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I. Les Faits

Le Dimanche 15 septembre 1974, en fin de journée, une grenade est lancée dans la galerie marchande du Drugstore Publicis, situé au 149 boulevard Saint-Germain, à Paris. L’enquête démontrera que l’engin avait été jeté depuis le restaurant en mezzanine vers la galerie marchande située en contrebas.
Cet acte terroriste causa la mort de 2 personnes et fit 34 blessés physiques. Parmi les victimes ayant perdu la vie, on déplore le décès de François BENZO, âgé de 27 ans, et David GRUNBERG, âgé de 55 ans.
Le terroriste Ilich Ramirez Sanchez (alias Carlos), alors membre du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), finit par revendiquer cet attentat dans le journal “El Watan Al Arabi” en 1979.

 

II. Une procédure d’instruction tumultueuse

L’instruction, également nommée « information judiciaire » par le code de procédure pénale, est la phase précédant le jugement au cours de laquelle un juge spécialisé, nommé le juge d’instruction, est saisi sur des faits susceptibles d’être constitutifs d’un crime ou délit, afin qu’il réalise des actes d’investigations.

Une instruction a ainsi été ouverte en France par le Parquet de Paris.

Cependant, le 24 mars 1983, celle-ci fut clôturée par une ordonnance de lieu par le juge d’instruction, ce dernier doutant alors de l’existence réelle d’Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos.

Or, le 14 août 1994, Carlos est enlevé au Soudan et livré aux autorités françaises. La preuve de l’existence réelle de Carlos apportée, et l’émergence de nouvelles charges, permirent d’ouvrir à nouveau une procédure d’instruction.

En 1996, Carlos est placé sous le statut de mis en examen. Ce statut est délivré par la juge d’instruction lorsqu’il existe des indices graves ou concordant à l’encontre d’un suspect. L’intérêt de placer Carlos sous ce statut, c’est de pouvoir ultérieurement le placer en détention provisoire, placement réservé au seul mis en examen.

En dépit de l’ouverture d’une nouvelle instruction, en 1999, une nouvelle ordonnance de non-lieu est rendue à l’encontre de Carlos, motivée à nouveau par l’insuffisance de charge.

Néanmoins, les parties civiles n’ayant pas été informées de l’issue de la procédure, règle de procédure pourtant obligatoire, la famille de David GRUNBERG, tué dans l’attentat, par l’intermédiaire de leur avocat, forme un pourvoir en cassation fondé sur ce vice de forme.

III. 1999, première étude de l’affaire par la Cour de cassation

C’est ainsi que le 15 décembre 1999, la chambre criminelle de la Cour de Cassation, examine pour la première fois cette affaire. Cette dernière constate l’existence d’un vice de procédure et casse l’ordonnance précédente de non-lieu destinée à clôturer l’instruction.

IV. 2014, une nouvelle procédure d’instruction

Le 3 octobre 2014, le juge d’instruction antiterroriste Jeanne DUYÉ rend une ordonnance de mise en accusation permettant de de clôturer l’instruction, mais également de saisir la cour d’assises, afin qu’il soit procédé au jugement de l’affaire.

V. 2017, Condamnation de Carlos par la Cour d’assises spéciale

Le mardi 28 mars 2017, après moins de 2h de délibération, la cour d’assises spéciale, composée uniquement de magistrats professionnels, a condamné Carlos, pour l’attentat du Drugstore Publicis à une peine de réclusion criminelle à perpétuité.

VI. 2018, Confirmation de la condamnation en appel

Suite à cette condamnation, Carlos décide d’interjeter appel afin que l’affaire soit réétudiée par une juridiction supérieure dans l’espoir qu’une toute autre sentence soit prononcée.
La défense de Carlos s’articulait autour de pseudos dénonciations comme la « faillite de la justice » et l’existence de « preuves fragiles et manipulées ».

L’AfVT s’était constituée partie civile à l’instance et était présente au procès.

L’avocat général, représentant de l’Etat et chargé de l’accusation, Rémi Crosson du Cormier, avait évoqué son « intime conviction » quant à la culpabilité de l’accusé en affirmant que « l’ensemble des éléments de l’enquête permettent de dépasser le doute raisonnable » et désignent Carlos comme « l’auteur de l’attentat perpétré au Drugstore« .

A l’issu des débats, le 15 mars 2018, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement rendu par les premiers juges et conclu elle aussi à la culpabilité de l’appelant, Carlos sans modification de la peine antérieurement prononcée.

