Les éléments forts de la dernière semaine du procès de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray

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Semaine 4

Lundi 7 mars 2022

Aujourd’hui, s’ouvre la dernière semaine du procès de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. Au programme : plaidoiries des avocats des parties civiles et réquisitoire du Ministère public. L’audience reprend à 9h45. L’un des assesseurs titulaires étant absent pour raisons de santé, le Président annonce qu’il est remplacé. Il explique que l’on va entendre les conseils des parties civiles dans l’ordre qu’il leur plaira.

Un premier avocat, conseil de la FENVAC [Fédération nationales des victimes d’attentats et des accidents collectifs], commence : « J’ai souvent pensé à ce silence (…) après ce silence c’est bien peu de choses que la parole. (…) La cour d’assises n’est pas que le lieu des frissons, cette cathédrale de douleur (…). » Grâce à la parole, il parle d’une « véritable catharsis ». « Il n’est pas seulement question de dire, mais de dire vrai. » Il parle des paroles de parties civiles, qui n’ont aucun intérêt concret à l’issue de ce procès. « Elles ont dit qu’elles voulaient comprendre, et on leur a offert du temps, de la compassion, mais également un huis clos, des vitres teintées… » Il regrette ce qui est en train de devenir une « véritable tendance judiciaire, qui créé la défiance », et il ajoute : « Qu’on y songe dès maintenant, avant qu’il soit trop tard, et que juge comme procureur soient dissimulés au regard de tous, pour des raisons de sécurité ».

Il est le conseil de la FENVAC qui, avec l’AfVT, sont les premières à se constituer partie civile pour apporter des réponses aux victimes, explique-t-il. C’est un accompagnement et une défense de l’intérêt général. « Pas d’intérêt, donc, de ce côté-ci de la barre ». Parlant des parties civiles, il affirme qu’elles n’ont « pas choisi la facilité », qui serait de crier vengeance et d’attiser la haine.

A contrario, les accusés ont un intérêt : la décision rendue mercredi. Au regard de la défense des accusés, qui constitue « un droit fondamental que nul ne discute », il ajoute : « Mais nous avons aussi le devoir d’être des empêcheurs de mentir, de tourner autour du pot », faisant référence aux versions des faits données par les accusés, soupçonnées mensongères. Il dit avoir assisté depuis la première semaine à une tentative de travestissement des choses, et que les accusés se seraient dit « allez, si ça passe, ça passe ». Il fustige leur tentative de trouver de nouvelles explications, de mettre à distance à tout prix les éléments gênants, surtout celui de la religion : « C’est un peu « cachez moi ce jihad que je ne saurais voir ». Et les Tartuffe sont de toute époque. »

« Ce mot de pardon est frère jumeau de la vérité, sinon il est vain ». Pour lui et ceux qu’il représente, les accusés n’ont pas convaincu, et pire, ils ont déçu. Faisant une analogie avec un procès à Bordeaux, il y a quelques années, s’agissant d’un « crime de bureau » pour lequel « l’accusé n’avait pas de sang sur les mains », il explique que le procès de Saint-Etienne-du-Rouvray est celui d’un « crime de réseau ». « Et c’est celui-ci que vous serez chargé de juger. », ajoute-t-il en s’adressant à la Cour.

Maître Casubolo prend la parole : « Dans ce procès, j’ai l’honneur de représenter l’AfVT, et d’assister une partie de la famille du père Hamel. Il n’avait pas d’enfants mais n’était pas un homme seul : il avait ses paroissiens, l’église, une famille nombreuse et unie autour de lui, qu’il chérissait plus que tout. » Il revient sur les témoignages des membres de sa famille, qui ont souligné le caractère joyeux du père Hamel et la souffrance de son martyr. Il revient également sur le témoignage de M. Coponet, qui a raconté ce qu’il s’est passé ce matin-là dans l’église, et sur le « Je vous salue Marie » qu’il a déclamé, un « moment de grâce unique dans un prétoire ».

