle, mais aussi d’autres qui lui souhaitent une super journée d’anniversaire. « Mais la vie, c’est ça, un mélange de joie et de tristesse. ». Asma revient sur l’importance des dates et ajoute aussi que les dates anniversaires se bousculent au mois de juin dans sa famille : elle est née le 1er et son petit frère le 16. Ils ont mis dix ans à fêter à nouveau leurs anniversaires, le 6 juin, tous pensent à Hichem. Laetitia lui demande si elle a pu retourner en Algérie : tous les ans pour commémorer la mort de son frère avec les amis et les voisins. Si c’est essentiel, c’est aussi très difficile. « J’ai compris à un moment donné, que j’avais le droit de me poser et de ne pas faire cette excursion tous les ans car c’était très lourd », l’écriture de son livre Je ne pardonne pas aux assassins de mon frère l’a beaucoup soulagé.
Bakary voudrait savoir si elles ont conservé des objets de leurs frères auxquels ils tenaient beaucoup. Asma a longtemps conservé la guitare de son grand frère et un de ses tee-shirts qu’elle a porté pendant de longues années. « En psychologie, c’est important de garder une trace. Ça m’a beaucoup aidé. ». Danièle touchée par la question de Bakary, le remercie de sa bienveillance. Elle se souvient des moments qu’elle a passés à trier les affaires dans l’appartement de son frère. Il y a quelques semaines un de ses fils vient la voir, il porte un pull qui lui plaît beaucoup : elle reconnaît alors un pull de son frère Jean-Pierre. « Il lui allait vachement bien, je lui ai proposé de le garder ».
Mehdi reprend la parole et s’excuse s’il est indiscret, mais il voudrait savoir ce qu’Asma et Danièle voudraient dire à leurs frères s’ils étaient encore vivants. Asma émue, prend la parole la première : « ce n’est pas évident de se dire entre frère et sœur qu’on s’aime. Je pense donc que je lui dirais que je l’aime, que je suis fière de lui ». C’est au tour de Danièle « Je parle tous les jours avec mon frère. Je ne sais pas si j’arriverais à lui dire que je l’aime. Je lui interdirais de prendre l’avion ! » ce qui fait éclater de rire tout le monde. « Mais j’ai l’impression qu’il est toujours là auprès de moi, qu’il me protège encore, un peu comme un ange gardien ».
Asma Genifi et Ayman échangent après la rencontre.
Parler aux médias quand on est victime du terrorisme.
Les élèves ont aussi évoqué avec les témoins leurs rapports aux médias. Laetitia veut savoir au bout de combien de temps elles ont pu parler aux journalistes. Asma leur explique qu’elle a très vite parlé aux journalistes mais du terrorisme et des victimes algériennes en général, pas de son histoire particulière comme elle le fait avec eux. Parler pour que l’on n’oublie pas, parler parce que c’est un tabou en Algérie depuis la charte pour la paix et la réconciliation de 2005. Danièle s’adresse aux journalistes trois jours après la mort de son frère parce que cela fait partie de son métier, « j’étais préparée, je connaissais les codes, je me disais : si tu ne parles pas, toi, qui va le faire ? »
La stigmatisation, on en parle aussi
Medhi réagit sur le fait qu’à chaque fois qu’il y’a un attentat, on ne parle pas assez des victimes, la presse ne cherche pas à comprendre selon lui, ne précise pas bien ce qui s’est passé. Pour lui, on ne parle pas de tous les attentats, ceux qui touchent les mosquées précise-t-il. Chantal Anglade et Delphine Allenbach-Rachet, professeures mises à disposition de l’AfVT reprennent : on en parle, peut-être pas autant qu’il le souhaiterait aux heures de grande écoute, mais les journalistes font leur travail.
Danièle répond « Quand on en dans notre association, autour de la table, il y a des victimes musulmanes, des victimes juives, des victimes non religieuses. On est tous victimes, on a tous envie de faire avancer les choses, et on se fiche de savoir qui est musulman, qui ne l’est pas. On a envie de partager nos expériences, et faire en sorte que les prochaines victimes soient bien accueillies, correctement prises en charge, car nous, on sait à quel point c’est important. »
Mehdi et Danièle Klein
Nizar fait part aussi de son sentiment au sujet des médias qui, pour lui, parfois sans preuve parlent directement de musulmans quand il y a un attentat. Asma comprend cette impression et pose la mot de « stigmatisation ». « Quand il y a une attaque, pour moi, c’est un terroriste, qu’il soit musulman ou non. Moi, je me sens détachée, c’est un terroriste, point barre. L’expression Allah Akbar est une expression ordinaire, qui ne veut rien dire de plus que « Dieu est grand », ce n’est pas une expression de combat. Ce sont des ignorants qui ont transformé cette expression en cri de terreur. Je connais ma religion. Ceux qui utilisent la stigmatisation, ce ne sont pas tous les Français, tous les « blancs » même si je n’aime pas ce terme, c’est l’extrême droite et donc c’est important de prendre une distance. »
Les discussions se terminent autour d’un verre de jus de pomme. Les 4ème1 vont discuter en petits groupes ou tête à tête avec Danièle et Asma des médias, du terrorisme, d’elles… La réflexion est amorcée.
Merci :
à Danièle Klein et Asma Guenifi nos deux témoins
aux élèves dynamiques, intéressés et bienveillants de la 4ème1 du collège Jean Macé
à Mélissa Serra, professeure d’Histoire-Géographie, et Karine Cabanettes, professeure documentaliste, pour leur enthousiasme, leur énergie et leur investissement
à Audrey Christien, professeure principale de la classe de nous avoir accompagnés
à madame Nathalie Rahou, principale adjointe et monsieur Gilles Marand, principal, pour leur soutien et leur accueil
à Théo Laucoin