Lors de la lecture du verdict, Carlos n’était pas présent.

VII. 2019, Cassation partielle de l’arrêt d’appel

Un pourvoi en Cassation est l’ultime voie de recours ouverte aux parties d’une affaire judiciaire. Cette procédure permet à l’auteur du pourvoi de contester une décision de justice mais uniquement en contestant la légalité et la régularité de cette dernière.

Dans cette affaire, Carlos, utilisant tous les moyens de droit à sa disposition pour contester la décision a donc formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Dans l’arrêt du 14 novembre 2019, la Cour de cassation infirme partiellement l’arrêt précédemment rendu par la Cour d’appel de Paris en 2018.

Sur la culpabilité de la Carlos d’une part. Si la Cour de cassation maintient la condamnation d’assassinat, tentatives d’assassinat et de destructions, dégradations dangereuses pour les personnes par l’effet d’une substance explosive, en revanche, la Cour considère que le chef de transport ou port hors de son domicile et sans motif légitime d’un engin explosif est une opération préalable nécessaire à la commission des autres infractions et qu’elle ne devait pas faire l’objet d’une déclaration de culpabilité distincte. C’est pourquoi elle a décidé d’annuler l’arrêt de la cour d’appel sur ce point.

En effet, en application de la règle du NE BIS IN IDEM, des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même accusé, à deux déclarations de culpabilités distinctes ( Crim 26 octobre 2016, N°15-84.552, Bull. n°276).

Or, dans cette affaire, il apparaissait que l’infraction de port de grenade était une opération préalable nécessaire à la commission des autres infractions.

La Cour souligne donc que cette opération procède, de manière indissociable, d’une action unique, avec les autres infractions, caractérisée par une seule intention coupable : commettre l’attentat.

Si la Cour de cassation, lors de la publication d’un arrêt de cassation, l’assortie d’un renvoi de l’affaire devant une autre juridiction afin qu’il soit à nouveau statué sur celle-ci, ici, la Cour de cassation procède par voie de retranchement.

Par cette voie, la Cour de cassation procède sans renvoi et annule la  déclaration de culpabilité pour « délit de port et transport d’un engin explosif hors de son domicile et sans motif légitime » en maintenant les autres.

Sur les peines d’autre part. Suite à la cassation partielle sur la culpabilité de Carlos, la Cour de cassation renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Paris, spécialement et autrement composée, pour qu’il soit à nouveau statué, non pas sur la culpabilité, celle-ci étant belle et bien établit, mais sur les peines du condamné. Les déclarations de culpabilité pour assassinat, sur lesquelles se fondent les demandes d’indemnisation des parties civiles n’ayant pas été remises en cause par l’arrêt de la Cour de cassation, l’indemnisation de celles-ci, n’est donc pas impactée.

VIII. 2021, Renvoi sur la peine devant la Cour d’assise spéciale

Le 22 septembre 2021, s’ouvrira le procès d’Illich Ramirez dit Carlos, devant la cour d’appel de Paris,

L’AfVT était présente à l’instance.

Néanmoins, quels points seront abordés ? L’affaire revient à son point de départ et est rejugée de zéro ? Carlos peut-il être déclaré non coupable ?

La Cour de cassation n’ayant renvoyé l’affaire et les parties devant la cour d’appel, uniquement afin qu’il soit à nouveau statué sur la peine, l’affaire ne sera donc pas rejugée du départ. Seul un réexamen de la peine sera effectué.

De surcroit, l’arrêt de cassation n’ayant supprimé que la déclaration de culpabilité de Carlos pour le port d’engin explosif, sa culpabilité reste établie pour les infractions d’assassinats, tentatives d’assassinat, et destructions, dégradation dangereuse pour les personnes commises par l’effet d’une substance explosive. Aussi la remise en cause de la culpabilité de Carlos ne sera donc pas l’objet de ce procès.

IX. 23 septembre 2021, Condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité

Le 22 septembre 2021 la cour d’assises spéciale examinait à nouveau le dossier.

Uniquement saisie par la Cour de cassation sur la peine, la Cour d’assise spéciale a alors examiné pendant 2 jours, tous les éléments susceptibles d’influer sur la peine, à savoir les éléments faisant référence aux faits et à la personnalité de l’auteur.

Concernant les faits, une victime du Drugstore Publicis ainsi qu’un officier de police judiciaire membre de la DGSI ont été entendus.

