Mobilisation d’un pays entier contre le terrorisme
Les membres et sympathisants de l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT.org) ont vécu, comme 4 millions de Français, un moment de mobilisation historique contre le terrorisme. Du jamais vu depuis la Libération, en 1945. Quoi qu’il advienne, cette date sera à inscrire dans les livres d’histoire.
« Terroriste, t’es foutu, le peuple est dans la rue ! »
Ce dimanche 11 janvier 2015, la France est descendue dans la rue pour exprimer son émotion, son soutien aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, son rejet de la haine, du racisme, de l’antisémitisme et son adhésion à un principe sacré : la liberté d’expression.
Parmi les citoyens, de nombreuses personnalités officielles, des chefs d’État, des syndicats, de nombreux acteurs associatifs ont marché pacifiquement et ont incarné dans un même élan la devise de la République française : l’amour de la liberté, la passion de l’égalité et le culture de la fraternité.
Retour sur le samedi 10 janvier
Lors de son Assemblée générale extraordinaire, le samedi 10 janvier, l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT.org) a longuement évoqué sa mobilisation pour la grande marche citoyenne du dimanche 11 janvier. Les incertitudes demeuraient sur les détails des cortèges car l’organisation d’une telle manifestation avec autant de chefs d’État nécessite, en temps normal, des mois de préparation…
Témoignage de Guillaume DENOIX de SAINT MARC, Directeur général de l’AfVT.org :
« Pur hasard du calendrier, nous avions planifié notre Assemblée générale extraordinaire suivie d’un cocktail de l’amitié, le samedi 10 janvier. Nous avions donc déjà réservé une salle au Chai 33 à Bercy Village. Lorsque l’effroyable s’est produit, nous avons pensé à annuler ce qui devait constituer un moment convivial pour fêter la nouvelle année. Mais, après réflexion et malgré notre émotion, nous avons décidé de maintenir cette assemblée afin de nous retrouver, de parler de notre mobilisation. Nous avions besoin d’être ensemble. Dans les heures qui ont suivi la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo, nous avons commencé à recevoir des messages de soutien de nombreux partenaires et associations du monde entier. Puis des membres de notre Association sont passés nous voir au bureau. Ils étaient bouleversés. Ils voulaient parler, nous exprimer leur volonté d’être utile, alors que les terroristes n’avaient pas encore été neutralisés. Plusieurs amis et membres de notre équipe connaissaient personnellement certains membres de la rédaction de Charlie Hebdo. Ces trois journées d’attentats et de meurtres ont également ravivé le trauma de certaines victimes. »
Samedi soir, partenaire d’une initiative de l’UEJF, l’équipe de l’AfVT.org a assisté à la projection du documentaire « C’est dur d’être aimé par des cons » au cinéma Luminor (Paris 4e) accompagné d’interventions de compagnons de route de Charlie Hebdo. Le rire se mêlait à l’émotion, tant certains propos tenus dans ce film de 2008 se sont avérés tragiquement prémonitoires…
La mobilisation de l’AfVT.org
Pour l’équipe de l’Association, il était primordial de donner une visibilité à toutes les victimes, individuellement. Des pancartes ont donc été confectionnées avec le logo AfVT.org d’un côté et, de l’autre côté de la tige, le prénom de chacune des 17 personnes décédées, sans oublier un jeu de pancartes « Je suis Charlie », « Charlie » étant à prendre comme un symbole générique, désignant à la fois l’atteinte à la liberté d’expression et l’ensemble des victimes de ces 3 journées meurtrières, qu’il s’agisse de la tuerie à l’intérieur des locaux de Charlie Hebdo, de l’assassinat du policier ayant tenté de s’interposer, d’une jeune policière municipale, des clients du supermarché « Hyper Cacher » et des autres victimes : blessés, otages, personnes choquées.
