Madame la Présidente, mesdames les juges,
Ce procès, ils l’attendaient depuis plus de trois ans.
Les professeurs que j’ai eus l’honneur d’assister et de représenter aux côtés de ma consœur Maître Pascale Edwige, vous l’ont dit lorsqu’ils sont venus à la barre : ce procès, ils l’attendaient depuis plus de trois ans pour connaître la vérité, pour savoir pourquoi et comment leurs anciens élèves ont pu, le 16 octobre 2020, s’engager dans une terrible rencontre, accepter de l’argent de la part d’un homme qu’ils ne connaissaient pas et désigner leur professeur, qui leur enseignait avec passion, rigueur, générosité. Ils l’attendaient, comme tous, pour comprendre…
Au premier jour de ce procès aussi, je me dois de vous dire que la discussion sur la recevabilité de leur constitution de partie civile a été, pour le moins, difficilement vécue par les professeurs.
Votre décision, Madame la Présidente, Mesdames, de renvoyer au fond a néanmoins été un soulagement pour eux. Même s’ils acceptaient d’être renvoyés au fond, voire comme certains l’ont compris, au fond de la salle où s’assoient souvent les élèves qui n’ont pas l’intention de suivre le cours, cela a été pour eux un immense soulagement. Ils voulaient entendre surtout, écouter les uns les autres, pour rassembler les pièces de l’engrenage maléfique qui a coûté la vie à Samuel Paty.
Et puis, il faut bien l’admettre, qu’ils soient là, qu’ils aient pu assister au débat, nous a parfois été utile pour comprendre l’enchaînement des faits, quand vous les avez fait venir à la barre, Madame la Présidente, afin qu’ils précisent tel ou tel point dans le déroulé de ces dix jours terribles, parti du mensonge de l’une, devenu rumeur virale près de dix jours, pour aboutir à l’assassinat de leur collègue.
Ces dix jours de rumeurs ont été au cœur de cette audience. La rumeur, cette bête immonde, cette pieuvre qui a accaparé le cerveau d’un élève, nous avons pu la disséquer durant ce procès. Mais il faut bien le dire, leur accueil pour le moins glacial sur le banc des parties civiles, est aussi la résultante d’une autre rumeur dont ils ont été, dont ils sont les victimes, directes pour le coup. Ce n’est pas le lieu d’en parler plus ici. Mais ce procès a été, pour eux et pour la première fois, l’occasion d’y répondre, en partie, suffisamment, espèrent-ils pour la stopper. Ils ont l’espoir, et c’est ce qui compte le plus pour eux, d’avoir été entendus par la famille de Samuel Paty.
Pour eux, les collègues de Samuel, c’était important qu’ils disent à sa famille qu’ils s’étaient tous inquiétés pour lui, que l’un s’était rendu chez lui, que l’autre l’avait attendu, certains soirs pour le raccompagner. Hélas pas le 16 octobre, et la culpabilité est immense. Qu’ils avaient pleuré pour lui, qu’ils pleuraient toujours pour lui et qu’ils ne l’oublieront jamais. Qu’au collège, ils font vivre tous les jours sa mémoire et que, bien sûr, le Collège du Bois d’Aulne s’appellera un jour, bientôt, Collège Samuel Paty. Ils le souhaitent. De tout cœur. Ce n’était qu’une question de temps. Parce qu’il y a un temps pour tout. Je crois qu’ils ont été compris.
La souffrance d’avoir perdu leur collègue, sauvagement assassiné, vous l’avez ressentie, palpée à cette barre, comme au fond de cette salle.
Les cauchemars, la peur, l’angoisse, la fin d’une carrière, les changements de vie… Pour autant, quel que soit leur traumatisme, il n’est pas et ne sera jamais à la hauteur de celui de la famille de Samuel Paty. Ça, ils ne l’ont jamais prétendu. C’est évident ! Tellement évident, qu’il est presque incongru d’avoir à le rappeler ici. Mais comment imaginer qu’ils auraient pu faire cours, durant cette audience, comme si rien n’était arrivé à leur collègue, comme si rien n’avait existé ? Comme si Samuel Paty n’avait été personne pour eux. Ils se devaient, ils lui devaient, d’être aux côtés de sa famille, avec eux, en ces jours si douloureux se tenir au plus près d’eux, en leur témoignant toute leur sympathie.