Concernant sa personnalité, une ancienne compagne de Carlos au moment de l’attentat du Drugstore Publicis, son biographe et un psychiatre ayant suivi Carlos lors de son incarcération ont été entendus. Ce dernier rapporta à la Cour qu’il se présente comme un prisonnier politique et ne reconnait toujours pas les faits de l’attentat du Drugstore Publicis en dépit de la reconnaissance de sa culpabilité par les juges de première instance, d’appel et de cassation.

Si l’avocate chargée de la défense d’Illich Ramirez Sanchez dit « Carlos » a essayé à de nombreuses reprises tout au long du procès de revenir sur le terrain de la culpabilité, l’avocat général et le premier président lui ont néanmoins rappelé que l’objet de la saisine de la cour n’était pas de se prononcer sur la culpabilité de Carlos, mais bien de statuer à nouveau sur sa peine.

Après avoir entendu les victimes, témoins et expert, l’avocat général (représentant l’Etat) à plaider en faveur du prononcé de la réclusion criminelle à perpétuité. Pourquoi cette peine a-t-elle été requise ? Pourquoi aucune période de sureté n’a été requise ?

D’une part sur la forme. A l’époque, la loi de 1974 punissait de la peine de mort les crimes pour lesquels Carlos a été déclaré coupable. Si cette peine « d’un autre temps » comme la qualifie l’avocat général, n’est plus, la peine inférieure à celle-ci était la perpétuité, puis en descendant encore d’un degré dans l’échelle des peines, celle de 20 ans de réclusion criminelle, la peine de 30 ans de réclusion criminelle n’existant pas à l’époque. Aussi l’avocat général avait le choix entre la perpétuité et la peine de 20 ans et d’autres peines plus douces. De surcroit à l’époque des faits la période de sureté n’existait pas elle, c’est pourquoi elle a été écartée dans les réquisitions.

D’autre part sur le fond. Conformément au code de procédure pénale une peine doit être fixée en fonction des faits et de la personnalité de son auteur. Or, l’avocat général a considéré que face à cette « violence aveugle pour faire pression sur un gouvernement sans d’autre but que d’obtenir gain de cause à l’égard d’un autre méfait criminel » (référence à la prise d’otage de l’aéroport de Schiphol Amsterdam qui avait justifié l’attentat du Drugstore Publicis) l’Etat pouvait s’arroger le droit de priver à perpétuité un homme de sa liberté.

A l’issue de la plaidoirie de l’avocat général, l’avocat de la défense pris la parole.

Tout au long des débats et de sa plaidoirie, celle-ci n’a eu de fait que de rappeler l’ancienneté de l’affaire, en la qualifiant « d’archéologie judiciaire ». D’aucun se diront : Pourquoi tant de temps après ? A quoi bon ?

L’avocat général, anticipa ces remarques dès le début de son réquisitoire, justifiant la tenue d’un procès, aussi long soit-il, en mémoire des victimes décédées et blessées lors de l’attentat. Il ajouta également, que la chambre de l’instruction ayant statué en la matière et n’ayant pas déclaré l’expiration du délai de prescription, cette procédure était tout à fait régulière.

A la fin de son plaidoyer, l’avocat de la défense demanda à la cour que soit prononcée une confusion de peine.

A l’issu d’un délibéré rapide de 2 heures, la cour d’assise spéciale prononça à la majorité absolue une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Cette condamnation a été motivée d’une part en raison du risque de réitération de l’accusé, qui se présente encore actuellement comme « révolutionnaire de profession » et d’autre part, en raison de la gloire qu’il a manifesté au procès d’avoir tué plus de 83 personnes.

Si aujourd’hui la décision est définitive, l’avocat de Carlos, n’écarte pas l’idée de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme en raison de la violation du délai raisonnable de jugement par les autorités française, l’expiration de délai de prescription, et l’absence de connexité entre les divers attentats reprochés à Carlos qui ont permis de conclure à sa culpabilité.


Sources

Arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 15 mars 2018

Arrêt de la Cour de cassation en date du 2 octobre 2019

France -Attentat du Drogue Store Publicis, par l’AfVT, https://www.afvt.org/france-attentat-du-drugstore-publicis/

Attentat du Drugstore en 1974 : le terroriste Carlos à nouveau condamné à la perpétuité,France info, le 15 mars 2018, https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/attentat-du-drugstore-en-1974-le-terroriste-carlos-a-nouveau-condamne-a-la-perpetuite_2658718.html

Contester un jugement : recours en cassation, service public https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1382

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