Tous savaient la radicalisation d’Adel Kermiche, regrette-t-il. Et pourtant il est passé sous les radars de la police, de la justice, malgré son activisme et sa logorrhée jihadistes sur les réseaux sociaux. S’agissant de Petitjean, on s’est rendu compte que lui aussi était très actif sur les réseaux sociaux. Mais si tout le monde savait, comment cet attentat a-t-il pu avoir lieu ? Comment accepter, comment comprendre ? Il revient sur le scandale révélé par Médiapart [Kermiche avait été identifié le 22 juillet comme rédacteur d’un message évoquant un « carnage » dans une église, et comme administrateur de la chaîne « Haqq Wad Dalil »].

Il rappelle que l’enquête et l’instruction ont permis d’écarter toutes les hypothèses de complicité s’agissant des accusés dans le box. Ils ne sont poursuivis « que » pour association de malfaiteurs terroriste. Ainsi, il souligne le fait que ce procès est peut-être celui qui illustre et justifie avec le plus d’évidence la reconstitution autour d’un environnement, un contexte, lesquelles permettent de fomenter des attentats. Il rappelle qu’à cet égard, le rôle de l’AfVT, qui se bat par le biais d’actions éducatives dans les lycées, dans les centres sociaux, dans les centres de détention, s’inscrit de façon extrêmement pertinente dans la lutte contre ces extrémismes.

Maître Casubolo dessine des points de comparaison entre les accusés, qui avaient, pour la plupart, moins de 20 ans à l’époque des faits. Les pères étaient absents, Google les a remplacés. Echec scolaire pour tous. Difficultés à connecter les fils entre les écrits, les mots et leur conséquences concrètes. Totale désocialisation. Aucune pratique associative, sportive, musicale. Enfermement sur internet, qui les a « enchainés comme des mouches ». « Il faut les imaginer tous les cinq scotchés sur leur écran. Eux, ils appellent ça la « conversion » à l’Islam, alors que la religion n’a rien à voir avec l’idéologie mortifère de Daesh. Mais avec leur simple bagage intellectuel, ils ont été livrés au loup ». Il relève leur absence totale de logique, comme s’ils étaient incapables de faire le lien entre les horreurs qu’ils visionnaient, et la réalité, « comme si la jihadosphère était un grand jeu vidéo ». Il donne pour exemple Farid Khelil, qui s’était renommé « Ben Laden » sur sa console de jeux vidéo, « entre deux taffes de cannabis et un message mortifère de son cousin ».

Le plus immature du box et le plus responsable, c’est Steven Jean-Louis. Il peut désigner un objet, le nommer, mais quand on lui demande à quoi ça sert, il est incapable de répondre. Il est dans l’incapacité de faire le lien entre les mots et leurs conséquences concrètes. Tous les psychologues ont relevé que c’était un homme qui n’a de cesse de chercher un cadre, « qu’il a trouvé tout seul sur son ordinateur, dans la jihadosphère ». Jusqu’à en devenir un membre éminent, par ses propos, ses cagnottes. A sa remise en liberté, recommencera-t-il ? s’interroge l’avocat.

Il relève un autre point commun : l’appel au secours de leur mère. Au moins trois d’entre elles se sont rendues au poste de police : « Cela en dit long sur notre incapacité à répondre aux carences. Face à l’absence de père, que fait l’Islam de France ? Face à l’échec scolaire, à la sélection sociale qui se fait de génération en génération, que fait l’Etat ? Dans cette France en jachère, où certains veulent toujours plus de répression, où sont les crédits pour l’école, les maisons de jeunes, les conservatoires municipaux ? Notre tissu social s’est effiloché, mité. » Il conclut que lutter contre ces carences, créer du lien, c’est ce que tentent de faire la FENVAC ou l’AfVT, malgré leurs faibles moyens : « Car c’est dans le lien que se trouve la solution ».

