Le vendredi 22 Mars 2019, les élèves de 1ère STI2D et de Terminale ES du Lycée Léonard de Vinci à Levallois-Perret prêtent une oreille très attentive à deux témoins particulièrement captivants :
Michel Catalano, accompagné de sa fille Marianne, dirigeant de l’imprimerie où, le 09 janvier 2015, viennent mourir les deux frères terroristes qui, deux jours auparavant, ont tué onze personnes dans les locaux de la rédaction de Charlie-Hebdo puis le policier Ahmed Merabet dans le XIème arrondissement de Paris.
Catherine Vannier, la maman de Cécile, disparue à l’âge de dix-sept ans, lors de l’attentat du Caire le 22 Février 2009, alors qu’elle était élève de Terminale S dans ce lycée. C’est dire combien cette rencontre est importante !
Des dates : 11 septembre et 07 janvier
Michel Catalano se lance dans son témoignage, devant une assemblée d’élèves et professeurs concentrés et concernés :
« Le 11 septembre 2001, j’ai créé mon entreprise, une imprimerie. Je constatais que le monde changeait, je n’imaginais pas que les bouleversements seraient aussi importants …
Le 07 janvier 2015 c’était mon anniversaire et celui de mon père. Le 08 janvier, j’étais en retard au bureau j’avais oublié mon téléphone ce jour-là. Les deux terroristes étaient en cavale dans les environs de mon entreprise, mais ce matin-là aucun gendarme n’était présent sur les routes : je me suis dit que je ne risquais rien, tout en y pensant quand même.
J’étais dans mon entreprise avec Lilian, mon employé, l’interphone a sonné : je pensais que c’était un commercial mais ne le voyant pas arriver, je me suis inquiété. J’ai vu deux hommes armés. Je me suis dit : « impossible ! ce ne sont pas eux ! » Mais si ! c’était les terroristes de Charlie Hebdo, j’ai dit à mon employé d’aller se cacher et j’ai avancé vers la porte où les deux hommes arrivaient, et moi j’avais la certitude de mourir. Ils ne m’ont pas tué et leur première question a été « vous nous reconnaissez ? », et j’ai répondu que oui. J’ai dialogué avec eux et j’ai appelé les gendarmes à leur demande. Ils m’ont confirmé vouloir tuer un maximum de personnes et mourir ensuite.
Marianne au lycée
Michel donne la parole à sa fille Marianne qui a appris la nouvelle de la séquestration de son père alors qu’elle était en classe de B.T.S. au lycée :
« J’ai eu l’information par les réseaux sociaux alors que j’étais en cours. J’ai appelé ma mère, qui m’a confirmé : oui c’est chez nous ! Je suis sortie de la salle de classe, j’étais en larmes. J’ai été mise à part de ma classe et j’ai vu une psychologue dans mon lycée mais je ne pouvais pas rentrer chez moi alors que je le voulais. Les gendarmes sont finalement venus me chercher et m’ont fait porter un gilet par balles (ils pensaient que mon père était l’imprimeur de Charlie Hebdo et qu’ils nous visaient), ils m’ont couvert la tête en arrivant devant chez moi car il y avait une horde de journalistes qui y campaient. Ceux-ci nous ont harcelés, moi et ma famille, par téléphone.
Nous avons eu le soutien de famille proche et vers 2h du matin mon père est rentré c’était le soulagement.»
Je n’ai pas regardé la télévision pendant 5 à 6 mois
Michel reprend le fil de sa pensée en évoquant les échanges de tirs. Pendant qu’il soignait l’un des terroristes blessé, il a demandé s’ils pouvaient le relâcher, ce qu’ils ont fait, « peut-être parce que j’ai su garder mon calme et prendre une posture non attendue pour eux. » Il sort en laissant son employé caché dans l’imprimerie. A 17h, l’assaut est lancé. Michel trouve ce moment interminable, « cela m’a semblé plus long que ma détention ». Puis, de 17h à 2h du matin, les gendarmes interrogeront Michel.
