Monsieur le Président, Mesdames Messieurs de la Cour
Tout au long de ce procès, j’ai eu l’honneur d’assister et de représenter l’AfVT, l’Association française des Victimes du Terrorisme, avec ma consœur, Maître Pascale EDWIGE qui vient de s’exprimer. Je m’associe à ce qui vient d’être dit et n’ai rien, pour l’heure, à rajouter.
J’ai également eu l’honneur, avec ma consœur, Me Isabelle TESTE, d’assister et de représenter les collègues de Samuel Paty, seize collègues, professeurs, principale-adjointe, CPE et agent d’accueil, pour lesquels, je soutiendrai leurs constitutions, voire leurs réitérations, lors de l’audience civile que vous fixerez.
S’ils ont tenu à se constituer à l’ouverture de ce procès, comme ils l’ont déjà fait devant le Tribunal pour enfants l’an dernier, ce n’est pas pour venir chercher un quelconque « diplôme de victime » comme nous avons pu le lire. Ils n’en ont pas besoin. Des mots dictés, sans aucun doute par la colère, que nous comprenons. Que nous partageons.
S’ils sont là, c’est d’abord pour la famille de Samuel PATY.
Pour se tenir, assis, discrets, mais à leurs côtés, au plus près d’eux, au plus chaud j’ai envie de dire. Pour honorer la mémoire du fils, du frère, de l’oncle, du père. À leurs côtés, sur le banc des parties civiles.
Les cauchemars, la peur, l’angoisse, la fin d’un rêve et d’une carrière, les changements de vie… Quels que soient leurs traumatismes, rien n’est et ne sera jamais à la hauteur, à l’aune de la douleur, de la souffrance, des cauchemars éprouvés par les proches de Samuel Paty. C’est évident ! Tellement évident, qu’il est presque incongru d’avoir à le rappeler ici.
Ils sont là, parce qu’il fallait qu’ils leur disent, par leur présence, qu’ils n’oublieront jamais Samuel. Que le collège, non plus ne l’oubliera pas. Tous les jours, ils y font vivre sa mémoire et, bien sûr, le Collège du Bois d’Aulne s’appellera, s’appelle aujourd’hui, Collège Samuel Paty. Ils l’ont souhaité. Son conseil d’administration l’a voté. À l’unanimité.
S’ils sont là aussi, c’est pour honorer la mémoire de Samuel Paty.
Qui peut imaginer que ces profs auraient pu faire cours, « normalement », comme si rien n’était arrivé, comme si l’horreur n’avait pas été perpétrée contre leur collègue, pendant qu’ici se tiendrait le procès de ces hommes, de cette femme ?
Pendant que seraient décortiqués les faits, les actes, les mots, oui, « La Force des mots » des uns et des autres, que seraient démontées les roues dentées de l’engrenage qui a broyé leur collègue ?
Samuel était un des leurs. De leur équipe pédagogique. Tout simplement. Un prof d’histoire, sans histoire, anonyme comme eux, comme des milliers d’autres en France, qui se croisent à l’entrée du collège, le matin, au détour d’un couloir ou dans la salle des profs, avec lequel on discute de choses et d’autres.
« Avec Samuel, on s’entendait bien. Se souvient Guillaume. On n’avait pas de classes en commun cette année. On partageait ensemble un créneau « Devoirs faits ». Souvent, quand il allait se prendre un café en salle des profs au début du créneau, il me demandait si j’en voulais un. Et souvent, je disais oui. Il me rapportait le café dans sa tasse R2/D2. Il était comme moi, un grand fan de Star Wars. On disait qu’on irait voir un film bientôt au cinéma. Et qu’on referait des parties de ping-pong comme l’an dernier ».
« Samuel, c’était un prénom pour moi, pour mes collègues dit Charlotte.
