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Devant la cour d’assises spécialement composée présidée par Jean-Louis Périès vient de se terminer la deuxième « phase » du procès des attentats du 13 novembre 2015, en cours depuis le 8 septembre 2021.

Cette phase a été marquée, à ce jour, par quatre suspensions d’audience ayant pour cause la contamination de six accusés au Covid-19. La dernière en date suspend le procès jusqu’au mardi 1er mars 2022, qui devrait ouvrir la troisième « phase » du procès. Ce gel des audiences, qui a entraîné un retard de quatre semaines en tout et pour tout, a poussé le Président, Jean-Louis Périès, à rappeler à tous de « respecter les gestes barrières pour éviter à nouveau des suspensions qui font retarder l’issue du procès ». Il a ajouté : « Vous l’avez bien compris : ce n’est de l’intérêt de personne de retarder cette issue ». Il a donc annoncé intégrer des audiences le lundi [en principe, aucune audience n’a lieu le lundi dans le cadre de ce procès] pour rattraper ce retard et terminer à temps, « au plus tard le 24 juin ».

Mais cette deuxième phase du procès a surtout été marquée par l’interrogatoire des accusés, interrogatoire restreint uniquement à la période précédant l’été 2015. Treize hommes et de nombreux témoins appelés à la barre ont été invités à donner leur version des faits et revenir sur des propos qu’ils ont tenus pendant l’instruction.

Conformément au calendrier établi, les accusés ont été interrogés dans cet ordre : Mohamed Abrini, Osama Krayem, Adel Haddadi, Muhammad Usman, Mohamed Bakkali, Mohamed Amri, Yassine Atar, Hamza Attou, Ali Oulkadi, Abdellah Chouaa, Sofien Ayari, Salah Abdeslam et Ali El Haddad Asufi.

Ces interrogatoires ont révélé différents discours et lignes de défense, et des rapports variés de chacun avec la religion, la politique, la famille et la notion de radicalisation.

Pour vous, l’AfVT a suivi ces interrogatoires et a mis en lumière les temps forts et les principales thématiques abordées.

 

Le silence de Osama Krayem et Mohamed Bakkali

Rappelons que deux accusés ont fait usage de leur droit de conserver le silence. Osama Krayem ainsi que Mohamed Bakkali, encourant tous deux la perpétuité, ont refusé de s’exprimer, qualifiant ce procès d’« illusion ». Pour ces deux hommes, le Président a tout de même donné lecture de leurs déclarations faites au cours de l’instruction et leur a posé des questions (laissées sans réponse).

Osama Krayem est connu pour avoir passé un certain temps en Syrie, à la même période que plusieurs protagonistes du dossier des attentats de Paris et Bruxelles. Au sein de l’Etat islamique, il avait notamment une activité de fabrication de bombes. Il est ensuite rentré en Belgique par la « route des migrants » (Syrie – Turquie – Grèce – Autriche – Allemagne – Belgique).

Mohamed Bakkali, déjà condamné à 25 ans de réclusion pour son rôle dans l’attentat déjoué du Thalys, est soupçonné d’avoir loué les voitures des commandos du 13 novembre ainsi que plusieurs planques à Bruxelles. Celui qui, au procès du Thalys, avait montré une redoutable maîtrise du dossier, a expliqué pourquoi il ne parlera pas dans le procès parisien : « (…) ça fait six ans que quoi que je dise, quoi que je fasse, ma parole est toujours suspecte et j’ai remarqué qu’elle n’avait pas de valeur. (…) Je n’ai plus la force de me battre ou de m’expliquer. »

 

Mohamed Abrini

Belgo-marocain, ami d’enfance de Salah Abdeslam, il a grandi dans le quartier de Molenbeek. Il encourt la perpétuité, car il était présent à Paris avec le commando quelques heures avant les attentats du 13 novembre 2015 (c’est lui qui a conduit Brahim et Salah Abdeslam à Paris la veille des attentats), puis à Bruxelles, quelques minutes avant l’attentat de l’aéroport, en mars 2016 (ce qui lui vaut le surnom d’« homme au chapeau »). Il a fait un séjour en Syrie, entre juin et juillet 2015.