Le retour à la vie quotidienne est difficile. Toute la famille ne regarde pas la télé pendant 6 mois, « les gens ne me regardaient plus de la même manière, certains venaient me féliciter, me remercier. J’ai dû reconstruire mon entreprise et me reconstruire. Les cauchemars sont néanmoins encore présents. »
« Je trouve ces interventions utiles pour vous, les lycéens ! Profitez de la vie et n’ayez pas peur du terrorisme, sinon ils auront gagné. »
Catherine VANNIER : La vie s’arrête d’un seul coup
« Je suis très émue devant vous. Cécile, ma fille est partie en colonie de vacances en février 2009 avec la ville de Levallois. Au départ de ce voyage, j’ai dit à l’une des animatrices « faites attention au souk », j’étais inquiète mais j’ai laissé partir Cécile. J’avais des nouvelles tous les jours. Le soir du 22 février, j’ai appris aux informations, à la télévision, qu’il y avait eu un attentat au Caire. Le Caire est immense : impossible que ce soit la colonie de Cécile ! Ils devaient repartir tôt le lendemain, ils sont à l’hôtel. J’ai appelé les services de la ville de Levallois et une dame m’a dit : « Ce sont les jeunes de Levallois » J’ai couru jusqu’à la mairie avec Jean-Luc, mon mari, et mon papa, nous étions les premiers arrivés, 2h se sont écoulées avant qu’on nous annonce que Cécile était décédée dans l’attentat.
La vie s’arrête d’un seul coup. Je me suis demandé comment et pourquoi Cécile. Un psychologue est venu nous voir à la mairie mais on ne l’écoutait pas, il ne pouvait rien pour nous. Nous sommes rentrés chez nous seuls et nous avons vu des journalistes en bas de chez nous, des gendarmes nous ont fait passer pour les éviter. A 3h du matin, des policiers sont venus frapper à notre porte pour nous donner l’acte de décès de Cécile. Nous voulions aller en Egypte chercher Cécile.
Je ne croyais pas encore à sa mort.
Nous sommes partis le lendemain matin. Nous sommes ensuite rentrés avec Cécile et son cercueil en France. Depuis dix ans, ma porte est toujours restée ouverte pour les amis de Cécile, je maintiens le lien avec eux, ils étaient encore présents pour la cérémonie des 10 ans de l’attentat en février dernier. J’ai besoin des jeunes, je pense avoir un message porteur : profitez de la vie et n’ayez pas peur du terrorisme, sinon ils auront gagné. Je suis contente de vous parler ».
Discussion
Les élèves ont ensuite pu poser des questions, qui ont été nombreuses. Le dialogue et la confiance se sont installés entre les lycéens et les témoins :
Question de Rick : Comment les journalistes ont-ils eu vos numéros et vos adresses ?
Michel : Un ami m’a dit qu’ils lui ont proposé 300€ pour avoir mon numéro. C’est leur métier… C’est violent comme intrusion dans votre intimité. C’est un traumatisme supplémentaire.
Question de Kenza : Est-ce que vous détestez une communauté ? ou faites des amalgames ?
Michel : Au début, dès que je voyais un « barbu » j’avais une réaction épidermique et mon corps se crispait. Plus maintenant ! J’ai mené un combat interne avec aussi l’aide d’un psychologue. Le racisme, jamais je ne le laisserai m’envahir. Je suis le fils d’immigrés italiens.
Catherine : Cécile avait des copains musulmans et je les vois toujours. Nous sommes très proches de Mohamed, son animateur au Caire qui s’est occupé d’elle jusqu’à la fin.
Jean-Luc : Je n’ai jamais fait d’amalgames. J’avais deux copains musulmans avec qui je prenais un café avant d’aller travailler. Quand je suis retourné au travail après l’attentat, ils m’ont demandé « Tu vas continuer à nous parler ? », je leur ai répondu que je faisais la différence entre ceux qui ont tué ma fille et la religion musulmane.
Question de Léa : Est-ce que vous avez voulu changer de vie ou de pays ?
Catherine : Cécile aimait Levallois. Nous y sommes restés.
Michel : J’avais une boule au ventre en allant au travail. Ma femme voulait partir, mais j’aime mon entreprise et ma ville, alors pourquoi partir ? Je n’ai aucun regret.
Marianne : J’aurai suivi ma famille coûte que coûte.
Pourquoi vous ont-ils épargné ?
Michel : Ma mère priait beaucoup, elle vous dirait que peut être grâce à elle un miracle est arrivé ! J’ai su aussi garder mon calme et me mettre dans une bulle. J’ai pris une posture assurée, les terroristes étaient plus jeunes que moi. J’ai plusieurs fois pris le dessus sur eux, verbalement. C’est maintenant que le mot « vie » prend tout son sens : je suis content d’être en vie.
Yasmine, une jeune lycéenne intervient alors pour saluer le courage de Michel et Catherine, pour avouer l’admiration qu’elle leur porte. La mort peut frapper à tout moment, il est donc important de profiter de chaque instant et oublier les choses futiles. Elle se rappelle la foule silencieuse et dense présente à l’enterrement de Cécile, elle était alors à l’école primaire.