« Ce que les victimes attendaient de ce procès, c’est d’abord de comprendre et connaître la vérité. Mais aucune vérité n’est à la hauteur de la souffrance qui les habite. (…) Ce procès fait passer le droit là où il y a eu le déni de toute dignité, et le déni de tout droit. »

Maître Muller prend la parole : « Il flotte dans l’air le parfum d’un matin d’été. Le jour se lève, le soleil est pâle. Sur la place les cloches sonnent. On est gais, heureux, insouciants. Une scène de vie ordinaire d’une famille ordinaire. Mais ce n’est pas tout à fait un jour comme les autres. » Elle parle de « Tonton Jacques » qui marie, baptise les enfants, fait communier les plus grands, joue à la soupe aux cailloux avec les plus jeunes. Même ayant fait vœu de célibat, il est grand-père. Il a fédéré autour de lui une famille bienveillante. Il lui reste une messe à célébrer ce matin-là. « Le quotidien d’une famille ordinaire va basculer dans l’extraordinaire. »

Elle rappelle l’importance de ne pas juger les accusés dans le box en lieu et place de Petitjean et Kermiche, mais « ils ont apporté leur pierre à l’édifice ». Jean-Louis en exaltant les passions criminelles par la diffusion de vidéos terrifiantes, en essayant de satisfaire les besoins divers et variés d’aspirants jihadistes. Khelil en abondant dans l’idéologie mortifère de son cousin, par ses velléités de départ sur zone, par sa projection d’un attentat sur le sol français. Sebaihia, en répondant au terrible appel à la haine de Kermiche, en lui donnant une audience, en le renforçant dans ses certitudes mortifères. Le dernier, Kassim, absent, appelle à la haine, aux actes violents, aux meurtres de masse, afin de susciter des vocations morbides, le tout planqué derrière un ordinateur. Ils ont écouté les discours de Kermiche et Petitjean, ont relayé leur message, ont adhéré moralement à ces projets, et quelque part, ils les ont rendus possibles.

« Face à leur obscurantisme, je veux croire que toujours triomphera la lumière. Mais cela n’effacera pas le chagrin des victimes réelles. Le chagrin pour la famille Hamel, c’est aujourd’hui de ne pas avoir eu toutes les réponses aux questions qui se posent, et ce par manque d’honnêteté des uns et des autres. » Elle explique le sentiment partagé des victimes qu’il n’y a pas eu de réelle prise de conscience quant à la gravité qu’il y a à tenir sur les réseaux sociaux des discours de haine, d’incitation au combat armé. « Le chagrin, c’est surtout d’avoir embrassé Tonton Jacques la veille sans savoir que c’était la dernière fois. (…) La prière permet aujourd’hui à toute une famille de tenir debout. Une famille qui a choisi par force d’esprit de n’être jamais contre : d’être pour l’amour, pour la vie, pour la résilience. »

Maître Saint-Palais partage son sentiment d’avoir vécu des moments judiciaires particulièrement intenses, par le témoignage de M. Coponet et celui de Roselyne Hamel. « Mais il ne s’agit pas que d’une grâce tombée sur les uns et les autres. Il y a une foi certes, mais aussi cette volonté chez eux d’aller toujours vers la lumière ».

Apprendre que le meurtrier était porteur d’un bracelet électronique est un choc : cet homme était connu de la justice, et a bénéficié de suffisamment de liberté pour aller jusqu’à tuer. Il revient sur la situation de Kermiche, jugée par certains trop « légère » au regard du risque qu’il représentait (mandat de dépôt, puis placement sous surveillance électronique), « car la loi le permet ». Cependant, il tempère et explique : « C’est ce que nous appelons un « pari nécessaire », car ces jeunes ont quitté le giron de la République pour en rejoindre un autre, et il faudra, pour empêcher cela, les réintégrer dans notre communauté. Il faut prendre une décision au regard de la loi pour viser cet objectif. Mais c’est la famille Hamel qui a souffert le plus de notre incapacité à prendre une décision qui va satisfaire tout le monde. »

Il explique que la lutte contre le terrorisme nécessite la mobilisation de toutes les énergies, afin d’identifier comment de tels actes peuvent avoir lieu. Et ce travail est du particulièrement aux parties civiles des actes de terrorisme, car ces questions ne relèvent pas seulement de conflits privés : « Daesh nous a déclaré la guerre à tous ». C’est la raison pour laquelle nous leur devons l’explication la plus complète possible. A-t-elle été apportée ?