Son interrogatoire marque les esprits par son caractère insolent et provocateur. En effet, interrogé – comme ce sera le cas pour tous les accusés – sur sa radicalisation, l’homme ne semble pas se considérer comme radicalisé, et fait valoir la différence de « points de vue » qu’il peut exister sur cette notion : « Moi pour moi je suis pas radical, après pour d’autres c’est radical (…) y a des endroits dans le monde où on pratique l’Islam, et vous vous allez trouver que c’est radical (…) mais pour moi c’est l’Islam normal. » Il donne l’occasion à la Cour de montrer qu’il n’a en rien renié son attachement à la mouvance jihadiste. Interrogé sur la charia, il répond : « pour moi c’est la loi divine, elle est au-dessus de la loi des hommes. Si j’étais un homme libre aujourd’hui, j’irais vivre dans un pays où on pratique la charia. ». De quoi donner une idée de l’état d’esprit de Mohamed Abrini, qui ne semble pas vouloir faire amende honorable.

Il revient également sur sa vision du jihad, qui fait selon lui « partie de l’Islam » : « Moi je dis que c’est un devoir de protéger les opprimés (…) c’est un devoir pour tout musulman d’aller faire le jihad. Quand bien même ça s’est transformé en guerre de conquête ». Néanmoins, s’il ne renie rien des attentats, il avoue ne pas pouvoir se faire exploser : « Moi, ça, je suis pas capable de le faire, je l’ai toujours dit. Je suis capable de prendre les armes, d’aller combattre, mais pas ça. » Surtout, il se défend d’avoir tué qui que ce soit et d’avoir été en France, ce qui apparaît peut-être comme sa ligne de défense, proche de celle de son ami Salah Abdeslam.

 

Adel Haddadi

Algérien, il quitte son pays sans l’accord de ses parents pour rejoindre la Syrie. Il a été envoyé par Daesh en Europe pour les attentats, mais n’a finalement pas pu arriver jusqu’en France car il est arrêté dans un camp de migrants en Autriche, alors en compagnie de Mohammad Usman.

A entendre Adel Haddadi lors de son interrogatoire, il s’est retrouvé en Syrie sans trop savoir ce qu’il s’y passait et ce qu’il pourrait y faire. Il affirme avoir été cuisinier. Pourtant, on sait qu’arrivé en Syrie, il suit pendant une semaine un entraînement militaire, vraisemblablement intégré au rang des combattants de Daesh. Pourtant, sa version diffère : « J’ai appris à manier les armes. Mais une fois sur place, je ne savais pas ce qu’on allait me faire faire. Moi, je pensais faire de l’humanitaire. » (nombreux sont les accusés partis en Syrie qui disent, comme lui, avoir espéré faire « de l’humanitaire »).

Le Président l’interroge ensuite sur son arrivée à Raqqa, où il aurait rencontré Oussama Atar, le chef des opérations extérieures de l’Etat islamique et commanditaire présumé des attentats de Paris et Bruxelles. Ce dernier lui aurait annoncé sa mission : rejoindre la France en compagnie de trois autres hommes (ils lui apprennent par la suite qu’ils étaient envoyés en tant que kamikazes). Il explique « verbalement, j’avais dit que j’acceptais, mais au fond de moi, je n’étais pas d’accord​ ». Lorsqu’on lui demande pourquoi lui a été choisi pour une mission d’une telle importance, il répond simplement : « Ils avaient compris que je ne pouvais pas dire non, que j’étais quelqu’un de serviable. »

Si Haddadi semble laisser penser qu’il n’a été qu’une victime de Daesh, privé de son libre-arbitre, la Cour lui fait tout de même remarquer qu’il aurait pu fuir à plusieurs moments, et qu’il ne s’est jamais saisi de l’occasion. Pourquoi ? Car il n’était « pas capable de dire non ». A voir si cette candeur feinte convainc la Cour…

 

Muhammad Usman

Il fait partie du commando parti de Syrie pour rejoindre l’Europe et fomenter les attentats. Le périple, il le commence avec Haddadi et les deux Irakiens du Stade de France, mais il est arrêté en Grèce, puis en Autriche, avec Haddadi.

Pakistanais, il a fait ses études dans une madrasa [école coranique] au Pakistan. Après qu’un jihadiste ayant « un don pour retourner le cerveau des gens » a « pris le contrôle de son cerveau », il rejoint les rangs de Daesh en Syrie puis en Irak. Cependant, il explique qu’une fois sur place : « Je n’ai rien fait. Je suis juste resté à la maison et je suis allé à la mosquée. C’est tout. ». Et à Raqqa aussi. Alors qu’on a trouvé une vidéo de lui, fusil sur l’épaule, au cœur d’une foule heureuse à la suite d’une victoire de l’Etat islamique au printemps 2015.

Quand on l’interroge sur ses motivations, il explique qu’il n’a « jamais voulu mourir » et que « [s’il] avait su, [il] n’aurait jamais accepté cette mission ». A la fin de son interrogatoire, la Cour n’en saura pas plus : Usman ne sait rien, n’était au courant de rien, ne se souvient de rien.