Pas un surhomme, pas un surprof, comme on l’a présenté après pour tenter de l’ériger en héros « mort pour la République », comme si cela pouvait donner un sens à cet attentat. Mais un mec qu’on a connu. Qui avait un sac Eastpak à plus de 40 ans et qui portait des baskets de tennis. Qui tenait des conversations passionnantes et parfois trop longues sur l’art à Vienne, les Cure, le néo management dans l’Éducation nationale. Qui pouvait faire des compliments lourds sur la couleur de votre robe ou des jeux de mots pas drôles. Qui avait un fils dont il était très fier.
Un mec humble, qui parlait de Michel Pastoureau mais n’avait jamais précisé qu’il avait écrit un mémoire sur la couleur noire. Un mec avec beaucoup d’empathie :
- « Ah, elle ne dort pas bien en ce moment, ça se voit »,
- « Toi, c’est que tu n’arrives pas à maîtriser tes émotions ». Touchée(s).
Un mec comme tant d’autres…
Un prof qui faisait bien son travail, consciencieux, qui se remettait en question et essayait parfois des trucs nouveaux, pas pour faire bien mais par curiosité, qui s’intéressait aux élèves, qui voulait être tuteur, faire des projets, être référent culture, qui nous saoulait avec sa journée médiévale. Un prof comme tant d’autres. Qui a été tué comme tant d’autres auraient pu l’être ».
Certains de ses collègues étaient arrivés au Bois d’Aulne avant lui, d’autres en septembre, quelques semaines seulement avant le drame. Qu’importe ! Aucun d’entre eux ne s’est jamais targué d’avoir été au nombre de ses amis, mais il a été, il a existé, il n’était pas rien, il n’était pas un chien si tant est que l’on puisse infliger à une bête le sort qu’il a subi. C’est pour ça, pour lui, qu’ils sont à ce procès.
Non Monsieur PATY, vos collègues ne vous ont pas lâchement abandonné, ils ont fait ce qu’ils ont pu pour vous protéger, pour vous aider. En surveillant les entrées et les sorties du collège, sur les écrans de contrôle des caméras de ses abords par celle que vous n’avez pas eu le temps d’appeler Marie-Ange ; En se rendant à votre domicile, parce que vous ne répondiez pas au téléphone après la réunion des parents à laquelle vous n’avez pas assisté ; avec vous au commissariat pour vous soutenir ; en vous attendant le matin à 7h30 devant chez vous et en vous raccompagnant, du collège à votre domicile le soir…
Sauf LE SOIR, LE SOIR du 16 octobre… Hélas… Leur sentiment de culpabilité est immense, à fleur de peau sur chacun d’eux, n’avoir pu empêcher l’agression, l’horreur de ce qui vous est arrivé.
Vous l’avez entendu à cette barre, Charlie, Monsieur JACQUIN. Tous, jusqu’au fond du box des accusés, l’ont entendu « ce professeur de gym », ruminer son désespoir, prolonger devant vous le cauchemar qui l’assaille toutes les nuits, ces deux trois minutes perdues dans les étages du collège, pour aller reposer un livre, après la sonnerie, ce 16 octobre, juste après avoir croisé Samuel PATY.
Et puis son trajet en voiture… ces deux hommes au sol, ces gestes de va et vient de l’un sur l’autre qu’il prend d’abord pour un massage cardiaque mais les mains ensanglantées de celui qui se relève… je n’irai pas aller plus loin dans la description de l’horreur dont il a été le seul témoin.
Tous ont eu peur au collège pendant ces huit jours qui ont précédé l’horreur. Lorsqu’ils ont découvert que le nom de Samuel et celui du collège avaient été publiés sur Facebook, puis que des vidéos, circulaient. Virales. Des milliers de vues, tout de suite, envoyées, renvoyées, sur des milliers d’autres comptes, sur Facebook et sur d’autres réseaux sociaux. 400 vues le samedi matin, 4 000 le dimanche soir.
Pour mémoire, je vais vous redire, le message vocal laissé sur le répondeur du collège, par un brave homme, anonyme, bien sûr, se disant de Montpellier, le 10 octobre 2020 à 11h31 :
« Oui, bonjour le collège de racistes ! Etant donné les informations que nous avons reçues, on va s’occuper de votre PATY, d’accord ? de votre professeur d’histoire et de votre collège… Si vous ne faites pas quelque chose rapidement, il va s’en prendre plein la gueule et votre collège aussi ! Etc.
