Lorsque Rayan, 16 ans, lycéen, pensait au terrorisme avant de rencontrer Nadia, il se disait : « ça peut arriver mais c’est loin de nous ». La notion de lointain, c’est aussi celle de Nadia, mère de famille face au départ de Lamia, sa fille âgée de 30 ans lorsqu’elle est assassinée à La Belle Equipe, le 13 novembre 2015. Elle dit que : « Lamia est là, elle est partie en voyage ».
La valise de Lamia
Commence alors un triste voyage avec la valise de Lamia sur la route du souvenir et de l’importance de la transmission du savoir, d’une génération à la suivante. La valise de Lamia, celle que Nadia n’ose pas ouvrir, contient les affaires de Lamia depuis plus de six ans. Lamia voyageait souvent : Bordeaux, Tunis ou encore la maison de ses beaux-parents. Elle n’avait pas défait sa valise lorsqu’elle était revenue à Paris en novembre 2015 d’un week-end en amoureux. Aujourd’hui, c’est Nadia qui hérite de cette valise et cet objet ne représente pas seulement le dernier voyage de sa fille mais plutôt le temps qui s’est figé depuis qu’elle est partie.
Nadia se plonge dans le souvenir de sa fille Lamia
Quand le soleil se couche sur la ville du Caire, Dieu est grand
Quand elle évoque les terroristes, elle repense aux amalgames qui sont faits sur une langue qu’elle aime et qui la lie à Rayan. L’élève ne sait ni lire ni écrire l’Arabe mais son objet est une calligraphie de la proclamation « Allah Akbar », qui signifie « Dieu est le plus grand ». Il déplore que cette expression qui proclame la puissance de Dieu soit aujourd’hui associée au terrorisme et détournée de sa signification première afin d’être interprétée par les extrémistes religieux comme « Lui seul est grand » et donc selon les mots de Rayan : « Seule notre religion est valable ». Cette proclamation est pourtant d’après lui antonyme de toute violence et résonne comme un « air chantonnant », « très doux » lorsqu’il est entendu pour l’appel à la prière. C’est d’ailleurs à ce souvenir que se joint Nadia pour parler d’un moment vécu avec sa fille Lamia pendant une visite dans la vieille-ville du Caire : au coucher du soleil, elles se sont arrêtées ensemble pour écouter l’appel à la prière des muezzins depuis les minarets de la ville. Elle se rappelle particulièrement ce moment où les voix « s’élèvent » : c’est magnifique.
LA langue
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, ce symbole « Allah Akbar » est dissous dans un tout autre sens et est associé au terrorisme. Cela met également Nadia en rage, qui ajoute « il nous a été confisqué, à nous » par les terroristes. Elle en a d’ailleurs fait part aux principaux intéressés lors de sa déposition au procès du 13 novembre, qui se déroule actuellement à Paris, en disant qu’elle en avait « marre que ce terme soit collé au terrorisme, qu’il soit mortifère ». Elle, elle l’utilise pour dire « qu’est-ce que c’est beau ! ». La beauté de la langue arabe justement, bafouée par la haine et l’incompréhension de l’islam, est un sentiment que Nadia et Rayan partagent. Nadia se rappelle quand elle travaillait à l’Institut du Monde Arable où elle enseignait à des adultes occidentaux l’Arabe dialectal. De ces architectes, ces médecins et chirurgiens à qui elle apprenait « la langue de la communication », elle dit : « à une époque ils étaient fiers d’apprendre l’Arabe ». Mais elle sent bien que les choses ont changé.
Rayan peut le confirmer. Il écrit d’ailleurs dans son texte qui accompagne la calligraphie qu’il a réalisée avec l’aide de son père, qu’à l’âge de neuf ans, un de ses camarades de classe est venu lui dire à la récréation : « Vous avez vu ce que vous avez fait ? » pour évoquer un attentat commis par un Tunisien alors que lui-même a des origines tunisiennes. S’il les qualifie de « propos désobligeants », Rayan voudrait que la langue arabe regagne en estime tout ce qu’elle a perdu avec la signification qu’en ont fait les terroristes en déformant la formule « Allah Akbar ». Cette langue, celle de ses grands-parents, que son père a appris et qu’il tente de lui transmettre, c’est pour Nadia « la langue des langues, c’est LA langue ». L’importance de dialoguer, de cette communication, cet investissement se retrouve dans la transmission du savoir tel que l’a enseigné Nadia pendant des années, tout comme son mari, Jean-François s’était investi dans la transmission de la parole et du témoignage. Rayan dira par ailleurs : « Vous m’avez appris beaucoup de choses aujourd’hui, et je vais surement le transmettre à mes enfants ». La beauté de l’enseignement, de la professeure à l’élève, tel est l’héritage du savoir qui marque cet échange entre deux amoureux de la langue arabe.
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