Jean-Claude et Sacha – Pas un hasard mais un rendez-vous

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« Only want you ». C’est le titre de la première chanson des Eagles of Death Metal que le groupe joue systématiquement lors de ses concerts. Le titre également que Jean-Claude a choisi de faire écouter à Sacha lors d’une rencontre entre deux êtres qui immédiatement s’entendent et se comprennent. Comme le dit lui-même Jean-Claude : « c’était une évidence qu’on se rencontre ». Devant un Sacha à la fois attentif et intimidé, Jean-Claude livre le récit de sa nuit au Bataclan, le soir du 13 novembre 2015. Présent dans la salle de spectacle dès la première partie, il s’éloigne de l’entrée au fur et à mesure que s’amasse la foule lorsque les Eagles of Death Metal montent sur scène.

 

 

Rock’n’roll is not dead

 

Il se souvient : « J’envoie un dernier message à un copain qui dit : « Rock’n’roll is not dead ». Il me répond « Profite » ». Il apprendra par la suite pendant le procès qu’un des terroristes l’a frôlé avant d’aller se faire exploser sur scène. C’est à ce moment qu’il a entendu Didi, le responsable de la sécurité, crier : « Sauvez-vous ! ». Jean-Claude raconte : « [Il] avait ouvert la porte, une des issues de secours sur la droite. Je ne suis pas sorti tout de suite parce qu’ils tiraient toujours. Tu entends qu’il y a des breaks quand ils rechargent. J’ai attendu 30 secondes, 1 minute de plus, ce qui m’a paru très long et je me suis dit : « Il faut y aller ». Je suis sorti, non sans difficulté car beaucoup de gens essayaient de sortir et les terroristes leur tiraient dessus ». Avec du recul, Jean-Claude réalise : « Je voulais prendre une place pour ma fille cadette. Il n’y en avait plus et je me dis que ce n’est pas plus mal au vu des évènements qui ont suivi ».

 

Ecouter Only Want You – The Eagles of Death Metal

 

Sweet Lamia is dead

 

De ce courageux récit, Sacha reste impressionné mais il exprime les sentiments qui l’habite en entendant Jean-Claude : « C’est une expérience très importante pour moi. J’ai l’impression que c’est un cliché si je dis que c’est unique. Je suis dans une période de ma vie où je ne sais pas du tout ce que je veux faire plus tard mais ça va m’accompagner ». Jean-Claude le félicite de cette réaction car tous deux ont beaucoup à partager. En tant que victime du 13 novembre, Jean-Claude se sent très concerné également par les autres attentats qui ont touché Paris cette nuit-là : « Quand j’ai entendu que tu avais écrit un texte sur les chaises de terrasse, je me suis dit que je ne pouvais rencontrer que toi ». Il l’explique par le fait qu’il connaissait également une jeune femme, Lamia, fille d’amis à lui, décédée à la terrasse de La Belle Equipe avec son amoureux.  Jean-Claude en effet a longtemps été le collègue de Jean-François, le père de Lamia, ils sont amis, et pour lui, c’est la double peine, la « deuxième couche » qui l’atterre lorsqu’il se rend auprès de la famille Mondeguer le dimanche suivant les attentats. De là, les deux hommes évoquent le sentiment de culpabilité, « la culpabilité du survivant » que Jean-Claude décrit comme une incompréhension : « Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi elle, elle était partie et moi je suis encore vivant ».

 

Lire l’entretien de Nadia, maman de Lamia pour La Galerie des Objets

 

Surmonter le traumatisme, Jean-Claude le fait par la parole. On lui conseille de parler, mais pas à n’importe qui : entre « initiés, c’est-à-dire entre gens qui ont vécu la même chose que toi au même moment ». Cette expérience lui permet de se reconstruire : « Je me suis rendu compte qu’on pouvait partager le même choc ». La libération de la parole devient alors thérapeutique : « J’aurais pu écrire un bouquin, parler dans la presse. Moi, je fais de la culture orale, j’aime parler et échanger. J’ai deux filles et je voulais que ça reste. […] J’ai besoin d’échanger avec les autres ». A l’égard de Sacha, Jean-Claude prononce ces mots : « Tout l’intérêt que tu portes est la raison de ma présence », preuve s’il en faut d’un objectif de transmission qu’il est parvenu à réaliser.

 

Jean-Claude évoque l’après et la disparition de Lamia 

 

 

« Parler de l’évènement au travers de ce qu’il restait après »

 

Un réel point commun que l’on trouve entre les deux protagonistes est cette sensibilité à l’art qui marque leurs échanges. Sacha présente à Jean-Claude son œuvre, un collage représentant l’objet qu’il a choisi, les chaises de terrasse. Jean-Claude fait immédiatement le lien avec Lamia tandis que Sacha se pose comme l’auteur d’une représentation alliant chaos et hommage aux personnes disparues. De cet « objet du quotidien, qui est banal », Sacha adopte une approche de « réalité altérée » matérialisant ce « chaos visuel » qui a beaucoup étonné Jean-Claude : « Tu parles très peu des personnes assises sur ces chaises. […] c’était très fort de parler des terrasses sans parler des personnes attaquées ». Cette « déshumanisation » comme le décrit Sacha, appelle chez Jean-Claude « de la retenue, de la pudeur » et « une vraie sensibilité ».

 

Sacha, dont la représentation sous forme de collage repose à ses pieds et Jean-Claude, ayant apporté le CD sous forme de cadeau

 

La conversation se poursuit naturellement vers l’impact des médias dans la vie de Jean-Claude et même de Sacha en tant que spectateur ainsi que la représentation des évènements. Sacha pense que « c’est aussi très important de se représenter l’imaginaire car ça suscite beaucoup plus », ce à quoi Jean-Claude ne peut qu’acquiescer, lui qui a vécu de près l’attention médiatique et les dérives que celle-ci pouvait générer. Il rejoint Sacha, « pas habitué aux interviews » et entretenant un rapport « très éloigné avec les médias » en disant que même avant les attentats, il avait « toujours eu un rapport particulier avec les médias et la manière avec laquelle on traite les infos ». Et cette volonté de savoir s’est retrouvée même dans son cercle intime, quand il explique à Sacha qu’au lendemain des attentats, sa compagne filtre les appels qu’il reçoit car il y a pour lui une différence entre « qui veut savoir comment je vais [et] qui veut du sensationnel ». Jean-Claude conclut en disant que pour lui, « c’était important de partager, de témoigner mais pas n’importe comment ni avec n’importe qui ». En la personne de Sacha, la transmission d’une expérience et d’un message est assurée par la sensibilité à la fois artistique et affective que le jeune homme a décidé de manifester – comme s’ils savaient tous les deux qu’ « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ».

 

A la fin de l’entretien, Sacha remercie Jean-Claude et se dit honoré de participer avec lui au projet La Galerie des Objets. De façon inopinée après l’entretien, Jean-Claude et Sacha continuent d’évoquer leurs points communs et notamment leur passion pour la musique. L’adolescent apprend à Jean-Claude qu’il fait partie d’un groupe qui se produira d’ici un mois dans un bar-restaurant de la région parisienne. Ravi, Jean-Claude lui demande l’adresse en promettant de s’y rendre…Une belle façon de dire que le rock’n’roll ne meurt jamais.

 

Lire l’avant-dernier article de La Galerie des Objets : Stéphane et Messia : « Je l’aimais bien, moi, ce costume… »

 

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