Concrètement, la peur s’est abattue sur le collège, lorsque son personnel a découvert que le père d’une élève, accompagné d’un représentant des Imams de France, avaient traité Samuel de voyou.
Vous imaginez ? Un représentant des Imams de France, en plein procès des attentats de janvier 2015, après la republication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, deux semaines après l’attentat près des anciens locaux de ce journal, l’agresseur ignorant qu’il avait déménagé ?
Un représentant des Imams de France, qui menaçait d’alerter la presse, (c’est-à-dire de surmultiplier urbi et orbi, à Paris, comme à Montpellier, en France, comme à l’étranger, la notoriété du nom de Samuel et du Collège) et de rassembler devant ses grilles, des musulmans pour dénoncer un professeur qui aurait « insulté le prophète » et « discriminé des musulmans » ? Dans ce contexte, vous imaginez ?
Bonjour le couscous républicain !
Bonjour !
Samuel PATY ne s’y est pas trompé, dans son mail du dimanche soir, 11 octobre, lorsqu’il écrivait à ses collègues « qu’il était menacé par « DES ISLAMISTES LOCAUX ». Et tout l’établissement aussi. A-t-il ajouté.
Et tous ses collègues ne s’y sont pas trompés, non plus. Car si, sur le banc des accusés personne ne lit les journaux, ne suit l’actualité, n’écoute les infos, EUX, les profs, comme tout un chacun, en France en vérité, étaient au courant, savaient le contexte que je viens d’évoquer : le procès, les caricatures, l’attentat au hachoir de la rue Paul Appert du 27 septembre 2020.
Alors, c’est la boule au ventre, après avoir pris connaissance du mail de Samuel, que les collègues se sont rendus au collège, le lundi matin.
« Je me souviens de cette peur latente, que nous tenions à distance par l’humour, dit Charlotte :
« Mais non, un terroriste ne va pas venir jusqu’ici, c’est trop loin de la gare. »
« Tu crois que je peux mettre mes chaussures à talons aujourd’hui ? Ce n’est pas pratique pour courir dans les couloirs. »
« Et si j’entends quelqu’un entrer dans le collège, je fais quoi ? Je ferme la porte à clé et je me cache sous le bureau ? Ou je prends la fuite en direction du portail d’EPS ?
On dit que la peur est un signal que notre corps envoie à notre cerveau pour nous protéger d’un danger. Mais à partir de quand sait-on qu’une peur est rationnelle et justifiée, qu’elle nous signale un danger réel, imminent ?
« J’ai tellement peur. Se souvient Aurélie… Nous sommes plusieurs à l’éprouver sans trop oser faire part à tous de cette innommable angoisse. Je ne me sens pas vraiment paranoïaque. Mais je sais que l’on peut s’attendre au pire ».
Et Marie-Ange, dans sa loge vitrée, celle dont on s’est moqué, qui en aurait fait des tonnes quand elle a dit sa peur à cette barre, alors qu’on avait « seulement tapoté sur sa vitre pour demander à rentrer au collège », qui n’arrête plus, ce lundi du 12 octobre, de décrocher le téléphone et se prendre des bordées d’injures.
« L’atmosphère est électrique », relève Charlotte, déléguée des professeurs, qui propose alors une réunion entre la direction et les collègues en présence de Monsieur ROY le référent laïcité du rectorat, afin que chacun puisse s’exprimer et que tout soit transparent.
Mais en fait, loin de les rassurer, cette réunion improvisée à 12h pour 17 h les a encore plus paniqués.
« Samuel est présent, se souvient Aurélie, il s’asperge frénétiquement les mains de gel hydroalcoolique. Ce que j’en retiens, c’est la peur qui nous habite tous car nous nous savons menacés.
« Et qu’est-ce que je fais si quelqu’un tente de s’introduire dans le collège ? ». Demande un surveillant. Pas de réponse. Je retiens la gêne, la compassion à l’égard de Samuel ».