Vous avez revu l’animatrice à laquelle vous aviez parlé avant le départ de Cécile et est-ce que vous lui en voulez ?
Catherine : Oui je l’ai revue, elle s’appelle Stéphanie. Je ne vois pas pourquoi je lui en voudrais. Au contraire, nous sommes désormais très proches.
Question de Valentin : Vous vivez pour honorer la mémoire de Cécile, ou pour vivre votre vie ?
Catherine : Vivre, pour nous, est un combat difficile. Nous sommes devenus résilients, c’est-à-dire que nous n’oublierons jamais. Nous vivons pour honorer sa mémoire. Nous ne voulons plus du terrorisme. Cécile nous aide et nous protège. Nous voulons maintenant aider les autres.
Michel intervient, expliquant qu’il préfère la force de l’intelligence, car la haine et la violence sont un échec. Il explique également que l’AfVT est importante car elle les aide aussi à avancer.
Question de Rick : L’interrogatoire jusque 2h du matin c’est un peu long ?
Michel : Oui très long, ils me faisaient répéter plusieurs fois la même chose pour voir si je donnais les mêmes réponses. J’ai trouvé cet interrogatoire assez violent après ce qui venait de se passer. J’ai eu un choc post-traumatique. Le lendemain, je suis allé comme tout le monde à la cellule psychologique de ma ville.
Question de Chris : Vous avez plus souffert des réactions des gens ou de l’attentat en lui-même ?
Michel : L’attentat est bien pire que des réactions inappropriées et maladroites … La maladresse humaine entraîne la violence. Mais la plupart des gens sont compréhensifs et bienveillants. J’ai reçu plus de 15 000 lettres du monde entier pour me soutenir et aider à la reconstruction de mon entreprise : ça m’a touché !
Question de Rick : Vous sentez vous abandonnés par la justice ?
Catherine : Oui. Dans notre dossier nous avons eu plusieurs juges successifs, quatre je crois. Et à chaque fois, ils nous promettent des choses et ne les font pas. L’instruction est toujours en cours depuis dix ans maintenant. Pour l’instant la justice n’est pas rendue.
Michel : Concernant mon dossier, j’ai déposé une plainte, un procès aura lieu et j’irai.
Question d’Arthur : Est-ce que le rôle de l’association, c’est de mieux prendre en charge les victimes ?
Chantal : Oui. L’AfVT a un rôle d’accompagnement psychologique et judicaire mais aussi mémoriel. Le but est surtout de tisser des liens entre les différentes victimes du terrorisme.
Michel et Catherine : L’association est importante, elle nous aide aussi à avancer.
Question de Valentin : Catherine, vous ne voulez pas rendre justice vous-même ?
Catherine : Je me fie encore à la Justice de notre pays, un procès aura lieu et la Justice nous sera rendue, voilà ce que je veux et continue d’espérer. Même si, de nos jours, les terroristes encourent une très légère peine, ressortent de prison et recommencent.
Question de Charles : Michel, quel a été votre sentiment quand vous avez eu le président de la République au téléphone ?
Michel : Au début, ça fait tout drôle mais je savais que c’était éphémère. J’ai pris du recul et j’ai relativisé.
Question de Victoria : Catherine, vous êtes allée sur les lieux de l’attentat de votre fille ?
Catherine : Oui, trois mois après l’attentat, j’avais besoin d’y retourner. Et au mois de mars 2017, nous sommes partis avec certains enfants et parents et une délégation de l’AfVT pour poser une plaque en mémoire de Cécile à l’ambassade de France en Egypte.
Michel dit qu’il demeure impressionné par la détermination et la préparation des terroristes et il ajoute : « on se dit toujours que ça n’arrivera jamais. Maintenant, je suis très sensible à tous les attentats dans le monde. »
La discussion entre Michel, Marianne, Catherine, Jean-Luc, les deux professeures et les élèves s’est poursuivie longtemps dans le hall du lycée, en toute amitié.
MERCI
A nos quatre témoins.
Aux élèves de 1ère STI2D et de Terminale ES du Lycée Léonard de Vinci de Levallois
A Juliette Bour et Laétitia Paeme-Chassat, professeures
A Angélique Hanany, Proviseure adjointe
A Mélanie Berthouloux-Dizin, qui a pris en notes les éléments de cette rencontre
A nos partenaires
Un commentaire
DURIEUX
5 septembre 2020 at 22 h 14 min
Amie d enfance, Catherine je suis très touché par ton histoire
Fred pont rouge