Juger le terrorisme : l’enjeu du discernement

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Maladies psychiatriques et justice antiterroriste, voilà la question qui s’est posée à la 33ème chambre du tribunal correctionnel de Paris le 22 octobre 2019. Jusqu’alors, l’immense majorité des auteurs d’actes terroristes ont été jugés responsables de leurs actes et ne présentaient pas de troubles psychiatriques impliquant une altération ou abolition du discernement.

Mais le procès du 22 octobre 2019 pose de nouveau la question psychique et son impact sur la réponse apportée par la justice antiterroriste. L’AfVT était présente en sa qualité de partie civile, qui a été jugée recevable par la 33ème chambre, et était représentée par Maître Dan HAZAN.

En effet, ce mardi était jugé Mamoye DIANIFABA pour une tentative d’attaque au couteau contre des militaires sur le parvis de la Tour Eiffel le 5 août 2017.

Ce dernier était connu de la justice pour un parcours délictuel fourni (vols, agressions) mais pour lequel la justice a toujours conclu à l’irresponsabilité pénale préférant l’hôpital psychiatrique à la prison. Il était également connu pour une radicalisation entamée en 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. Il a d’ailleurs déclaré à la barre pour justifier sa pensée de l’époque « Coulibaly c’est bien ce qu’il a fait, il faut se venger des juifs et d’Israël ».

A l’audience du 22 octobre, l’avocate de Mamoye DIANIFABA a de nouveau plaidé la maladie mentale et demandé à ce qu’il soit protégé et aidé plutôt que puni pour acte de terrorisme. La difficulté repose sur l’appréciation de l’état mental du prévenu au moment des faits. Une première expertise psychiatrique avait conclu à l’abolition du discernement mais deux nouvelles expertises réalisées au cours de l’instruction ont, quant à elles, conclu à une simple altération du discernement.

Ce cas d’espèce pose une question médico-légale épineuse et cruciale en matière de responsabilité pénale. Cette question est celle de la justice confrontée aux maladies mentales et, par conséquent, aux causes possibles d’atténuation de la peine voire d’irresponsabilité pénale. Pour ce faire, la justice s’appuie sur les experts psychiatriques afin de déterminer l’existence, ou non, de l’abolition/altération du discernement au moment des faits.

Juridiquement, le code pénal prévoit en son article 122-1 deux cas possibles :

  • L’abolition du discernement

L’article 122-1 du Code Pénal dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

C’est l’hypothèse la plus lourde. Concrètement, si l’auteur était au moment des faits totalement privé de discernement, alors il ne peut pas être jugé responsable pénalement. L’abolition du discernement s’entend de la privation totale de libre arbitre au moment des faits (crise de schizophrénie par exemple) ou de contrôle de ses actes. C’est ce qu’on appelle une cause subjective d’irresponsabilité pénale.

Cela implique qu’il ne pourra pas être condamné et évitera, de fait, la prison. Il sera alors préféré des soins psychiatriques.

  • L’altération du discernement

L’article 121-1 al 2 du Code Pénal dispose que « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. »

L’altération s’entend d’un trouble qui, s’il a altéré la capacité de l’auteur à mesurer et/ou contrôler la portée de ses actes, ne l’a pas privé de son libre arbitre, ou de contrôle, de façon absolue contrairement à l’abolition. Dans le cas d’une altération du discernement l’auteur reste donc punissable et pourra, le cas échéant, être condamné à de la prison ferme.

Mais si l’altération du discernement est retenue, alors les juges devront la prendre en compte dans le prononcé de la peine et son quantum. C’est précisément ce que prévoit la suite de l’article 122-1 du code pénal :

« Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine.»

 

La justice antiterroriste mise à l’épreuve

L’enjeu est donc de taille pour la justice antiterroriste, car l’altération du discernement permet de réduire la peine tandis que l’abolition du discernement permet d’exclure totalement la condamnation pénale de l’auteur.

Pour le mesurer, les juges s’appuient essentiellement sur les expertises psychiatriques réalisées en amont de l’audience. A l’appui de l’expertise psychiatrique, l’auteur doit prouver que le trouble existait au moment des faits, était en lien avec l’infraction et était suffisamment grave pour être prise en compte.

Toutefois, les juges restent souverains dans cette appréciation. Ils ne sont pas liés par l’expertise psychiatrique.  Ils profitent de l’audience et de l’interrogatoire de l’auteur pour se faire leur propre avis. Ainsi, les juges peuvent suivre l’avis rendu par l’expertise psychiatrique mais aussi, plus rarement, ne pas le suivre.

Les conséquences sont lourdes car si l’abolition est retenue alors le malade psychiatrique sera remis au corps médical qui pourra le garder sous contrainte à hôpital et pourra, après traitement psychiatrique et médicamenteux, le relâcher s’il n’est plus dangereux pour lui-même ou autrui. Preuve que la tâche est ardue pour les experts, Mamoye DIANIFABA a attaqué les militaires lors de sa première permission de sortie et ce, suite à une expertise psychiatrique ayant conclu qu’il était stabilisé et apte à sortir…

D’ailleurs, l’expert psychiatre Daniel ZAGURY a expertisé Monsieur DIANIFABA et a déclaré dans son rapport «ce type de personnalité pose toujours de délicats problèmes médico-légaux. Il ne peut pas être simplement considéré comme un malade à soigner ou comme un délinquant à punir. Il ne cesse de revendiquer son geste. Ne pas l’entendre, c’est prendre le risque d’une surenchère».

Maître HAZAN, avocat de l’AfVT et des militaires, a souligné la difficulté de la question posée aux juges car, au regard du parcours du prévenu, il ressort que l’irresponsabilité pénale de ce dernier lui permettait de toujours se retrouver libre après ses traitements psychiatriques et redevenait un danger potentiel pour la société. Dans le même temps, il n’est pas prévu par les textes la possibilité de condamner à l’enfermement carcéral un prévenu dont il serait avéré qu’il souffrait de troubles psychiatriques au moment des faits ayant aboli le discernement.

Concernant Mamoye DIANIFABA, le 22 octobre 2019, la justice l’a condamné à 4 ans de prison ferme et 10 ans de suivi socio-judiciaire. Cette fois-ci, la justice n’a pas retenu l’abolition de son discernement ce qui a permis sa condamnation. En revanche, à l’heure où est rédigé cet article, nous ne savons pas encore si la justice a retenu une altération du discernement.

Au-delà de ce cas d’espèce, cette question risque en matière antiterroriste de se poser de plus en plus fréquemment, tant il est vrai que les organisations terroristes réussissent à utiliser des personnes fragiles mentalement mais aussi du fait, il ne faut pas l’écarter, qu’il peut s’agir d’une stratégie de défense de l’auteur de l’attentat.

La justice antiterroriste devra relever le défi d’une réponse pénale adaptée et ce dans l’intérêt de l’auteur des faits, selon le principe de personnalisation de la peine, mais aussi dans l’intérêt des victimes qui attendent que toutes les responsabilités soient, le cas échéant, réprimées.

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