« D’autres surveillants prennent alors la parole successivement pour insister sur la question, précise David, également présent.
Madame FOUILLARD répond cette fois, en expliquant qu’elle sera là avec eux, pour faire rentrer les élèves avant de fermer les grilles.
« Et alors ? qu’est-ce que ça change ? » lui lance Oussama, un des surveillants.
« Je dis à la personne qui arrive avec un couteau : « Hey attends, je rentre les élèves et après je ferme la grille ? ».
« On se fout de notre gueule marmonne OUSSAMA, près de David qui poursuit :
M.ROY nous dit alors : « tout est fait pour assurer votre sécurité. Ce que je vous demande c’est de ne pas exercer votre droit de retrait, car cela risque de faire enfler la polémique et d’affaiblir votre collègue en braquant les projecteurs sur lui. De même, je vous demande de ne pas parler à la presse pour cette raison ».
Avant la réunion, Samuel avait demandé à Guillaume, s’il pourrait le déposer près de chez lui, après.
« J’accepte bien évidemment », dit Guillaume. Et comme prévu, Samuel s’engouffre dans sa voiture à la fin de la réunion.
Sur le parking plusieurs d’entre eux, dont David, Charlotte, se retrouvent.
« En voyant la voiture de Guillaume passer avec Samuel à l’intérieur. On comprend qu’il le ramène chez lui, comme tous les jours après les cours. Cela nous conforte dans cette impression que le danger est réel ».
Durant le trajet Samuel met sa capuche. Il a l’air absent. Il reste silencieux avant de demander à Guillaume, de le déposer pas trop loin mais pas trop près non plus… »
« Le reste de la semaine ressemble à un tunnel dans lequel on s’engouffre en apnée, en attendant les vacances, censées nous libérer du danger », dit Charlotte.
« Devoir nous rendre chaque jour dans ce lieu qui représente une menace nous angoisse, mais nous essayons de rationaliser ces pensées. Durant ces derniers jours, la tension médiatique semble être un peu retombée et aucun élément nouveau ne nous alerte. Nous attendons le vendredi 16 octobre à 17h comme notre salut ».
Alors, le constat est simple, sans appel : par leurs agissements, par leurs propos, par leurs vidéos, Messieurs CHNINA et SEFRIOUI ont placé Samuel PATY et tout le collège aussi dans l’axe de la menace. Dans l’axe du couteau d’ANZOROV.
Et je dis bien Messieurs CHNINA et SEFRIOUI car on retrouve dans la revendication d’ANZOROV l’adresse à Macron, comme en écho au discours des Mureaux, dans lequel, le président de la République, aurait appelé à « haïr les musulmans », évoqué, central, dans la vidéo mise en ligne le 11 octobre par l’autoproclamé représentant des Imams de France.
Mais si tous ont eu peur pendant ces dix jours terribles, c’est pour vous, surtout, qu’ils ont eu peur, Monsieur PATY. Et ils ont admiré votre courage et votre détermination, à faire cours en ces derniers jours quand vous traversiez la cour de récré, feignant de ne pas voir les regards haineux que l’on vous jetait, de ne pas entendre les insultes que l’on murmurait sur votre passage, lorsque vous alliez chercher votre classe.
Non Monsieur PATY, vos collègues ne vous ont pas lâchement abandonné, ils ont été là, hier, à vos côtés. Ils sont là, aujourd’hui, aux côtés de votre famille.
Alors le 16 octobre…
Les cours, le déjeuner dans la salle des profs, la partie de ping-pong avec David, le mot gentil pour Aurélie, les cours de l’après-midi, et puis la sonnerie, enfin ! le salut à Charlie et le « bonnes vacances ! » à Marie-Ange. On sait aujourd’hui que chacun de ces moments était « le dernier » pour Samuel. Avec Samuel.
Après, le drame, après l’horreur, les pleurs, les cris, la douleur, la consternation, comme nous tous en France, les collègues de Samuel l’ont vécu. Ils l’ont vécu comme nous, mais un peu plus, beaucoup plus encore.