Eux aussi tenaient à la sérénité des débats et en aucun cas n’auraient voulu que soit perturbée l’audience, que soit retenue la parole des élèves à la barre. Si elle l’a été, personne ne peut dire, il nous semble, qu’elle le fut du fait de leur présence. Ils ont su se faire oublier… au fond !
Écouter les prévenus, comme pour tous, c’était important pour eux. Ils avaient aussi besoin d’être ici pour renouer la confiance avec les élèves en général, si possible, se réconcilier avec eux, ceux-là comme ceux qu’ils retrouveront en classe lundi matin et dans les jours qui suivront, pour continuer d’être professeurs et reprendre le cours de leur vie.
En effet, ce drame qui a coûté la vie à leur collègue a fortement impacté leur enseignement, leur souhait d’enseigner, outre leur vie personnelle.
Connaître la vérité, même avec toute sa violence, était, est essentiel pour eux. Ces élèves, ils avaient de l’affection pour eux, ils avaient confiance en eux, ils leur enseignaient avec humanité et générosité, tout comme le faisait leur collègue, Samuel Paty.
Alors au terme de ce procès, des réponses, ils en ont eu, oui. Mais si peu pour leur redonner de l’espoir. Combien ont été douloureux, pour eux, comme pour tous, les « je ne sais plus, je ne sais pas, je ne me souviens plus, j’ai oublié » et les silences aux questions posées… qui laissent supposer, qu’au-delà des regrets, des remords, qu’ils ont exprimés, des excuses qu’ils ont présentées, il restait encore un long chemin à parcourir pour qu’ils soient tangibles, pour qu’ils soient, tous, vraiment crus.
Alors des réponses, oui, mais comment comprendre ? Que pour quelques billets de 10 €, même en liasse, même si on n’en avait jamais vu autant, on puisse cesser de réfléchir, être obnubilé, s’ensauvager au point de donner en pâture, l’homme qui vous a fait cours quelques heures avant ? Ce procès, hélas, n’a pas permis de le comprendre.
Madame la Présidente, mesdames les juges, quand vous rendrez votre décision, contre les prévenus, vous déclarez également recevables les constitutions de partie civile des professeurs.
En droit, comme nous l’avons soutenu dans nos conclusions, transmises à l’ouverture de cette audience, leur recevabilité se fonde essentiellement sur la connexité entre les délits pour lesquels ces prévenus ont été renvoyés devant votre juridiction du fait de leur minorité, avec les autres infractions de nature terroriste pour lesquelles sont renvoyés les majeurs également impliqués dans ce drame, devant la Cour d’assises spécialement composée. Cette connexité, l’audience en a fait la démonstration.
Avec la dénonciation calomnieuse, reprise par les réseaux sociaux, repostée par des centaines d’internautes, vous direz les professeurs du collège du Bois d’Aulne, victimes par ricochet du mensonge dont a été cruellement victime Samuel Paty. Cette cruauté, les mots manquent pour la définir, tant l’enfance, généralement, évoque l’innocence.
Mais aussi, vous direz que les professeurs du Collège du Bois d’Aulne, soumis à des menaces de représailles depuis le 10 octobre 2020, soit toute la semaine qui a précédé l’assassinat de leur collègue, ont été directement victimes de ces menaces, comme ils ont été directement victimes du choc émotionnel consécutif, d’abord à cet assassinat, ensuite d’apprendre que certains de leurs élèves avaient constitué l’association de malfaiteurs qui avait conduit à la désignation de Samuel Paty, puis à son assassinat.
Tous les plaignants que nous représentons, ont subi directement ce choc émotionnel qui a entrainé de graves blessures psychologiques et psychiques.
Pour la réparation de ces préjudices, subis par les professeurs, collègues de Samuel Paty, du fait même de cette connexité, nous vous demandons le renvoi devant la Juridiction d’Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme (JIVAT), ayant compétence pour statuer sur la réparation des préjudices résultant de l’ensemble des crimes et délits ayant contribué à l’assassinat de Samuel Paty. Ses collègues n’ont pas d’autres demandes, si ce n’est de retrouver l’espoir en ces élèves qui ont si gravement failli.