Les élèves et les témoins – Agathe, Samuel et Emmanuel

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Flambeau reçu au lycée Montalembert de Courbevoie

Contexte pédagogique

Avec deux classes de Terminale qui suivent l’enseignement Droit en Grands Enjeux du Monde Contemporain au lycée Montalembert de Courbevoie, nous avons suivi un parcours à l’écoute des victimes et de leur récit et sommes allés ensuite assister à des audiences du procès en appel de l’attentat dit « des bonbonnes de gaz ».

Le projet s’intitule : De la subjectivité du récit des victimes à l’objectivité d’un procès

Quelques phrases des deux témoins

Les lycéens reçoivent Samuel Sandler, père de Jonathan, grand-père d’Arié et Gabriel, tous trois assassinés devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse le 19 mars 2012, et Emmanuel Domenach, survivant du Bataclan.

 

Quelques phrases de Samuel Sandler adressées aux lycéens :

« Sur les téléphones, on voit les noms qui s’affichent. Je ne verrais plus jamais leurs noms : Jonathan, Gabriel et Arié ».

« Je suis dans le déni, je ne voulais pas croire, je ne pouvais pas accepter. Sur le fond, j’ai toujours cet esprit de déni. Cela me protège un peu ».

 

Quelques phrases d’Emmanuel Domenach :

« Je vois toute la salle du Bataclan comme un champ de blé, tout le monde est couché ».

« J’ai retrouvé des jambes. J’ai couru. Je passe une porte, puis une deuxième porte. Je cours, mais ce n’est pas comme dans les films américains : à la sortie, il n’y a personne, pas de policiers, pas de secours… Je cours et je tombe et perds mes lunettes. A partir de ce moment, je ne vois presque plus rien ».

Des questions et des réponses

Chaïma : Écrire un livre est-il une forme de thérapie, monsieur Sandler ? Et vous engager dans une association en est-elle une pour vous Emmanuel ?

Samuel : J’ai besoin de parler de mes enfants. Avec le livre j’ai raconté, j’ai pu citer leurs prénoms.

Emmanuel : j’ai toujours cherché à faire quelque chose du 13 novembre. Ma femme et mes proches m’ont dit que je ne parlais plus que de ça, c’était un peu de l’autodestruction. J’ai rencontré des parents endeuillés, des blessés très lourds. Les aider m’aidait.Et avec vous, je fais quelque chose du 13 novembre.

Francesca : Aujourd’hui, êtes-vous heureux ?

Samuel : Non. A chaque occasion d’être heureux, mes enfants ne sont pas là. A tort ou à raison, c’est comme ça que je réagis. Je souffre beaucoup des anniversaires.

Quand je regarde les albums photos, je vois que le temps s’est arrêté, ils ne grandissent plus.

Emmanuel : c’est dur de répondre après cela. J’ai cette marque. J’essaie d’être heureux. Je dois cela à ma fille, à ma famille. Il y aura toujours cette peine au fond de moi.

***

Victor : Monsieur Sandler, avez-vous une relation particulière avec votre belle-fille ? Bien ou pas ?

Samuel : Eva est à Jérusalem. Elle s’est remariée et a eu deux enfants. Quand elle nous a annoncé son remariage, cela a été très dur. On oublie toujours Liora, la petite sœur d’Arié et Gabriel, qui avait un an au moment de l’attentat.

Quand je la regarde, elle ressemble à son frère et à son père. Je ne savais pas comment me comporter avec elle. On dit toujours que son papa et ses frères sont au ciel. Un jour, quand elle est petite, elle prend l’avion et dit « Ah ! On va voir mon papa et mes frères ! ». Quand on lui montre des films et elle demande « je veux les voir en vrai ! ». C’est très difficile. Aldo Nouari, le pédopsychiatre, me dit de faire comme si de rien n’était, mais c’est difficile.

Élève : Quel est le principal intérêt de venir témoigner dans les lycées ?

Samuel : J’ai besoin de dire leurs noms. La mémoire de demain, c’est vous. C’est ce message que vous transmettrez et vous serez le flambeau.