Le lendemain, ceux qui n’étaient pas encore partis, ont tout annulé pour retourner au collège avec ceux qui n’avaient pas prévu de partir. Stress…Tristesse…
Les barrières de sécurité, deux, trois, qu’il faut passer en montrant ses papiers.
Les caméras, les micros qui se tendent qui se projettent vers vous.
L’entrée du collège jonché de fleurs comme dans un cimetière à la Toussaint. On y était.
Et puis la rentrée : pour le rectorat, il fallait que les classes reprennent dès le lundi. Au plus vite ! Allez ! maths, français, gym, histoire-géo… comme s’il n’était rien arrivé à Samuel PATY.
Ils ont arraché ce lundi, de haute lutte, il a fallu qu’ils se battent pour ça. Ils l’ont arraché pour pouvoir se préparer pour accueillir les élèves.
Quid de leur souffrance ? Quid de leur choc ? quid de leur sidération ? Non, il fallait qu’ils accueillent les élèves :
« Vous êtes des piliers pour eux », leur a -t-on dit. On compte sur vous. En clair débrouillez-vous !
Alors, haut les cœurs ! ils ont accueilli les élèves avec leurs costumes de profs en façade… mais en miettes à l’intérieur…
Et là, comme du mazout, la nappe visqueuse de l’attentat a continué à se répandre lentement sur ces profs, dans le collège.
Deux par classe, toute la journée du mardi, ils ont effectivement « accueilli » les élèves. Tous les élèves.
Ceux bouleversés comme eux, la masse, évidemment, traumatisée encore à ce jour et toujours psychologiquement suivi.
Mais aussi ceux qui étaient encore persuadés, et ils l’ont été longtemps, que Zayna avait dit la vérité et que « ça ne se fait pas de blasphémer ».
Ceux qui avaient jeté des regards haineux et murmurés des insultes au passage de Samuel dans la cour de récré.
Ceux dont les parents, sur leurs dires, avaient appelé le collège pour se plaindre du cours de M. Paty.
Ceux qui continuaient à consulter … « en loucedé », passez-moi l’expression, et à s’envoyer la photo de Samuel PATY mutilé, publiée par Anzorov après son crime.
Les trois quarts l’avaient vue cette photo et un élève, dans la classe de David et de Charlotte s’est encore esclaffé en en parlant, disant qu’elle ne l’avait pas choquée.
Charlotte, pour susciter la discussion dans une de ses classes, en 5ème, a proposé à chacun de prendre une demi-feuille et d’écrire quelque chose, qu’il voudrait dire sur le drame qui venait de se produire.
Elle a dit qu’elle ramasserait les feuilles. Pour les lire, une à une à haute voix. Pour faire réagir…
Sur une de ces feuilles, un élève a écrit :
RIP LE TERRORISTE – REST IN PEACE – REPOSE EN PAIX LE TERRORISTE. Voilà ce qu’un élève de 6ème a écrit.
Et même, ce matin-là, ils ont accueilli, mais ça, ils ne le savaient pas encore, ils ont accueilli, comme les autres, avec toute leur compassion, avec le maximum de délicatesse possible, prenant sur eux comme je l’ai dit, ceux qui avaient passé l’après-midi avec ANZOROV et ceux qui étaient restés jusqu’à la fin des cours, pour attendre Samuel, leur professeur, pour le montrer du doigt.
Ça, les professeurs, ne le savaient pas à la rentrée. Ne le savaient pas à ce moment-là. Pratiquement tous les élèves du collège savaient le rôle joué par certains d’entre eux mais EUX ne le savaient pas. C’est au fur et à mesure que les jours s’écoulaient durant ces semaines de novembre, qu’ils ont réalisé… que deux élèves n’avaient pas repris les cours… que certains disparaissaient et revenaient… ou ne revenaient plus… Garde à vue…
Et, là, ils ont compris, ces profs, le rôle qu’avaient joué certains de leurs élèves dans cet enchainement maléfique. Ils avaient tout simplement désigné Samuel à son assassin…
Cinq d’entre eux, ont été jugé, mais ils étaient plus nombreux au début, qui ont croisé ANZOROV, qui ont refusé son deal, son argent, mais qui n’ont pas prévenu pour autant, qui sont juste rentrés chez eux ou qui ont trainé aux alentours sans prévenir quiconque de ce qui se tramait. Ne sait-on jamais… Y’aurait peut-être quelque chose à voir !
