Lycée Le Parc Impérial de Nice : cinéma et dragons terrassés

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Contexte pédagogique :

Sur les hauteurs de Nice, au lycée Le Parc Impérial, c’est en option Cinéma-audiovisuel avec des lycéens de 1ère et Terminale littéraires que nous préparons une rencontre avec des victimes du terrorisme.

Leur professeur de Cinéma, Serge Toutlouyan, est amené à expliquer que le suspens n’est pas qu’un artifice cinématographique : le suspens surgit aussi dans la vraie vie, ce qu’il illustre avec une interview télévisée de Michel Catalano, qui fut le 9 janvier 2015 l’otage dans sa propre entreprise, une imprimerie, des terroristes de Charlie Hebdo. Nous invitons donc Michel.

On est à Nice. Un élève de Terminale de l’an dernier a réalisé, pour sa spécialité Cinéma de bac, un film abordant le thème de la vie d’un adolescent après le traumatisme de l’attentat perpétré sur la Promenade en juillet 2016.  Le film – que le professeur nous projette – confirme, si besoin était, qu’il y a une vraie attente de la part des élèves.

Un accord se dégage pour affirmer que la rencontre avec des victimes, qui engendre nécessairement de l’émotion, ne peut en rester là, et qu’il importe précisément de faire l’effort difficile de penser l’impensable, l’irruption de la violence au sein de l’existence et qu’il importe de prendre une certaine distance à l’égard des événements tragiques qui ont touché Nice ; il faudra dès lors privilégier la parole de victimes qui évoqueraient des attentats impliquant moins directement les élèves niçois : nous invitons donc Georges Salines, et abordons préalablement avec les lycéens plusieurs extraits de L’Indicible de A à Z, publié en 2016 : la première page, l’article « Raison », la célèbre gravure de Goya Le sommeil de la raison engendre des monstres (1799).

Serge Toutlouyan propose : « les élèves spécialistes de cinéma en 1L2 CiAV pourraient s’inspirer de cette rencontre et de sa préparation pour le film collectif qu’ils doivent écrire, réaliser et monter dans le courant de l’année scolaire 2018-2019, avec le partenaire culturel du lycée, l’association Héliotrope. Il semble qu’un travail de création artistique et filmique (qu’il soit de nature documentaire ou fictionnelle) est une des façons de proposer aux élèves à la fois une mise à distance et un questionnement salutaire. »

Témoignages :

C’était le Jeudi 17 janvier 2019, dans l’amphithéâtre du lycée, que les élèves de Première et Terminale L, spécialité cinéma, ont accueilli nos deux témoins.

MICHEL CATALANO : du chef d’entreprise au survivant.

S’appuyant sur un dossier Powerpoint réalisé par sa fille Marianne, Michel Catalano entame son témoignage en se présentant brièvement :  il est fils d’immigrés italiens qui l’ont entouré d’amour. Il crée sa boite en 2007. Puis, d’une manière méthodique, il déroule le fil de l’effroyable journée du 9 janvier 2015 :

« Le 7 janvier, c’était mon anniversaire et l’anniversaire de mon père. Le 8 janvier, on ne parlait que de cela (l’attentat de Charlie Hebdo). Le 9 janvier, je suis arrivé à l’entreprise et après moi à 8h17 mon employé, Lilian, il a l’âge de mon fils. A 8h25, ça sonne… Je regarde. Je comprends. Dans l’escalier, des pas lourds. Puis le bruit des lance-roquettes qui frappent le mur.

Dans les yeux de Lilian : la peur de la mort

« Cache toi et coupe ton portable ! » Comment gagner du temps pour qu’il se cache ? Sept pas qui restent à faire. Je sais que je vais vers la mort. Ils me parlent : « où est votre bureau ? Appelez la gendarmerie »m’ordonnent-ils pour que je dise qu’ils étaient chez moi. Je converse avec eux, je leur offre le café, je leur montre comment fonctionne la machine à café, pour les éloigner de Lilian. Ils m’ont expliqué qu’ils étaient là pour en découdre avec la police en faisant le plus de morts possible. Ils me demandent à trois reprises si je suis seul, chaque fois je réponds : Oui. Les gendarmes sont arrivés. Je me suis réfugié dans mon bureau. J’entends les coups de feu. Quelqu’un tombe, a du mal à se relever. Ils (les terroristes) m’appellent. « Monsieur, vous êtes où ? », je sors de ma cachette, je m’entends répondre : « Ne vous inquiétez pas, je suis là. » L’un d’eux était blessé, les yeux noirs. « Si vous voulez je peux vous soigner » : j’ai nettoyé la plaie, mis un pansement. Puis j’ai demandé à trois reprises si je pouvais sortir. Il est 10h : je sors, mais je laisse Lilian à l’intérieur. Je suis désormais en face avec les policiers qui m’interrogent. Je ne peux appeler ma femme qu’à 13h pour lui dire « ma chérie, je suis vivant. » Elle voyait des images à la télé. A 14h, on nous indique qu’il y a une prise d’otages à l’Hyper Cacher. 17h : l’assaut.