Emmanuel : Après l’assassinat de Samuel Paty, je ne pouvais imaginer que dans toutes les écoles on puisse légitimer cet acte. Il est important de dire que le terrorisme n’est pas une solution.

Samuel : mon rêve : besoin de se souvenir pour les victimes. Ma raison de vivre c’est de transmettre le souvenir des enfants.

Il y a cette image biblique que l’on descend tous du même couple. Nous sommes tous égaux. Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse tuer pour une religion, ce n’est rien comprendre à sa religion.

Thomas : On accepte ce flambeau.

Texte d’Agathe Simon-Lecieux : Porter le flambeau

Agathe, lycéenne de terminale, l’a dit dès la fin de la rencontre : je voudrais écrire et faire vivre dans mon texte Jonathan, Arié et Gabriel, et nous l’avons crue. En prévision de la publication de son texte, nous l’avons prise en photo avec Samuel Sandler, et leur avons demandé à tous les deux de bien vouloir enlever leurs masques.

J’aurais pu les croiser au détour d’une rue, dans un métro, en sortant de la boulangerie, sans vraiment remarquer leur existence. J’aurais pu passer devant eux et continuer mon chemin sans que ça n’ait rien changé à ma vie.

Mais inévitablement ça n’est pas possible, ça ne le sera jamais. On leur a volé leur vie, dans un éclat, sur une coïncidence. Ça aurait pu être presque n’importe qui, moi, mon petit frère…

Il aurait eu le même âge que Gabriel. Ils auraient pu se connaître, être amis, jouer aux jeux vidéo ensemble et je leur aurais dit de faire moins de bruits car leurs cris d’enfants m’auraient dérangée.

Mais ça n’arrivera jamais. Histoire d’un destin brisé.

Sartre dit que l’existence précède l’essence, autrement dit qu’on se définit non pas à la naissance mais après avoir vécu. Mais comment se définir quand il n’y a pas eu de temps d’existence, quand on n’a pas eu la liberté d’être car un jour en marchant dans la rue on a mis fin à cette vie qui n’attendait que de pouvoir être libre ?  Et comment vivre avec ce souvenir, cette culpabilité qui nous crie au fond de nous que peut être si on avait fait les choses différemment alors peut-être… Car pour vous aussi ce jour marque une rupture avec un destin brisé comme si depuis même nos souffles avaient été différents.

Je me suis rappelé vos mots alors « transmettre un flambeau », pour ne pas oublier Arié, Gabriel et Jonathan parce qu’on a l’espoir que vienne avec les générations nouvelles l’annonce d’une vie meilleure, parce qu’on ne peut pas concevoir que ça arrivera encore et à d’autres même si ça arrivera encore, et à d’autres.

Je me suis sentie porteuse d’une certaine responsabilité alors. Celle de ne pas oublier Arié, Gabriel et Jonathan, de les garder dans ma mémoire, de les fixer à travers mes mots. Car les mots, l’art, tant que ça vie dans les consciences, ça vie, ça touche du doigt la postérité.

Alors je penserai à eux, sans tristesse ni chagrin mais avec toute ma bienveillance. Peut-être que plus tard j’écrirais des livres, non, plus tard j’écrirai des livres. Je penserai à Gabriel et à Arié lorsque j’évoquerai le visage d’un enfant. Peut-être alors des gens liront mes mots et sans le savoir porteront un peu à leur manière leurs mémoires.

Car c’est seulement la seule chose que nous pouvons faire, poser des jolis mots pour faire honneur à ces vies, se transmettre l’espoir que ça n’arrivera plus et ne pas s’arrêter de croire en cette humanité.

Audiences de la Cour d’assises spécialement constituée

Les lycéens sont allés au Palais de Justice les 3 et 4 juin, le verdict du procès en appel de l’attentat dit des bonbonnes de gaz a été rendu le 7 juin : voir ici le padlet réalisé par les élèves.

Merci

A nos deux témoins

Aux lycéens des deux classes de terminale

A Didier Ruez, chef d’établissement

A Charlotte Castel, professeure de DGEMC

A nos partenaires

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