Il a été jugé qu’aucun de ces cinq ne savait ce que comptait faire Anzorov. Qu’ils n’avaient pas vu le couteau dans son sac. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils comptaient bien assister au spectacle, à celui de leur professeur qu’ils avaient eu quelques heures avant ou l’année précédente ou encore en soutien, se faire humilier, cracher dessus, frapper.
Vous imaginez le choc ? Vous imaginez la claque, pour ces professeurs ?
Vous imaginez, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs de la Cour ?
Ces élèves, ceux de Samuel mais aussi les leurs, auxquels ils se dévouaient, auxquels ils accordaient toute leur attention, qui étaient si mignons en classe, qui ne bronchaient pas, toujours volontaires pour distribuer des feuilles, qu’on soutenait dans les matières en difficulté pour qu’ils réussissent… ils avaient montré du doigt Samuel PATY. N’importe lequel d’entre-eux, aurait pu être à sa place…
Comment faire cours après ça ? Retourner en classe ? les voir assis devant vous, si mignons encore, toujours aussi volontaires, leur faire cours ?
Plus largement, comment continuer à exercer ce métier que tous ont choisi par vocation, après ça ?
Comme vous le savez, David préparait l’agrégation d’histoire… Ce n’est pas rien, une agrégation. Ce sont des années d’investissement. Il est aujourd’hui directeur du marketing d’une petite société… Il n’a pas pu terminer l’année scolaire… Il n’a pas pu supporter d’entendre avant la fin même du 1er trimestre de cette horrible année scolaire, un élève de 6ème, hurlait sur un autre, dans la cour du collège du Bois d’Aulne, qu’il allait lui faire « une samuelpaty ».
D’autres collègues, s’ils n’ont pas quitté l’enseignement secondaire, ont quitté ce collège, cette ville, cette académie, comme Chloé. L’Éducation nationale leur avait promis de leur facilité leur démarche pour de nouvelles affectations… Mais rien ne leur a été épargné.
D’autres se sont mis et sont encore en disponibilité, qui ne peuvent reprendre et qui trainent encore leur souffrance en fardeau.
Et puis il y a ceux qui ont repris… vaille que vaille…
Aurélie, Marianne, Audrey, je ne voudrais mais je ne peux pas tous les citer, mais ils sont là…
Ça ne se voit pas, mais ce sont des grands brulés. Comme toutes les victimes d’attentats, directes indirectes, par ricochet, comme on voudra, parce que ce sont des notions qui n’existent pas en psychiatrie. Tous les experts qui se sont succédé à cette barre de procès en procès, vous l’ont dit, vous les avez entendus : dès lors qu’on a vu la mort, qu’on en a connu la sensation directe, pas fantasmée, pas celle qui arrivera pour tous un jour, mais celle tout de suite, devant soi, on en est irradié et c’est avec cette sensation de la mort imminente qu’il faut vivre désormais.
Pour autant, au collège, rien n’a jamais été prévu pour eux. Rien, depuis le début, comme je vous l’ai dit et rien jusqu’à présent.
Vous savez… Charlotte me l’a redit hier encore … heureusement qu’il y avait l’AfVT. Oui… heureusement qu’il y avait l’AfVT.
