L’indemnisation des proches des victimes d’attentats, l’élargissement des préjudices

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Les proches des victimes d’attentat sont souvent qualifiés de victime par ricochet, derrière ce terme se cache des souffrances et des préjudices importants que le fonds de garantie est tenu d’indemniser. La prise en compte de ces préjudices se précise, et l’évolution jurisprudentielle se fait en faveur des proches de victimes directes, retour sur la consécration du préjudice d’attente et d’inquiétude.

En France, le principe est celui de la réparation intégrale des préjudices, autrement dit une réparation qui doit permettre de réparer la victime, sans perte, ni profit.

L’indemnisation des victimes directes et indirectes se doit d’être la plus complète possible, prenant en compte toutes les souffrances tant psychiques que physiques.

La réparation des préjudices se fait, tant par le fonds de garantie que par les magistrats, en référence à la nomenclature Dintilhac qui recensent les postes de préjudices corporels. Cette nomenclature a dès son origine été envisagée comme une aide au chiffrage avec une indication et dont les postes n’étaient pas figés dans la pierre avec la possibilité d’enrichir cette liste.

L’un des préjudices admis depuis toujours par le fonds de garantie est le préjudice d’affection des proches de victimes, que l’on peut définir comme l’impact psychologique de la perte d’un proche ou de la souffrance subie par un proche.

Ce préjudice a pendant longtemps été un poste de préjudice qui recoupait tant le temps précédent l’annonce de la nouvelle que les temps qui suivaient l’annonce. En effet, l’on reconnaissait que le temps durant lequel les proches s’inquiétaient du sort des personnes présentes sur les lieux d’un attentat était une composante du préjudice d’affection.

Cela était ne pas reconnaître de façon autonome leur angoisse dans l’attente des nouvelles de leurs proches, le temps où sans savoir ce qui est arrivé à leur père, à leur mère, à leur fils, à leur fille, à leur époux, à leur épouse, … Ils imaginent le pire et n’ont d’autre choix que de patienter.

Ce temps suspendu où l’angoisse est différente de la souffrance qui suit l’annonce n’était donc pas proprement indemnisé puisque l’on incluait cela dans ce préjudice d’affection qui dès lors donnait une impression de préjudice malléable.

Dès lors, le fonds de garantie ne proposait qu’une indemnisation pour préjudice d’affection qui se confondait avec le préjudice d’attente et d’inquiétude.

Pourtant par le passé, il avait déjà été admis l’existence d’un préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude notamment en 2013 dans un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Thonon les bains et en 2015 par le Tribunal de grande instance de Chalon-sur Saône.

Malgré ces décisions, le fonds de garantie ne reconnaissait pas ce préjudice spécifique, et l’incluait dans le préjudice plus large d’affection.

La Cour de cassation dans une décision du 25 mars 2022 de la chambre mixte est venue autonomiser ce préjudice, en affirmant que l’inquiétude liée à la découverte soudaine de l’évènement auquel un proche est confronté avec l’incertitude jusqu’à la connaissance de l’issue pour la personne exposée doit être indemnisé indépendamment du préjudice d’affection.

Ainsi, les proches d’une victime d’un attentat peuvent demander une réparation pour le préjudice d’angoisse et d’inquiétude toutefois, la Cour de cassation pose encore une condition à la caractérisation de ce préjudice celui que la victime ait subi « une atteinte grave ou [soit] décédée des suites de cet évènement ».

Cette décision est une première avancée dans la circonscription des préjudices puisqu’elle permet d’autonomiser un préjudice très spécifique, avec une souffrance distincte de celle qui suit l’annonce d’une blessure ou d’un décès.

Elle suppose en effet, que la victime directe ait été gravement blessée ou soit décédée, une telle réparation ne peut à l’heure actuelle être obtenue si le proche présent sur les lieux n’a pas de blessure grave, quand bien même l’angoisse est grande dans l’attente de ses nouvelles.

Désormais chaque préjudice est précisément délimité.

Le préjudice d’attente et d’inquiétude est très circonscrit, puisqu’il désigne le temps entre lequel l’on apprend l’évènement et celui où l’on sait ce qui est arrivé à la personne sur place, ce moment d’incertitude sur le sort des proches.

Le préjudice d’affection, quant à lui, est un préjudice plus large, puisqu’il indemnise la souffrance qui découle des conséquences de l’attentat sur la victime directe, autrement dit les conséquences de l’annonce des blessures ou de la mort.

Ainsi, le sentiment est tout à fait distinct et ne peut donner lieu à une seule et même indemnisation comme le faisait jusqu’à présent le fonds de garantie, pas plus qu’il ne peut être rattaché à un autre poste de préjudice.

Cette décision consacre donc un nouveau préjudice qui se rajoute à la liste des préjudices des victimes de ricochet dont elles peuvent demander réparation et qui assure ainsi une réparation qui soit la plus juste possible.

La Nomenclature Dinthillac qui est le référentiel en matière de réparation des préjudices se trouve ainsi étoffé pour les victimes par ricochet, qui peuvent donc obtenir réparation de plusieurs postes de préjudice à titre autonome :

              • Préjudice d’affection ;
              • Préjudice d’attente et d’inquiétudes ;
              • Préjudice d’accompagnement ;
              • Préjudices patrimoniaux ;
              • Préjudice spécifique.

On ne peut qu’espérer que cette ouverture des préjudices soit les prémices d’une meilleure prise en compte des proches des victimes notamment non-décédés (Lettre ouverte contre l’exclusion de l’indemnisation des proches des victimes survivant aux attentats).

 

Sources:

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