Il revient sur l’initiative de faire venir les membres de la DRPP, qui a été mal reçue, mais qu’il assume, « car nous devons la vérité aux parties civiles » Il admet que ce n’était pas l’objet du procès, qui est d’examiner les charges contre les accusés dans le box, mais qu’avoir fait auditionner ces témoins dans le cadre d’un débat contradictoire a permis d’atteindre l’objectif de caractère équitable du procès. « L’important, c’est que ce qu’il s’est passé en 2016 ait été débattu pour mieux lutter contre le terrorisme. Quand bien même les choses auraient été parfaitement menées dans un monde idéal, on ne peut pas exclure qu’un autre passage à l’acte aurait eu lieu. Donc nous devons affronter la réalité. »

« On sait que la responsabilité de Kermiche et Petitjean est entière », dit-il. Néanmoins, nous jugeons également les accusés qui sont aujourd’hui dans le box. « Je ne plaiderai pas sur les charges articulées contre vous : je vous dis simplement qu’il faut que vous cessiez de vous abriter derrière un monde virtuel. » Il relève que la proximité entre les accusés et les auteurs décédés n’était, finalement, pas que virtuelle : elle était également physique, et temporelle. Il s’adresse aux accusés : « vous avez le droit de vous défendre, et donc de mentir, et vous ne vous en êtes pas privés ».

« Ce qui compte pour nous c’est que soyez jugés dans la sphère de la responsabilité pénale. Vous avez choisi de traverser la France pour retrouver les hommes dont vous connaissiez la personnalité : des choix que vous auriez pu éviter. » Il fait une comparaison avec le père Hamel : lui aussi a connu des difficultés, et a dû faire des choix au même âge que les accusés. Les souffrances des jeunes années du père Jacques ne l’ont pas empêché de garder le cap et de toujours rechercher la lumière. Il a pris un « chemin de vie ». Il s’adresse aux accusés : « Vous avez fait un choix et pris un chemin de vie qui n’est pas conforme à ce que la loi permet. Et quand on se rend compte qu’on a pris le mauvais chemin, on peut se retourner. »

« Il faut se réjouir des malheurs que l’on n’a pas » disait le père Hamel. Maître Saint-Palais le compare à la figure du berger, qui ne fait pas de prosélytisme mais creuse le sillon pour les autres. « Quand un sillon se creuse, c’est en se retournant qu’on se rend compte comment il a été droit, profond » : c’est à sa mort que les paroissiens ont réalisé à quel point le père Hamel était essentiel à leur vie. Il explique hésiter quant à l’utilisation du mot « martyr » s’agissant du père Hamel, car Kermiche et Petitjean ont voulu qu’on croit qu’ils sont morts en martyrs, alors qu’ils « n’étaient porteurs que de mort ». Le père Hamel est mort en martyr, lui, car le martyr meurt pour le salut d’autrui.

Il revient sur les moments très forts vécus durant le procès, des moments de grande humanité : « Je suis heureux que dans une cour d’assises où ça pue le sang et le crime, des mots d’amour de fraternité soient venus éclairer les débats. » Même les mots de pardon et de repentance des accusés : « Cette humanité, cette attention sincère à votre défense n’est pas un signe de faiblesse. Une des images les plus fortes de ce procès c’est quand M. Khelil, vous avez choisi de vous exprimer et de parler aux parties civiles. » Il regrette cependant n’avoir pas senti, dans son analyse des faits qui lui sont reprochés, une sincérité et une distance avec l’idéologie mortifère de Daesh.

Maître Szpiner prend la parole : « Je crois au symbolisme des lieux. La première fois que j’ai pénétré dans cette cour d’assises, c’était il y a longtemps. Et si ces murs pouvaient parler, on entendrait la colère, le pardon, le remord. Nous pénétrons dans cette cour d’assises avec nos cicatrices et nos fantômes. (…) Mais lorsque j’ai dit que rien n’avait changé, c’est inexact : cette cour d’assises porte aujourd’hui un nom, nous sommes dans la salle Voltaire. La France c’est Zola, Hugo et Voltaire. Voltaire c’est le refus du fanatisme, de l’intolérance religieuse, les lumières, ce qui, contre le fanatisme, nous réunit. »