Elle me l’a encore redit hier. C’est Madame ANGLADE, cofondatrice et membre du Conseil d’administration de l’AfVT, que vous avez entendue à cette barre, le 22 novembre dernier, qui a pris l’initiative d’appeler Madame FOUILLARD pour proposer son aide aux profs. Prof elle-même, victime d’un attentat elle-même, elle savait… Et elle a monté un programme d’écoute, des profs, des élèves, d’échanges, de rencontres avec d’autres victimes. Ce programme d’actions éducatives qu’elle décline désormais à longueur d’année dans toutes les académies de France, Chantal Anglade l’a mis en place, dès la fin novembre au Collège du Bois d’Aulne et jusqu’à l’an dernier elle s’y est rendue quatre fois par an à la rencontre des professeurs et des élèves, avec d’autres victimes d’attentat, pour qu’ils se parlent pour qu’ils échangent sur le terrorisme, eux qui ont vécu cet attentat. Pour que ça sorte…
Et c’est encore à l’initiative des profs, de Charlotte, dans le sillage de Madame Anglade et de l’AfVT que s’est mis en place au collège du Bois d’Aulne, un groupe de parole, autour d’une psychologue qui réunit les professeurs volontaires, une fois par mois, encore aujourd’hui.
Enfin, la présence de ces professeurs du collège de Samuel PATY, à ce procès, est aussi pour tous les professeurs de France, pour tout le personnel enseignant. C’est aussi pour eux qu’ils sont venus, qu’ils sont là. Ils les représentent aujourd’hui et ils savent à leurs côtés, sans jamais désemparer, depuis l’assassinat de leur collègue.
Ils sont 45 000 professeurs d’histoire-géographie en France -si j’ai bien noté-a décompté Madame Joëlle ALAZARD à cette barre.
- « 45 000 mais aujourd’hui, on a du mal à recruter des professeurs d’histoire », a-t-elle ajouté.
- « Tous ont été fortement choqué par l’assassinat de Samuel PATY. C’est un deuil qui ne passe pas depuis quatre ans». « Ils ont été sidérés » a-t-elle dit.
Et cette sidération s’est aggravée avec l’assassinat de Dominique BERNARD, ce professeur de français, assassiné parce que professeur, presque trois ans jour pour jour, le 13 octobre 2023, au sein même de son établissement, le Groupe Scolaire Gambetta-Carnot-tout un symbole, rien qu’en ces noms, des valeurs républicaines, qu’incarne, qu’a pour mission de transmettre, le corps enseignant.
Ils étaient là, eux aussi, à votre audience, les proches et les collègues de Dominique BERNARD, ensemble, le jour où sont venus déposer à votre barre, la maman de Samuel, ses sœurs, la maman de Gabriel. Pour leur dire toute leur sympathie, pour être à leurs côtés, aux côtés des professeurs du Collège Samuel PATY, aujourd’hui, avec lesquels, ils ont désormais tissé des liens étroits. De victimes à victimes.
Alors l’école !… Pour conclure… je ne vais pas être long. Vous avez entendu mes confrères, hier et ce matin avant moi. Vous les entendrez encore, après moi, je leur laisse la parole, vous dire sa mission, sa vocation, la transmission de nos valeurs, républicaines, la laïcité, la liberté, la liberté d’expression.
- « Bravo l’enseignant !» a lancé par trois fois, mon confrère Benoit CHABERT hier soir,
- « Bravo pour ces enseignants qui parfois se lèvent en ayant peur», a-t-il.
J’ai envie d’ajouter :
« Qui parfois se demandent s’ils ne devront bientôt pas faire cours avec un gilet pare-balles » …
Hier, aussi, j’ai eu les larmes yeux, lorsque ma consœur Sabrina GOLDMAN a prononcé ce vers :
« Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place… »
J’ai eu les larmes aux yeux, bien sûr, parce que le Chant des Partisans, c’est l’hymne de la Résistance…
Et, puis je me suis dit : on en est là ?
SI TU TOMBES – SORT DE L’OMBRE – LA RESISTANCE ?
On est là pour parler de l’école et du métier d’enseigner ?
C’est vertigineux. Et c’est inacceptable.
Alors, à côté de l’école, qui transmet, pilier de notre société, vous êtes, l’autre pilier. Celui qui dit le droit. Celui qui le fait appliquer. Celui qui pose des limites. Et ce que nous attendons, pour l’école, pour sa protection, c’est un message clair, c’est un message de fermeté. On ne touche pas à l’école. On ne touche pas à nos profs.
Il y a eu Samuel PATY, il y a eu Dominique BERNARD. Il ne doit pas y en avoir trois.