Ne rien faire, c’est laisser faire.

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Contexte pédagogique

Le lycée Pierre-et-Marie-Curie de Menton est sympathique et dynamique ! C’est avec une équipe de professeurs de langues (il faut dire qu’à Menton on parle presqu’aussi bien Français et Italien) et d’Histoire que nous préparons la rencontre avec nos deux témoins. Et avec des élèves de 1ère L, mais aussi avec ceux du Micro-lycée, une petite structure qui compte quelques élèves anciennement « décrocheurs », et ceux qui prennent soin du Jardin pour la Paix.

Le vendredi 7 Décembre 2018, nous sommes allés  visiter le Camp des Milles, en compagnie de Herbert Traube raflé le 26 août 1942 qui y fut interné et s’en est évadé : Résistant et libérateur de la France, cet homme de 92 ans aime répéter « Je conjugue toujours RESISTER au présent ».

La visite du Camp des Milles permet de se poser des questions qui nous mettent face à nous-mêmes : Comment une personne ordinaire devient-elle un bourreau ? Comment la passivité ou l’indifférence encouragent-elles le racisme ? Comment résister ?

Article dans Nice Matin, à propos de l’exposition des élèves du lycée dans leur CDI suite à leur sortie au camp des Milles : ici

Nous avons tenté deux jours plus tard, en classe cette fois-ci, d’appliquer ces questions difficiles au phénomène terroriste dans notre société : les discriminations de toute sorte ne sont-elles pas un premier pas vers l’action violente, ou du moins le terreau qui lui permet de naître ? Entendre des propos qui excusent le terrorisme, n’est-ce pas en être complices ? Ne rien faire, est-ce encore laisser faire ?

Enfin, le Vendredi 18 Janvier 2019, les élèves rencontrent Danièle Klein qui a perdu son frère dans l’attentat du DC10 du 19 septembre 1989 et Georges Salines, médecin de santé publique, père de  Lola décédée dans l’attentat du Bataclan, le 13 Novembre 2015. Il a été Président de l’association  13onze15 : fraternité et vérité .

 

Danièle Klein et Georges Salines

 

DANIELE KLEIN : On a perdu un petit bout d’humanité.

« Le 18 janvier, avec Georges Salines qui a lui, perdu Lola, sa fille au Bataclan, nous étions attendus au Lycée Pierre et Marie Curie de Menton.

Chacun porteur de notre histoire tragique, nous avions 2 heures pour raconter, répondre aux questions et surtout dialoguer librement avec la trentaine de lycéens présents ce jour, et avec leurs professeurs.

Deux heures, c’est peu, mais déjà suffisant pour se connaître, échanger et créer un lien avec ces jeunes gens.

Le lycée de menton, est perché sur le flanc d’une colline qui surplombe cette charmante ville du sud. Le long des routes en janvier, il y a déjà des bouquets d’arbres de mimosas qui embaument les airs. Avec le soleil en pleine face, de la grande cour du lycée, on admire la mer et les côtes italiennes. C’est réjouissant, alors qu’à Paris, il fait – 3 °.

On pourrait penser que les lycéens de ce tranquille établissement de la côte d’azur sont préservés des ravages du terrorisme et de la peur qu’il engendre, mais Menton, c’est aussi à quelques kilomètres de Nice.

Et il est probable, que ces jeunes ont également vécu la déflagration psychologique de l’horreur du 14 juillet 2016.

Georges et moi avons d’abord décrit ce qui nous est arrivé.

Mon frère mort à 30 ans, il y a 30 ans.

Et comme à chaque fois, raconter l’attentat, devant un public quel qu’il soit, fait immédiatement resurgir l’histoire comme si elle était arrivée hier, une sensation commune à toutes les victimes.

Mon frère dans le piège d’un avion pris pour cible par un dictateur terroriste qui dans sa folie, punit la France en tuant 170 innocents.

J’évoque en 30 minutes une histoire longue de 30 ans, aux multiples rebondissements.

Devant ces jeunes lycéens qui n’étaient pas nés en 1989, il faut faire preuve de pédagogie, pour qu’ils comprennent : A l’époque, on ne parlait pas de terrorisme. Jean-Pierre était comédien et metteur en scène. Il était très beau, très talentueux. Il était parti au Congo s’occuper de la mise en scène d’une pièce. Il est rentré quelques jours plus tôt pour voir sa fille. Il a changé ses billets… et il est monté dans ce fichu avion.

Avec les familles des victimes on a eu besoin de se retrouver. Le 19 Septembre est devenu la date de commémoration nationale en hommage aux victimes de terrorisme.