Il remarque que le crime de Saint-Etienne-du-Rouvray est exceptionnel par le lieu et la qualité de la victime. « C’est la première fois en France, en temps de paix civile, qu’on va égorger un prêtre dans une église. L’église est un lieu de paix, de prière, de refuge et d’asile, et même la République laïque ne rentre pas comme ça dans les églises. Ce n’est pas rien que de rentrer dans une maison de dieu, un dieu qui n’est pas le vôtre. (…) Il sont rentrés dans une église car dans leur esprit il n’y a pas d’autre place pour une religion qui n’est pas la leur : c’est ça le totalitarisme. »

Il explique qu’il ne dira jamais le nom des assassins, car « ces criminels veulent une sinistre parcelle de gloire », une sorte de récompense, de vie post-portem. Ne pas citer leur nom n’est pas les déshumaniser, mais cela signifie qu’on ne se souviendra pas des deux assassins, alors que le souvenir du père Hamel demeurera. Le père Hamel est un martyr, car il aura vécu sa foi jusqu’au bout.

Il rappelle la question du Président : à chacun d’eux, il avait demandé ce qu’ils attendaient de ce procès. Que peut-on attendre d’un procès quand on est au banc des parties civiles. Ils ne sont pas dans la vengeance, mais dans la justice. La question qui se pose est celle de savoir si ce crime aurait pu être évité. Non, mais on était en droit d’attendre de l’institution policière et judiciaire agissent en toute transparence. Ce n’est pas le procès de la police ou des agents de renseignements, car les policiers font un travail remarquable. Mais il faut rappeler les faits : le premier c’est que l’un des assaillants était sous bracelet électronique, ce qui signifie qu’il était prêt à partir en Syrie. Nous savons également qu’il allait souvent à la mosquée, où il animait un groupe de radicalisés. Il tenait une chaîne d’appel au meurtre. L’institution judiciaire aurait dû révoquer son contrôle judiciaire. C’est la première faille du renseignement, le problème de la surveillance de ces chaînes. La deuxième leçon de cet incident, c’est que des policiers et la directrice du renseignement sont venus dire qu’il n’y avait pas à transmettre les informations, car l’accusé était mort. Depuis quand il appartient aux policiers de juger ce qu’il faut transmettre à l’autorité judiciaire ? L’avocat s’insurge.

Ils sont trois accusés, qui ont été élevés dans nos écoles, dans notre environnement, et ne semblent pas capable de distinguer le bien du mal. Il s’adresse aux accusés : « M. Khelil, choisir le pseudo Ben Laden, un homme responsable de la mort de milliers de gens, ce n’est pas anodin. Ce qui est inquiétant, c’est que six ans après, alors que vous auriez dû réfléchir sur vos actes, qui continuez à dire que c’était par jeu que vous portiez le nom du plan grand terroriste de la planète. M. Sebaihia, vous êtes interrogé sur votre parcours : vous avez le droit de mentir. Mais que six ans après vous continuiez à mentir montre que le chemin est long sur la voie de la compréhension. Vous êtes incapable de faire le moindre effort d’autocritique. Quant à M. Jean-Louis, l’ambiguïté que vous cultivez montre que vous n’avez toujours pas rompu dans votre tête, vous n’avez jamais un discours franc et direct. Finalement ce qui vous fascine c’est une idéologie de mort ; c’est toujours la violence et la barbarie. »

Il fait référence aux fascistes espagnols, qui avaient pour cris de ralliement « Viva la muerte ». « Nous nous préférons la vie, la foi, la fraternité. C’est pourquoi ce combat que vous menez est un combat perdu. (…) Ne vous y trompez pas : l’Etat de droit, ce n’est pas l’Etat de faiblesse. »

« Ce crime barbare est aussi un climat, qui est entretenu par les réseaux sociaux, la propagande, les prêches, et à tout cela vous avez participé consciemment et allègrement. Il est entretenu par toutes ces petites mains, toutes ces lâchetés. ».