En 1 minute : 800 balles. Grenades. Explosions. Traumatisme.

Le bâtiment (15 ans de notre vie) est très endommagé, sous scellés car l’enquête est en cours. Ma femme s’évanouit en le voyant. Il y avait un pression médiatique infernale. Des télés du monde entier. Il fallait empêcher les journalistes d’entrer chez nous. 2200 coups de fil le samedi. Nous étions suivis. Je ne regardais plus la télé. J’ai reçu des milliers de lettres. Des mots exceptionnels.

Le dimanche, le psychiatre m’a proposé l’hospitalisation. Je voulais rester à la maison et gérer la paperasse administrative, les négociations avec les assurances.

Il faut prendre du recul sur la vie et savoir ce qui est important. Un dimanche, c’est une belle journée, j’entends le rire de ma femme et de mes enfants.

Je pleure car c’est ça – la famille, le bonheur – les valeurs de la vie. »

Il termine son témoignage en rappelant que son prénom est celui d’un archange qui terrassa un dragon.

 

GEORGES SALINES :  Ma fille est toujours avec moi.

C’est en évoquant saint Georges qui terrassa un autre dragon que Georges Salines se présente en quelques mots : médecin de santé publique, il essaie d’améliorer la santé de la population en agissant sur l’environnement (bruit, pesticides, …).

Il commence par dire « Je vais vous parler de Lola ». Il passe sur l’écran derrière lui un diaporama de photos de sa fille, heureuse, amoureuse dans Paris. Vient l’instant du 13 Novembre : le coup de téléphone de son fils qui lui annonce que Lola était au Bataclan. Ils recherchent alors leur fille dans tous les hôpitaux. Ils auront la confirmation officielle du décès de Lola par téléphone. A ce moment, « on comprend qu’on ne reverra pas Lola. Ma fille est toujours avec moi. » Sur la dernière photo : les 130 personnes décédées. Derrière ces chiffres, il y a des histoires individuelles.

Après le 14 Novembre, ma vie a été séparée en deux (avant/après)

L’association 13onze15 : fraternité et vérité est créée. J’ai rencontré des victimes en France et dans le monde (Belgique, Norvège, Etats-Unis, …). J’ai écrit un livre, L’indicible de A à Z, pour occuper mon temps, pour réfléchir. » Il explique qu’il est important de témoigner pour lutter contre « cette forme de violence qui m’apparaît absurde, avec la crainte des effets délétères que peut avoir l’action terroriste. » Il préfère mettre en avant la fraternité plutôt que les affrontements. Il pense qu’il faut travailler sur les causes profondes de ces actes, se demander ce qui a donné envie à ces trois terroristes de 25 ans de tuer des personnes de leur âge au Bataclan, trouver comment éviter des réactions qui entraînent des répercutions désastreuses et nourrissent les justifications des djihadistes.

« Le terroriste n’est pas réductible à l’islamisme »

Pour illustrer son propos, Georges parle de l’attentat d’Utoya en Norvège du 22 juillet 2011 perpétré par un jeune homme de 32 ans, Anders Berhing Breivik appartenant à un mouvement de droite nationaliste ; l’attentat d’Oklahoma City en 1995 perpétré par Timothy McVeigh, ancien militaire ; l’attaque le 12 février 1894 au café Terminus de Saint Lazare : c’est un anarchiste, Emile Henry, qui a commis l’attentat car pour lui « ils étaient là à écouter de la musique au lieu de se battre contre les injustices. Tous ceux qui ne sont pas anarchistes sont contre nous, ne méritent pas de vivre. » Ce propos extrémiste est fondé sur le même raisonnement que celui des djihadistes. Georges dit qu’il fera « tout ce qui est en son pouvoir pour se mettre en travers de ce raisonnement. »

Georges face à Syrine s’essayant à l’exercice de l’interview.