 

Mohamed Amri

Ancien travailleur du Samu social à Bruxelles, il est venu chercher Salah Abdeslam à Paris le soir des attaques et il est soupçonné d’avoir aidé les frères Abdeslam à louer des voitures utilisées par la cellule terroriste.

Il est dépeint par son épouse, venue témoigner, comme un homme « introverti », « plein de compassion », « trop gentil » et « suiveur ». C’est parce qu’elle le dit capable « d’aller chercher quelqu’un qui lui dit qu’il est dans la merde sans réfléchir » qu’elle est persuadée qu’il ignorait tout des attaques lorsqu’il est allé chercher Salah Abdeslam dans la nuit du 13 novembre.

Alors qu’Amri corrobore tout ce que dit sa femme, sans ajouter beaucoup d’éléments, la Cour finit par le bousculer : comment était-ce possible de ne pas avoir entendu parler de ces attentats le soir même du drame ? était-ce par pure bonté que l’accusé a accepté de faire un aller-retour Bruxelles-Paris en pleine nuit ? C’est ce qu’affirme son épouse, qui dit ne rien avoir remarqué de bizarre à son retour vers midi le lendemain. Elle raconte simplement lui « avoir fait des œufs » et ne pas avoir parlé avec lui des évènements de la veille. A voir ce qu’en penseront les magistrats.

 

Yassine Atar

Son frère Oussama Atar est soupçonné d’avoir piloté les attentats depuis la Syrie. Ils sont des cousins des frères El Bakraoui, qui se sont fait exploser dans le métro et à l’aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016. Yassine Atar est soupçonné d’avoir eu entre les mains une clé donnant accès à une planque de la commune bruxelloise de Schaerbeek où avaient été constituées les ceintures explosives utilisées à Paris, et qui avait hébergé Salah Abdeslam.

Sa ligne de défense : répéter depuis le début qu’il est innocent, qu’il est accusé « par substitution » et « par procuration ». Il ne va cesser d’arguer qu’il n’est pas son frère (« Oussama Atar, c’est Oussama Atar, moi je ne suis pas Oussama Atar ») avec qui il souligne de mauvaises relations, et même de la rancœur (il s’était mobilisé avec toute sa famille pour faire revenir Oussama Atar, alors que ce dernier était enfermé depuis 6 ans en prison en Irak).

Il se distingue étrangement des autres accusés par son débit de paroles : il parle beaucoup et il parle très vite. Au contraire de Krayem ou Bakkali, on sent chez lui une urgence de s’exprimer. Il invoque sa bonne foi à toute épreuve, son désintérêt pour la religion, et se présente comme un jeune homme qui aime les « belles voitures », écoute du rap, va à la salle de sport. Certains éléments de l’instruction ont pourtant démontré des contradictions avec cette image de « playboy » qui ne s’intéressait pas à la religion, le fait qu’il n’accepte pas que sa sœur ait rencontré un homme sans mahram par exemple…

 

Hamza Attou et Ali Oulkadi

Les deux hommes ont également été entendus rapidement le lendemain. Ils sont poursuivis pour avoir joué un rôle dans la fuite de Salah Abdeslam, et encourent respectivement 6 et 20 ans de prison. Ils ont longuement été interrogés sur le quartier de Molebeek, dont ils sont originaires, en particulier sur le café Les Béguines [un café où l’on pouvait s’approvisionner en cannabis, et où étaient visionnées des vidéos de propagande de Daesh et des vidéos d’exaction. Lieu où la plupart des accusés du procès semblent s’être radicalisés].

 

Abdellah Chouaa

Belgo-Marocain, comparaissant libre, il soupçonné d’avoir apporté un soutien logistique à la cellule qui a préparé les attentats du 13 novembre 2015.

Il a longuement été interrogé sur son ami Mohamed Abrini, et sur le voyage de ce dernier en Syrie, à l’été 2015. Abdellah Chouaa a tenté de convaincre la cour d’assises qu’il ignorait tout de la radicalisation de son ami. Pourtant, la Cour lui rappelle qu’il avait lui-même fait des déclarations précises sur Abrini et sa consommation de vidéos de Daech, ses nouvelles fréquentations et ses conversations sur la Syrie.

Malgré ses explications confuses et parfois contradictoires, il continue de nier en bloc et assure que s’il était allé rechercher Abrini à son retour, c’est parce que ce dernier lui avait assuré qu’il n’était pas allé en Syrie : « Je l’ai cru ». La suite des interrogatoires permettra de déterminer à quel point cette apparente naïveté est sincère.

