Comprendre le déroulement d’un procès pour terrorisme devant la cour d’assises spécialement composée

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Les infractions terroristes peuvent être jugées soit devant le tribunal correctionnel soit devant la cour d’assises spécialement composée selon la nature de l’affaire. Si les faits revêtent une qualification délictuelle[1], le tribunal correctionnel est compétent. Toutefois, la gravité des faits de terrorisme, relatifs à la préparation et à la commission d’attentats, justifie le plus souvent une qualification criminelle[2]. C’est alors la cour d’assises spécialement composée qui aura à juger des procès criminels terroristes.

Partie civile dans de nombreux procès pour terrorisme, l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT) assiste à des audiences devant la cour d’assises spécialement composée. Cet article a pour but de présenter le déroulement d’un procès pour terrorisme devant la cour d’assises spécialement composée.

Qu’est-ce que la cour d’assises spécialement composée ?

La cour d’assises est qualifiée de « spéciale » du fait de sa composition particulière justifiée par la gravité des crimes qu’elle aura à juger. Compétente en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée, la cour d’assises spécialement composée ne compte aucun jury populaire en son sein. En effet, cette juridiction est composée de sept magistrats professionnels en première instance et de neuf magistrats professionnels en appel. Elle siège à Paris.

La cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels est-elle légitime ?

Si le jury populaire de la cour d’assises constitue un principe fondamental de l’Etat de droit, notamment du fait du rôle qu’il accorde à tout citoyen français, au nom duquel la justice est rendue en France, il trouve ses limites dans les procès pour terrorisme.

Les enjeux et la gravité des procès pour terrorisme sont sources de pressions multiples. En effet, cette spécialisation de la justice a été mise en place en 1986, à la suite de menaces d’un membre d’Action directe contre les jurés. Le lendemain de ces menaces, certains jurés ont refusé de siéger et le procès a dû être renvoyé[3].

En effet, il semble essentiel de rappeler le poids de la menace terroriste au cours d’un tel procès criminel. Pour exemple, certains magistrats vont bénéficier d’une protection pour assurer leurs déplacements. Tandis que certains témoins vont être auditionnés par visioconférence ou de manière anonyme (en ombre chinoise avec la voix modifiée).

De plus, le caractère exclusivement professionnel de la formation de jugement permet une certaine expertise en matière d’infractions terroristes. En ce sens, il est opportun de rappeler la complexité et la diversité caractéristiques des dossiers terroristes, qui impliquent le plus souvent des réseaux terroristes entiers aux multiples ramifications. Les magistrats professionnels sont souvent bien au fait des infractions terroristes et détiennent une réelle compétence en la matière.

La cour d’assises spécialement composée vise à éviter toute forme de pression ou de menace sur la formation de jugement. Le contexte exceptionnel lié aux procès pour terrorisme justifie la composition exclusivement professionnelle des cours d’assises qui auront à juger les accusés.

Qui sont les acteurs d’un procès d’assises pour terrorisme ?

Excepté le caractère spécial de la formation de jugement, la composition d’une audience de cour d’assises jugeant de faits terroristes est classique. Une audience pénale comprend différents acteurs détenant tous un rôle essentiel.

Source image : Le Figaro

Concernant la cour en elle-même,

Le président de la cour mène les débats en donnant la parole à chaque partie et en décidant du rythme de l’audience. Il décide des suspensions d’audience, permettant à la cour de se retirer pour faire une pause en cours de journée ou pour interrompre les débats jusqu’au lendemain. A la fin de l’audience, il sera amené à délibérer avec les assesseurs sur la condamnation ou non des accusés et sur les peines à prononcer.

Les assesseurs siègent aux côtés du président. Ils interviennent et posent des questions aux différentes parties auditionnées. Parfois silencieux, c’est toujours avec une grande attention et expertise qu’ils suivent les débats. Ils seront amenés à juger les accusés, une fois l’audience suspendue pour les délibérés.

L’Avocat général représente le Parquet. En tant que magistrat du Parquet, il conduit les intérêts de la société en tenant le rôle de « l’accusation » face aux individus traduits devant la cour d’assises. Il prend régulièrement la parole, au même titre que les avocats de la défense et les avocats de la partie civile. Son but est de démontrer et de relever les éléments prouvant ou non la culpabilité des accusés.

Le greffier siège à côté des magistrats du siège. Il s’occupe de l’administration de l’audience. Le greffier va prendre en note les incidents d’audience et il va acter la présence des personnes convoquées devant la cour d’assises.

