La rencontre avec Alain Couanon et Jean-François Mondeguer et les élèves du lycée Claude Bernard restera dans nos mémoires

AfVT13min0
2018-11-21-POURNY-Michel-Lycee-Claude-Bernard-1-m-1280x847.jpg

Pour accueillir Alain Couanon qui a été otage dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes le 09 janvier 2015 et Jean-François Mondeguer dont la fille Lamia a été assassinée sur la terrasse de La Belle-Equipe le 13 novembre 2015, les élèves de Terminale L avaient préparé une lecture du préambule de Prendre dates de Patrick Boucheron et Matthieu Riboulet :

« C ‘était à Paris, en janvier 2015. Comment oublier l’état où nous fûmes, l’escorte des stupéfactions qui, d’un coup, plia nos âmes ? (…) On n’écrit pas autre chose. Des tombeaux »

et de « tombeaux poétiques » , extraits de poèmes, dont Consolation à M. du Périer de François de Malherbe :

 

Janvier 2015 : Alain Couanon entre dans l’Hyper Cacher

En janvier 2015 donc, on prend date : Alain Couanon entre dans l’Hyper Cacher. Voici les moments forts de son témoignage :

Il est remonté de la chambre froide où tout d’abord il s’était caché, car il s’est dit : « je préfère ne pas mourir comme un rat dans une cave. ».

Il évoque le terroriste et son absence d’humanité, qui lui a demandé à propos d’un autre otage qui agonisait « Vous voulez que je l’achève ? » : « Je reste marqué du ton sur lequel il s’est adressé à nous. C’était un ton tellement naturel, normal, comme votre professeur vous dirait « ouvrez votre manuel à la page 142 ». Ce ton, c’est ce que j’ai gardé de plus fort : un ton naturel pour quelque chose de monstrueux »

Il raconte l’interrogatoire auquel les otages ont été soumis « comme dans un camp de concentration. Nom. Âge. Fonction. Et origine. J’étais le dernier de la file, parmi mes camarades juifs. J’ai buté sur la dernière question. Je ne m’étais jamais posé une telle question. Cela voulait dire : « Je vais vous tuer parce que vous n’avez pas la même origine que moi. » On ne choisit pas de naître dans une famille juive ou catholique. Je croyais savoir ce qu’était le racisme, car j’ai vécu en Afrique du Sud, et j’ai vu là-bas ce qu’est le racisme. Or, lors de cet interrogatoire, j’ai vécu à mon tour le racisme dans ma chair : je te tue parce que tu n’es pas comme moi. On est tous l’autre d’un autre. Il y a des cinglés qui veulent tuer les gens autres qu’eux. J’ai vécu, dans une autre mesure, les interrogatoires que les Nazis faisaient passer aux Juifs dans les camps »

 

Novembre 2015 : Ainsi en ta première et jeune nouveauté, / Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté, / La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.


Jean-François Mondeguer, Chantal Anglade tenant une photo de Lamia Mondeguer ramenée par son père ; Alice Michalowski

 

En novembre 2015, Lamia Mondeguer perd la vie sur la terrasse de La Belle-Equipe : chaque semaine, depuis, son père Jean-François y dépose une rose.

Jean-François Mondeguer déclare : « contrairement à Alain, je n’ai rien à raconter. J’ai perdu ma fille, point. Avec le temps qui passe, je me suis dit : il y a des choses à dire » et il insiste sur la solidarité et l’aide et le soutien qu’il essaie d’apporter aux si nombreuses autres victimes et sur le fait qu’il n’a « pas de colère. Ni colère ni haine, sincèrement ».

« C’est grâce aux autres qu’on avance » affirme-t-il, et il explique combien il s’intéresse aux questions mémorielles et s’adresse aux élèves : « On a besoin de vous. C’est vous qui aurez des enfants, qui perpétuerez la mémoire du 13 novembre 2015. Je vous pose une question : comment ferez-vous pour garder cette mémoire ? Concrètement ? »

Il dit qu’il a refusé tous les plateaux-télé, mais qu’il apprécie de parler avec des lycéens : « Avec les jeunes, c’est la transmission, le fait de perpétuer la mémoire d’une façon ou d’une autre, qui se joue »

 

Dialogue

Les questions des lycéens ont été très nombreuses et très pertinentes. En voici quelques-unes :

Elève : Y a-t-il des choses que vous avez oubliées ?