Le conseil de Monseigneur Lebrun et de l’association diocésaine de Rouen prend la parole. Elle rappelle que la perte de Jacques Hamel a été très douloureuse pour les paroissiens, pour les fidèles du diocèse, mais aussi pour les prêtres. Elle parle de l’itinéraire et de la vie du père Hamel, étape par étape. Elle revient sur ce matin-là, une rencontre entre les hommes et dieu. Le père Hamel disait la messe pour tous, sans discrimination.

Les débats ont ouvert beaucoup de questions : sur la place des considérations religieuses, la liberté des débats autour des religions…

Elle lit un texte de sœur Danièle, femme de caractère, éducatrice en foyer, qui a vu « de tout », qui n’a pas voulu venir s’exprimer à la cour d’assises, ni à Rome en 2016. « Elle n’a pas voulu croiser votre regard, mais vous existez pour elle, elle vous veut du bien. Elle me charge de vous dire que la violence n’est pas une solution, elle nous fait mordre la poussière. » A chaque accusé, elle lit les mots que sœur Danièle a voulu leur dire et les conseils qu’elle leur donne.

Après une pause déjeuner, l’audience reprend à 14h00. La parole est donnée à Maître Mouhou, qui intervient pour la famille Coponet. « Le témoigne de Guy Coponet, d’une puissance spirituelle forte et d’un témoignage sur la condition humaine et la dignité de l’être humain, laissera à cette Cour le souvenir d’un moment de grâce. Je pense que ce jour-là la justice a été élevée. (…) Il y a beaucoup de sang dans cette cour d’assises : celui du père Hamel, de Guy Coponet. Pour les abonnés aux chaînes djihadistes, on lave le sang par le sang, dans la vengeance. Mais ici, on lave le sang par le droit. Et pour les familles, on lave le sang par l’amour. »

Il revient sur l’invitation par le Pape aux époux Coponet, et aux victimes de Nice, pour la plupart musulmane : « Il s’est formé une communion. » Pour parer à la tentation de se replier sur soi-même et de répondre à la haine par la haine, « une authentique conversion du cœur est nécessaire ». Et cette « authentique conversion » a été donnée d’entendre dans cette cour d’assises.

Il parle de Salah Abdeslam, et des autres : « Ils croient en Dieu parce qu’ils ont peur. Comment peut-on croire en Dieu par crainte du châtiment ? Ici, on croit en Dieu par amour. C’est toute la différence avec les islamistes radicalisés. » Il revient sur la fameuse formule « Allah Akbar » prononcée par les auteurs commettant des attentats. Mais comment offrir à Dieu le sang d’un supplicié ?

Nous faisons ce procès pour comprendre. Le pardon fait du bien aux victimes. Je me rappelle le premier jour, M. Guy Coponet avait dit « s’ils demandent pardon, on aura gagné notre journée ».

« On juge ici trois accusés qui ont dévoyé l’Islam et piétiné leur Dieu. Si Dieu voyait les enfants exécutés à Rakka devant leurs parents car ils ont écouté de la musique, les femmes réduites en esclavage, je crois que leur Dieu serait devenu athée. Leur paradis fait de meurtre, de crimes, de sang, je préfère de loin notre enfer sur terre. »

Comment des jeunes de 18 ans peuvent-ils idolâtrer ceux qui font des vidéos d’exécution ? A qui ces jeunes peuvent-ils s’identifier : au bourreau ou à la victime ? Mme Kermiche n’a pas eu de chance. Son fils n’a pas eu de chance. Son cerveau a été broyé par des salafistes. Doit-on faire l’économie de cette jeunesse partie en Syrie ? Pour eux, l’Islam c’est ça. Il n’y a pas de musulmans modérés ou non ; il n’y a qu’un seul Coran, avec une lecture simple et apaisée. La lecture qu’eux se sont donnée, c’est toujours la même documentation, la même source, qui justifie le djihad armé et la loi du talion, et pour laquelle le meurtre n’est pas un péché. Ils veulent se venger, mais où est-il écrit que Dieu vous a demandé de vous venger ? Nulle part. « L’islam politique est rentré dans leur tête, car nous, nous avons regardé ailleurs ».