Témoignage de Guillaume DENOIX de SAINT MARC, Directeur général de l’AfVT.org :
« Nous avons pu obtenir qu’un nombre limité de personnes dûment identifiées puissent intégrer le cortège dit « officiel », avec les élus. Il me paraissait important de montrer l’alliance incarnée entre les victimes du terrorisme et la République. Avec cette manifestation, la Nation a adopté symboliquement les 17 victimes de cette cellule terroriste. Je n’avais jamais vu une telle adhésion collective à la souffrance des victimes du terrorisme. En Espagne, oui, lorsque des millions de citoyens sont descendus dans la rue, notamment au Pays basque, pour rejeter ETA, mais en France, jamais avec une telle ampleur. Malgré Toulouse, malgré Montauban… »
Les membres de l’AfVT.org et les sympathisants se sont scindés en deux groupes, l’un prenant la forme d’un « cordon » de victimes* du terrorisme marchant dans le cortège officiel, le deuxième étant présent dans le cortège des acteurs associatifs avec les pancartes de l’Association (voir plus bas).
* des attentats suivants :
– 1980 : attentat de la rue Copernic à Paris
– 1982 : attentat de la rue des Rosiers à Paris
– 1986 : attentat de la librairie Gibert-Jeune
– 1988 : attentat contre un véhicule en Mauritanie
– 1989 : attentat contre le DC10 d’UTA
– 1989 : attentat contre un avion MSF au Soudan
– Années 90 : terrorisme islamiste en Algérie
– 2003 : attentats coordonnés à Casablanca
– 2007 : attentat contre des expatriés français en Arabie Saoudite
– 2009 : attentat contre un groupe scolaire de Levallois-Perret au Caire
– 2011 : attentat du Café Argana à Marrakech
Aux côtés des victimes françaises, Soad BEGDOURI-ELKHAMMAL, présidente de l’Association Marocaine des Victimes du Terrorisme (AMVT), a tenu à s’envoler pour Paris pour être présente aux côtés de l’AfVT.org :
« Prendre part à une telle manifestation est très important pour les victimes. Je ne m’attendais pas à autant de monde, cela m’a rappelé cette grande marche organisée le 25 mai 2003, deux jours après avoir enterré mon fils, mort dans les attentats du 16 mai à Casablanca. Lorsque je me suis retrouvée dans la foule, j’ai pris conscience que ce n’était pas seulement moi qui étais frappée, mais mon pays tout entier. Hé bien, lors de cette marche à Paris, c’était pareil aux côtés de mes amis français. »
Témoignage d’une manifestante
Sarah GUERLAIS, 35 ans, a transmis à l’AfVT.org son ressenti suite à cette manifestation :
« Comme vous tous, j’ai le cœur meurtri.
Il y a d’abord eu une immense fêlure devant l’innommable car le rire, le dessin et la liberté d’expression sont la vie, l’humanité. C’est mon moi tout entier qu’on a touché. Ce sont ces hommes et ces femmes de Charlie ou bien liés à Charlie, parce que policier, agent d’entretien ou invité, qu’on a assassinés.
Et je voudrais vous dire mon désarroi. Je suis juive. Et en colère.
Je lis et j’entends certains Juifs de France dire : « On va partir ».
Oui, le crime antisémite commis dans l’épicerie Hyper Cacher de la porte de Vincennes est d’une ignoble barbarie.
Mais, nous, les Juifs de France, n’avons pas à fuir.
C’est à notre pays, la France, de se donner les ressources pour protéger le pacte républicain afin que tous puissent cohabiter en paix. Et ne laisser personne sur le chemin.
C’est à notre pays, la France, d’œuvrer pour le vivre-ensemble.
Notre place, c’est ici, et maintenant, comme tous nos frères et sœurs de la République Française, comme chaque citoyen(ne) du monde.
Notre place, c’est ici, libres et vivants.
C’est libre et vivante que dans la France d’aujourd’hui, je me sens aussi musulmane et condamne l’islamophobie et toute forme de racisme.
C’est libre et vivante que je dénonce comme une incitation à la haine de l’autre, la théorie du grand remplacement qui me rappelle avec horreur la théorie du complot juif et que l’on utilise comme propagande.
Ma grand-mère a porté l’étoile jaune, son père est mort à Auschwitz.
C’est parce que je suis française et parce que la Shoah a décimé ma famille, que je me battrai ici et maintenant pour la vie, la liberté d’expression et le droit d’être juif, musulman, chrétien, athée dans le respect de notre République laïque.
Charlie va continuer à exister. Charlie ne va pas fuir, lui.
En mémoire de ces 17 victimes mortes parce que libres, juives ou représentantes de la République, nous allons continuer à vivre, faire l’amour et rire ensemble. »