Jean-François Mondeguer : Je me rends compte que j’ai des pertes de mémoire. Je participe à l’étude Péchanski /Eustache. C’est une étude multidisciplinaire sur la mémoire. L’étude va durer douze ans, avec environ mille témoins.

L’historien Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, et le neuropsychologue Francis Eustache, directeur de l’unité de recherche de l’Inserm à Caen, coordonnent un programme de recherche sur la mémoire des attentats, qui durera effectivement douze ans.

Elève : Comment avez-vous partagé votre douleur avec votre conjointe ?

C’est Madame Couanon elle-même, qui assiste à la rencontre avec les lycéens, qui répond : « Je savais qu’il n’accepterait pas la démarche d’être suivi par un psychologue, et cela a eu des conséquences sur mon stress personnel. Je suis psychothérapeute et j’ai fait ce que je n’aurais pas dû faire : j’ai écouté mon mari, la nuit, de minuit jusqu’à deux ou trois heures du matin, raconter son expérience. Ça été un exutoire important pour lui. Mais moi, en conséquence, je n’ai pas fermé l’œil pendant deux mois, j’ai aussi eu des difficultés à prendre les transports en commun »

Elève : Que diriez-vous aux terroristes ?

Alain Couanon : On ne peut rien dire à ces gens-là. Ils ont franchi une telle limite. Coulibaly nous avait parlé. Certains ont essayé de converser avec lui. Ça m’a paru vain. Il avait déjà tué cinq personnes. Il n’est plus accessible à aucune parole, c’est fini.

Elève : Que pensez-vous des repentis ?

Jean-François Mondeguer : L’adulte doit assumer son choix. Mais les enfants qui reviennent de Syrie… La question est bonne mais le sujet est difficile.


Martine Couanon, Alain Couanon, Jean-François Mondeguer, Chantal Anglade, Alice Michalowski

L’Arbre de vie

Cette rencontre était l’un deux moments forts de la journée du 21 novembre, consacrée à la Mémoire au lycée Claude Bernard. Le matin, nous avons assisté à la projection du film de Serena Dykman, Nana, un documentaire sur Marila Michalowski, sa grand-mère, rescapée d’Auchwitz. C’est Alice Michalowki, fille de Marila et mère de Serena, qui présentait le documentaire aux élèves et étudiants. Il était question de deux transmissions imbriquées l’une dans l’autre : celle d’une mission transmise par Marila à Alice puis à Serena d’aller dans les classes transmettre à la jeunesse combien il convient d’être vigilants contre l’antisémitisme. Et c’est précisément après l’attentat au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014 et les attentats de 2015 à Paris que Serena décide de produire avec Alice son documentaire.

Lorsque nous préparions la rencontre avec Alain Couanon et Jean-François Mondeguer en mettant en voix des « tombeaux littéraires » de Villon, Ronsard, Malherbe, Hugo, nous ne savions pas que le livre publié par Marila Michalowski s’intitulait Mémorial des Morts sans Tombeaux.

Alors, Martine et Alain Couanon, Jean-François Mondeguer qui portait sur lui la photo de Lamia, Alice Michalowski au nom de Marila et de Serena, les élèves de Terminale L et les étudiants de classe préparatoire ont déposé sur l’Arbre de Vie conçu par Elodie en Arts Plastiques une multitude de feuilles multicolores, pour, disaient-ils, « laisser des traces ».

 

Merci

A nos deux témoins
Aux élèves de Terminale L et aux étudiants d’ECS2
Aux professeures, Delphine Rachet et Catherine Maulpoix
A Stéphane Casorla, merveilleux comédien qui a veillé à la mise en voix de Prendre dates et des poèmes
A Alice Michalowski
A Rachid Azzouz, IA-IPR d’Histoire, délégué académique à la mémoire, l’histoire et à la citoyenneté et membre du Comité Mémoriel
A Madame Ferry-Grand, Proviseure, et Madame Gustave, Intendante
Aux Agents du lycée Claude Bernard pour la mise en place de la salle
Au photographe Michel Pourny
A nos partenaires

Laissez un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *


A propos de l’AFVT

La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.


NOUS CONTACTER

NOUS APPELER au +33 1 41 05 00 10