FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour le directeur adjoint de l’Association française des Victimes du Terrorisme, la lettre écrite par Dieudonné au terroriste Salah Abdeslam contribue à victimiser les terroristes. Il est urgent de briser cette matrice victimaire, qui banalise les actes et favorise ainsi la radicalisation.
Stéphane Lacombe est directeur adjoint de l’Association française des Victimes du Terrorisme, chargé du pôle prévention.
Alors que le nouveau plan national de prévention de la radicalisation se fait attendre, la société civile doit rester mobilisée face à la banalisation du terrorisme.
Il vient d’être révélé que, le 30 septembre 2017, l’activiste Dieudonné a écrit une lettre à Salah Abdeslam pour le rencontrer en détention. Ce dernier, incarcéré à Fleury-Mérogis, est membre du commando des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Le procès relatif à ces attentats viendra, à n’en pas douter, éprouver la force de notre État de droit dans son exemplarité. Autant dire que les enjeux pour les victimes et pour nos institutions républicaines sont essentiels.
Dieudonné n’ignore pas le pouvoir des mots, comme il l’avait démontré avec son post «Je me sens Charlie Coulibaly», le soir du 11 janvier 2015. C’est la raison pour laquelle il convient de ne pas laisser sans réponse sa missive adressée à Salah Abdeslam. Comme Dieudonné l’écrit, les «actes» ne l’intéressent pas: «Ce qui nous intéresse est de comprendre votre état d’esprit et les raisons qui vous ont poussé à agir. La violence est un mode d’expression qui surgit quand tous les autres ont échoué: l’attentat a pour but d’envoyer un message fort qu’on ne peut transmettre autrement. C’est en tout cas comme ça que nous le comprenons. En discutant avec vous, nous espérons mieux comprendre la profonde révolte qui vous habite et à laquelle la société reste sourde.»
Chaque mot est pesé et permet d’assembler le parfait petit bréviaire de la relativisation du terrorisme: tout d’abord, Dieudonné emploie le terme générique de «violence» et utilise le mot «attentat» comme si la campagne terroriste de Daesh impliquant un degré de préparation militaire et logistique inédit était un fait sans importance. Ensuite, les actes terroristes du 13 novembre 2015 sont ramenés au statut de «mode d’expression» et de «message fort». Cette assertion obscène traduit une certaine empathie avec des actes anti-civilisationnels. Tel un Jean Genet du pauvre (le talent littéraire en moins), Dieudonné trouve dans la figure du terroriste l’incarnation de celle du paria radical à laquelle il aime tant s’identifier. Abdeslam ne pouvait faire «autrement»: le positionnement exprimé par Dieudonné laisse clairement apparaître que des circonstances et des acteurs extérieurs l’auraient poussé à agir comme il l’a fait. Ce qui revient à dédouaner l’individu de sa responsabilité et à accuser en miroir implicitement «la société». Avec, en filigrane, le sempiternel procès des institutions démocratiques par les extrémistes qui seraient les seuls dépositaires de la Justice et de la Vérité. Dans sa courte lettre, Dieudonné escamote ainsi volontairement la portée des actes pour lesquels le terroriste et ses complices seront jugés. Cette stratégie de l’esquive permet de mettre en avant la «profonde révolte» qui serait à l’origine de ces attentats de masse planifiés pendant des mois et impliquant des dizaines d’islamistes entre la Syrie et différents pays européens. Cette rhétorique, chère aux complotistes, ne constitue qu’un mince paravent pour dissimuler une incapacité à penser le réel… et l’autre.
Il existe ainsi un point commun indéniable entre Dieudonné et les activateurs du corpus de la haine: l’adhésion indéfectible à la matrice victimaire. Il est à la fois choquant et pathétique de voir l’ex-partenaire d’Elie Semoun tendre la main à un terroriste islamiste en brandissant ses piteux états de service: Dieudonné a bien été condamné le 21 juin 2016 par la Cour d’appel de Paris à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 10 000 euros pour apologie du terrorisme. L’Association française des Victimes du Terrorisme s’était portée partie civile dans ce dossier en réaction au post «Je me sens Charlie Coulibaly».
Depuis plusieurs années, dans notre travail sur le terrain, nous observons que le processus de radicalisation se polarise autour de la matrice victimaire dont Dieudonné est par ailleurs l’un des plus ardents propagateurs. Il est vrai que la matrice victimaire apporte une proposition à celles et ceux qui décident de rompre avec le contrat social. Elle galvanise également certains acteurs toxiques, notamment sur les réseaux sociaux, prompts à exercer une emprise sur des individus et/ou des groupes. L’enjeu de la matrice victimaire est primordial dans la conception d’une doctrine de prévention efficace et mobilisatrice sur le terrain. La démarche d’un Dieudonné n’en est que plus dangereuse, bien éloignée du pseudo-alibi scientifique dont se prévaut l’activiste et qui ne trompe personne.
Pour construire une stratégie de prévention de la radicalisation, il est impératif de discréditer la matrice victimaire et de circonscrire son pouvoir d’attraction.
Pour comprendre le terrorisme et ses enjeux, nous n’avons donc pas besoin de Dieudonné.
Source : Le Figaro (23/01/2018)
Un commentaire
Bernard GEORGES
24 janvier 2018 at 18 h 19 min
Dieudonné est ignoble, c’est tout!
La psychanalyse d’Hitler pourrait se faire et en expliquant son formattage trouver des explications à son comportement ! il n’empêche que…