Il regrette qu’on ait laissé sortir de détention ces djihadistes, « dont l’ADN est la taqqiya ». On ne peut pas les enfermer, mais tout de même : il faut une certaine dextérité, une sélection d’informations. Il relève le caractère cynique de la situation : Kermiche a assassiné entre 9h et midi, heures auxquelles il était autorisé à sortir.

S’agissant des accusés, il explique : ils savent qu’ils se sont égarés, car ils sont victimes d’une idéologie mortifère, et la Cour devrait le comprendre. Il faut maintenant leur dire de lire autre chose maintenant. « Faire un virage à 360° et se débarrasser de tous leurs vieux démons, c’est tout ce qu’on peut leur souhaiter ».

Il termine en évoquant l’inscription qui se trouve sur la tombe de Jeannine Coponet : « Aimez la vie ».

Pour d’approfondir cette journée :

 

Mercredi 9 mars, le jour du verdict

Aujourd’hui, c’est le dernier jour de l’audience criminelle. La salle est pleine, la presse est prête. Des échanges ont lieu entre parties civiles et accusés.

17 h 30, l’audience criminelle reprend pour la dernière fois. « Accusés, levez-vous » ordonne le Président.

Puis, le Président annonce que la Cour a répondu positivement à la majorité aux différentes questions, ce qui signifie que les accusés sont tous reconnus coupables pour l’ensemble des faits. Il précise que la durée du délibéré s’explique par la rédaction de la motivation de la décision de la Cour.

Dans le détail, la Cour a décidé que Jean-Philippe Steven JEAN-LOUIS a consciemment et volontairement participé à l’association de malfaiteurs de plusieurs manières : par la diffusion propagande favorable à l Etat islamique, en voulant rejoindre la Syrie et en favorisant les départs vers cette destination, en constituant des cagnottes en ligne, en encourageant la commission d’actes violents. Sur les faits contestés par l’accusé, la Cour a jugé que l’intéressé a reconnu la matérialité de l’infraction de soustraction de mineur, en indiquant avoir récupéré un individu dont il n’ignorait pas la minorité, en le conduisant dans un appartement et en l’emmenant le lendemain à l’aéroport Charles de Gaulle. « Il est parfaitement démontré que c’est en parfaite connaissance de cause que vous avez contribué à soustraire ce mineur pour lui permettre de devenir combattant de l’Etat islamique » précise le Président, « mais grâce à l’intervention des services de police, cela n’a pas eu lieu ».

En ce qui concerne l’accusé Farid KHELIL, jugé coupable également des faits d’associations de malfaiteurs, le Président déclare : « vous avez consciemment et volontairement participer à cette association, avec conscience de sa vocation terroriste et de son objectif terroriste, avec des conversations sur les chaines Telegram et avec la volonté de commettre un attentat en France si l’accès à la Syrie vous était interdit ». La Cour retient que ce sont les écrits de l’accusé qui le trahissent, ainsi que ses relations avec Rachid KASSIM et Abdel-Malik PETITJEAN qui révèlent son « esprit belliqueux ».

Pour l’accusé Yassine SEBAIHIA, la Cour le reconnaît également coupable des faits. « Vous contestez la participation aux faits, mais à l’époque, vous avez sombré dans l’idéologie radicale et violente de l’Etat islamique. Vous étiez isolé, sans travail, victime de « mauvais sort », enfermé dans un monde virtuel en consultant des chaines pro-djihadistes. La cour considère qu’elle n’a nullement été convaincue par vos protestations d’innocence. Sur le voyage à Saint-Etienne du Rouvray, vous ne pouvez pas affirmer que KERMICHE est un savant. Selon la lecture de la chaine Telegram, il y a une violence, une inculture et une vulgarité. Vous ne vous étonnez nullement qu’il vous demande une photo en vous disant que vous êtes « le plus beau » et son appel du 20 juillet 2016 est sans ambiguïté pour créer une katibat, un mouvement tel « Sharia4Belgium ». La Cour développe que vous avez conscience de l’appartenance des deux assaillants à une association de malfaiteurs et du fait qu’ils envisageaient une action violente, même si vous ignoriez le déroulement programmé. Vous avez rejoint en connaissance de cause le duo et imaginé un récit pour expliquer votre départ précipité. » indique le Président.