 

Sofien Ayari

Combattant de l’Etat islamique, ce tunisien quitte la Syrie avec Osama Krayem à la fin de l’été 2015, empruntant la « route des migrants », pour atteindre l’Allemagne. Il est arrêté en Belgique le 18 mars 2016 en compagnie de Salah Abdeslam ; il a été condamné à 20 ans de prison en Belgique pour ces faits. Il est soupçonné d’avoir projeté un attentat à Amsterdam le 13 novembre 2015.

Contrairement à Osama Krayem, Ayari a fait le pari d’expliquer son ralliement aux rangs de l’Etat islamique : « Que ce soit clair, ça ne veut pas dire que ce choix était juste. Mais c’était ce que j’avais dans la tête à l’époque. » Il a admis être venu en Europe pour accomplir une « mission », sans s’épancher sur sa nature et son commanditaire. Il a enfin déclaré qu’il n’avait pas été forcé : « Chacun est responsable de ce qu’il a fait. »

Si cet accusé semble assumer ses choix et ses actes, son interrogatoire n’aura pour autant pas permis de savoir en quoi consistait exactement sa « mission » en Europe. Peut-être en apprendra-t-on plus tard.

 

Salah Abdeslam

Le belge est le seul membre du commando des attentats encore en vie. L’une des grandes questions qui se posaient était de savoir si l’accusé, mutique pendant toute la durée de l’instruction, prendrait la parole. Ce fut le cas.

Il est interrogé sur le séjour en Syrie de son frère Brahim (tueur des terrasses parisiennes) début 2015, et sur son ami Abdelhamid Abaaoud, qui deviendra le coordinateur des attentats parisiens.

Sur la question de savoir pourquoi il n’a pas déclenché sa ceinture d’explosif, le soir des attentats parisiens, il sous-entend y avoir renoncé. En effet, il a déclaré : « On est en prison et on se dit qu’en vérité, on aurait dû l’enclencher le truc. On se dit « est-ce que j’ai bien fait de faire marche arrière ou j’aurais dû aller jusqu’au bout ? »». Ainsi, il répète qu’il « n’a tué personne », ce qui semble apparaître comme sa ligne de défense.

Malgré cet instant de renoncement, Salah Abdeslam, que l’expertise psychiatrique a qualifié de « perroquet » de l’Etat islamique, a largement fait connaître sa position : il est un soldat de Daesh. Provocateur, il a également redit son attachement à l’organisation terroriste : « Je les soutiens, je les aime. »

 

Ali El Haddad Asufi

Ce belgo-marocain est accusé d’avoir fourni des armes.

Sur sa pratique de la religion, il répond : « Bah, pratique normale, ça peut s’intensifier à la perte d’un proche, c’est tout, normal ». Et lorsque le Président lui demande ce qu’il pense de l’Etat islamique aujourd’hui, il affirme qu’il pense « un peu la même chose que tout le monde, c’est un peu une pratique rigoriste de l’Islam » et que ce n’est « pas comme ça qu’on l’a éduqué sur la pratique religieuse ».

Ami avec Ibrahim El Bakraoui, il est notamment interrogé sur sa radicalisation, et sur l’aide qu’il a pu apporter à ce dernier pour rejoindre la Syrie à l’été 2015. Durant son interrogatoire, s’il reconnaît avoir été lui rendre visite 41 fois en prison, il jure qu’il n’a jamais perçu la moindre radicalisation. D’ailleurs, il ajoute : « Il était pas radicalisé, il avait des pantalons classiques, des chaussures vernies, il se faisait des brushings, c’était une coiffeuse, en fait ! ». De plus, il assure qu’il n’était pas au courant de la véritable destination d’Ibrahim El Bakraoui, lorsqu’il l’a accompagné à l’aéroport en partance pour la Turquie. Il s’est dit que c’était peut-être « des vacances », puisque l’on était « au mois de juin ».

A la question d’un avocat de parties civiles, il répond qu’il s’est senti trahi par son ami Ibrahim : « C’était un ami. Je l’appréciais, je pensais à une amitié sincère. Et quand on voit après ce qui s’est passé, bien sûr qu’on est trahi. On se sent un peu humilié. »

Ses avocats font tout pour prouver son innocence, faisant notamment valoir la falsification par les policiers belges de ses procès-verbaux, non signés par lui, et menés en l’absence d’avocat.

La 21ème semaine d’audience s’achève sur l’interrogatoire d’El Haddad Asufi, de même que la deuxième phase du procès.

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