Les élèves écoutent avec attention et respect. J’essaye de parler de tout ce qui est important, le contexte historique, le parcours artistique de mon frère, ses convictions, son empreinte vivante en moi, le chagrin, la lutte exemplaire des familles contre Kadhafi et son système mortifère. »

 

GEORGES SALINES : Nul ne skie assez doucement pour glisser sans laisser de trace, titre d’une collection de textes d’écrivains sur le thème des traces

 

Avant le témoignage des victimes, Emma, une élève de Terminale L, se présente tremblante face à une assemblée d’élèves et professeurs, lit un poème (voir ci-contre) qu’elle a écrit à la mémoire de Lola, la fille de Georges, disparue cette tragique soirée du 13 Novembre 2015 au Bataclan. Des sanglots dans la voix, elle dit la peine et la douleur qui éprouvent, l’amour aussi, éternel.

 

« … et la sensation de tomber dans un trou » C’est de ce vers extrait du poème d’Emma que Georges entame son témoignage. Tout au long de son discours, des photos de Lola vont défiler sur l’écran, des photos débordantes de vie et de joie.

 

« J’ai croisé Lola à la piscine et je lui ai dit : A demain ! ».

 

C’est par son fils qu’il a appris que sa Lola était au Bataclan. « On a appelé sur son téléphone, mais elle ne répondait pas. On a passé la nuit à chercher des nouvelles. Au départ, nous étions optimistes. On a appelé les hôpitaux. Suivent des heures d’angoisse. On a reçu des messages de condoléances avant d’être avertis officiellement. Face à cette situation dramatique, on est dans une incrédulité et une incompréhension énorme. Comment des gens ont pu tuer ma fille qui était si sympathique et aimante ? ». Il parle ensuite des attentats à Mogadiscio le 14 Octobre 2017, à Utoya en Norvège le 22 Juillet 2011, car il sait « la valeur de chaque histoire individuelle ». Puis il conclut en conseillant vivement aux élèves de « ne pas se laisser aller à la haine, à la revanche », il cite le titre d’un ouvrage du journaliste Antoine Leiris, qui a perdu son épouse Hélène au Bataclan, Vous n’aurez pas ma haine. Ce que cherchent les terroristes, c’est attiser la haine et diviser les peuples. « Vous cherchez à déclencher une guerre de religions, nous refusons. Nous vivons dans un monde où on peut devenir fous. »

 

Les élèves posent leurs questions, Danièle et Georges y répondent avec franchise.

 

 

LES LYCÉENS PRENNENT LA PAROLE 

Danièle : « Les élèves, timidement d’abord, posent leurs questions, à la fois intelligentes, empathiques. Ils veulent comprendre, et leurs questions révèlent parfois, leur propre inquiétude. »

 

Qu’est-ce que cela vous apporte de témoigner ?

Georges : Pour faire quelque chose. Le contact avec les jeunes est important car vous êtes l’avenir de ce monde.

 

Que pensez-vous des dispositifs mis en place après un attentat ?

Danièle : à l’époque de l’attentat, il n’y avait pas d’internet, ni de téléphone. Quelqu’un qui est dans la sidération est comme un grand brûlé. On doit agir avec délicatesse.

 

Georges : Le dispositif du 13 Novembre n’était pas prêt à faire face alors que la France était en état d’alerte. D’autres capitales du monde avaient été frappées, notamment Mumbai en 2008.

 

Puis Georges pose une question aux élèves : Avez-vous entendu des propos approuvant des actes terroristes ?

 

Une élève répond : Oui, au moment de l’attentat de Charlie. Il y a eu un refus de la minute de silence par certains, et cette phrase « ils l’ont bien cherché » proférée par d’autres.

 

Question de Pascale Droit (professeure d’italien) : Que diriez-vous aux responsables des attentats ?

Danièle : J’ai rencontré des libyens. Ils n’ont jamais demandé pardon. Ils nous proposaient de nous venger.

 

Georges : Les assassins directs sont morts. Les organisateurs sont tous morts. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’ils puissent entendre.

 

Avez-vous pardonné ou pardonnerez-vous un jour ?

Georges : Il cite une phrase de Samuel Sandler, grand-père d’Arié et Gabriel et père de Jonathan, assassinés devant l’école Ozar Hatorah le 19 mars 2012 : « pour pouvoir pardonner, il faudrait qu’on nous demande pardon, ce qui n’est pas le cas ». Je n’ai pas pardonné. Mais je n’exclus pas la possibilité du pardon. Je ne suis pas pour la peine de mort :  tant que le coupable est en vie, on peut demander le pardon et j’ai la possibilité de pouvoir pardonner.

 

Danièle : cette fameuse question revient sans cesse dans le débat. J’aime bien cette question. Elle pose bien évidemment une réflexion majeure qu’on ne peut régler en 5 minutes. Oui je l’aime bien cette question, car je sais que c’est une autre façon de savoir si je vais bien, si j’ai pu malgré tout, faire ma vie…

 

 L’amour sauve du désespoir. 

 

 

Autoportrait de Lola Salines.

 

MERCI

 

A nos deux témoins

A Herbert Traube

A Monsieur Ramo, Proviseur.

Aux élèves du Micro-lycée, du Jardin pour la Paix et de 1ère L

A leurs professeurs : Florence Lagache, Pascale Droit, Julie Catanoso, Thierry Sitter-Thibaulot

A nos partenaires.

  

 

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