Au niveau des peines prononcées, la Cour condamne à la majorité :

  • Rachid KASSIM à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans.
  • Jean-Philippe Steven JEAN-LOUIS, à 13 ans de réclusion criminelle – le Parquet avait requis 14 années de réclusion criminelle – avec une période de sûreté pour les 2/3 de la peine. La Cour ordonne également une mesure de suivi socio-judiciaire pendant 5 ans, avec l’obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre un enseignement, de ne pas fréquenter les coauteurs, de ne pas détenir d’arme, ainsi qu’une obligation de soins. En cas d’inobservation de ces obligations, l’intéressé encourt 3 ans d’emprisonnement.
  • Farid KHELIL à 10 ans de réclusion criminelle – le Parquet avait requis 9 années de réclusion criminelle –avec une période de sûreté pour les 2/3 de la peine. La Cour ordonne également la même mesure de suivi socio-judiciaire pendant 5 ans avec les mêmes modalités.
  • Yassine SEBAIHIA à 9 ans de réclusion criminelle – le Parquet avait requis 7 années de réclusion criminelle – avec une période de sûreté pour les 2/3 de la peine. La Cour ordonne également la même mesure de suivi socio-judiciaire pendant 5 ans avec les mêmes modalités.

La Cour ordonne leur inscription au Fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait).

Le Président poursuit avec la motivation de la peine pour chaque condamné, principalement en raison de la gravité extrême des faits, soit la participation à une association de malfaiteurs qui a conduit à l’assassinat du prêtre Jacques Hamel, à la tentative d’assassinat de Monsieur Guy Coponet et à la séquestration de quatre femmes dont trois religieuses. Le Président rappelle que les cibles étaient des hommes et femmes d’église, pour la plupart âgés donc vulnérables, et que les assaillants ont manifesté leur opposition à religion catholique dont les représentations ont été détruites au sein de l’église.

Plus particulièrement, pour Jean-Philippe Steven JEAN-LOUIS, la Cour a retenu :

  • son rôle central dans la propagande au moyen de sa chaine Telegram pour susciter, alimenter et encourager la haine chez des esprits faibles et jeunes, en les conduisant à des actions sanglantes
  • la création d’une quinzaine de cagnottes dont le but réel dissimulé était de financer des activités terroristes, notamment un départ en Syrie et les demandes expresses d’Abdel-Malik PETITJEAN dont le projet pouvait être connu
  • son attitude opiniâtre ainsi qu’une persévérance dans le projet criminel, nonobstant les mises en garde de sa mère, sa sœur, son interpellation en Turquie

Pour ce qui est de la mesure de suivi socio-judiciaire et de la période de sûreté, le Président précise : « vous restiez en 2019 imprégné de l’idéologie radicale selon le QER ».

Pour Farid KHELIL, la Cour a motivé la peine en raison du fait :

  • qu’il a constamment soutenu PETIJEAN en connaissance de sa volonté, en lui répétant sa fierté et en contribuant à renforcer la détermination de son cousin dont il était l’aîné
  • que la veille des faits « alors que vous n’aviez aucun doute, vous n’avez pas cherché à le dissuader »

Pour Yassine SEBAIHIA, la Cour a justifié la peine en raison du fait qu’il a subitement traversé la France pour rejoindre PETITJEAN et s’associer à un projet dont il ne pouvait ignorer la nature terroriste. La Cour a néanmoins pris en compte la brièveté de son implication, son très jeune âge et l’absence de mention dans son casier judiciaire. Nonobstant une évolution favorable en détention selon QER, la Cour retient qu’il convient de contenir l’intéresse dans une dynamique constructive et de favoriser son contrôle social et ses soins psychothérapeutiques.

L’audience criminelle se termine par une même question aux trois individus condamnés : « Avez-vous compris la peine ? »  – les trois individus répondent par l’affirmative – et le rappel du délai de 10 jours pour faire appel de la décision.

C’est ainsi que s’achève le procès de l’attentat de l’église de Saint-Etienne du Rouvray.

L’AfVT réitère son soutien à l’ensemble des victimes.

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