 

Jade, Syrine, Michel et Georges : journalistes d’un jour

Après ces deux témoignages, de nombreuses questions ont été adressées à Michel et Georges.

En outre, après le déjeuner, en tant qu’élèves en option Cinéma-audiovisuel, ils ont voulu faire une interview de nos deux témoins, qui se sont prêtés au jeu avec le sourire :

  • Avez-vous pensé à écrire ? à Michel.

Michel : Oui, je suis en train de le faire pour mieux analyser, comprendre, pourquoi je suis vivant.

  • Question de Thomas à Georges : Est-ce que cela vous a aidé d’écrire un livre ?

Georges : Oui. Nous avons tous vu une psychiatre. Ma thérapie a été d’écrire le livre. Je me suis réconcilié avec l’idée que ma fille avait eu une belle vie, même si j’ai le regret éternel de ne plus lui parler.

  • Question de Riss : Comment a évolué votre rapport à la mort ?

Michel : Aujourd’hui, j’ai comme un sursis. (…) je suis en paix avec la mort. Je sais que cela arrive et je l’accepte. Avant je cherchais le danger, comme le saut à l’élastique, pour me sentir vivre. Maintenant, je n’en ai plus besoin.

Georges : Je ne crois pas à la vie après la mort. Après la mort, on n’existe pas, comme avant la naissance – je pensais cela avant et je le pense toujours jusqu’à ce que l’on me prouve le contraire.

Mon métier est de faire vivre les gens le plus longtemps possible. Mais par rapport à l’éternité, nous sommes minuscules. Ce qui est important, c’est la qualité des moments que l’on vit (cf Epicure). Après le 13, j’avais de l’indifférence et il m’était égal de mourir. Mais je suis père de famille, j’ai deux fils et j’ai choisi de vivre.

  • Question de Sabrina : Personnellement, j’étais dans l’attentat de Nice et je ne suis pas encore retourner sur les lieux de l’attaque. Combien de temps vous a-t-il fallu pour retourner sur les lieux ?

Michel : J’y suis retourné rapidement, c’est mon entreprise, c’est chez moi. Pendant trois semaines il y avait une mise sous scellés. J’ai nettoyé le bâtiment. Mais chaque jour c’est une épreuve d’y aller. Mais cela fait partie de la reconstruction.

Georges : Je suis allé au Bataclan avant les travaux. Puis je suis allé le 13 Novembre 2016 au concert de Sting.

Michel devenant journaliste face à Jade, élève de 1ère.

 

Jade, une élève de 1ère pose des questions sur l’entourage, la famille proche, la reconstruction et l’importance du soutien. Puis, les rôles sont alors inversés : Michel devient le journaliste et l’élève l’interviewée. Avant de poser ses questions, Michel avoue qu’il a toujours rêvé d’interviewer les journalistes :

  • Question de Michel à Jade : Comment avez-vous vécu les attaques ? Quel effet vous fait notre rencontre ? Sur le terrorisme ?

Jade : Au moment de l’attentat de Nice, j’étais à Paris. On m’appelait pour me demander si j’allais bien. Le 13 Novembre, je l’ai su par ma sœur en me réveillant. On a appelé notre famille. (…) C’est touchant de parler directement avec vous. Ça rend les choses vraies. (…) Le terrorisme devient lui aussi plus réel. On se rend compte des vies ôtées.

Georges s’est également essayé à l’exercice d’être, pour une fois, le journaliste :

  • Questions de Georges à Syrine : De cette journée, que retenez-vous ? Cela va-t-il changer votre regard sur ces sujets lourds (violences, etc.) ?

Syrine : C’est une véritable expérience personnelle. On est touché, même si c’est l’autre qui l’a vécu. C’est différent d’une interview à la télé. Là, il y le contact humain que je trouve très important. (…) Je ne verrais plus les victimes à travers un chiffre.

Georges (à gauche) et Michel (à droite) en discussion avec les élèves autour du verre de l’amitié.

 

Nous attendons avec impatience de prendre connaissance du court-métrage et du documentaire réalisés par les formidables lycéen-e-s du Parc Impérial.

 

MERCI

A nos deux témoins

Aux élèves et à leurs professeurs, Serge Toutlouyan et Carlos Alves

A Madame Henault, Proviseure adjointe et Monsieur Beauvais, Proviseur

A Benjamin Walter et l’association Héliotrope

 

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La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.


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