L’huissier siège devant la cour. Il s’occupe lui aussi de l’organisation administrative et technique de l’audience. Il note la présence des personnes convoquées devant la cour d’assises et veille au bon déroulé de l’audience, en assurant le silence et le bon ordre. En tant que victime ou témoin convoqué, pour des questions pratiques, il ne faut pas hésiter à se référer à l’huissier.

Concernant les parties au procès,

La partie civile est présente en tant que victime. Elle est représentée par son avocat. Elle détient une place importante car sa présence permet de témoigner des actes terroristes commis et de démontrer la souffrance et la difficulté nées de ces crimes. L’avocat de la partie civile peut poser des questions quand le président lui donne la parole, c’est-à-dire après chaque audition.

En tant que partie civile, l’AfVT représente la communauté des victimes du terrorisme, qu’elles soient présentes ou absentes au procès.

L’accusé est traduit devant la cour d’assises spécialement composée pour les faits visés dans l’ordonnance de mise en accusation, prise par le juge d’instruction à l’issue de la procédure d’instruction. Il est dans un box, le plus souvent vitré. Il est représenté par son avocat, qui peut poser des questions dans les mêmes conditions que l’avocat de la partie civile. Il peut s’exprimer librement, sous réserve de l’autorisation du président.

Concernant le public,

Sauf huit-clos, toute audience est publique. Ce principe est un fondement de l’Etat de droit, en ce que la justice est rendue « au nom du peuple français ». Tout individu dispose d’un accès libre au palais de justice et aux audiences, sous réserve de respect et de discrétion.

Au cours d’un procès pour terrorisme, le public est le plus souvent composé de journalistes, qui rendent compte des débats. Bien que leur présence puisse sembler impressionnante quand le procès est fortement médiatisé, leur rôle est essentiel afin d’informer le public et de garder une trace des paroles qui seront prononcées devant la cour d’assises. Les journalistes judiciaires bénéficient d’accréditations et sont détenteurs d’une carte professionnelle « presse judiciaire ».

Enfin, un important service d’ordre est présent pour les audiences de la cour d’assises spécialement composée en raison du caractère grave des faits commis. Les membres des forces de l’ordre ont pour rôle de surveiller, d’orienter et de placer le public afin d’assurer la sérénité des débats.

Quelles sont les étapes d’une audience devant la cour d’assises spécialement composée ?

Un procès pour terrorisme détient le même déroulement que tout procès pénal. L’audience se décompose en trois temps.

Dans un premier temps, les débats ont lieu : les auditions des parties et des individus cités à comparaitre devant la cour d’assises. L’oralité des débats est un principe fondamental et absolu du fonctionnement de toute cour d’assises.

L’audience s’ouvre par l’appel de toutes les parties, effectué par le président. Puis le président « instruit » le dossier, il lit l’ordonnance de mise en accusation et rappelle les faits. Les victimes, témoins, experts se succèdent selon le calendrier de l’audience afin d’être auditionnés. Les accusés seront eux aussi auditionnés.

Les experts peuvent regrouper des médecins légistes, des experts techniques en tout genre (selon la pièce du dossier débattue : armes, véhicule, meubles, outils…), des psychiatres et psychologues, des enquêteurs de personnalité…

Le président mène chaque audition, tout en laissant s’exprimer librement l’intéressé. A la suite des déclarations et des réponses apportées, le président donne la parole pour les questions dans un ordre défini qui sera toujours le même : d’abord les assesseurs, ensuite la partie civile, puis l’Avocat général et enfin la défense.

Dans un second temps, les réquisitions et les plaidoiries débutent.

Tout d’abord, l’avocat de la partie civile plaide. Son rôle n’est pas celui de l’accusation, mais bien celui de la représentation des victimes et de leur souffrance. L’avocat démontrera alors l’impact et les conséquences des crimes commis aussi bien sur la victime elle-même, que sur la société dans son entier ; les actes terroristes visant à atteindre au fonctionnement de notre société et de notre Etat de droit.

Par la suite, l’Avocat général prend ses réquisitions en démontrant méthodiquement la culpabilité des accusés et en reprenant divers éléments des débats. Il établit les charges qui conduiront les juges à condamner ou non les accusés. En effet, il est essentiel de rappeler que le rôle du Parquet n’est pas de condamner à tout prix, mais de poursuivre justement selon les éléments du dossier et des débats. Si l’Avocat général considère que l’affaire ne justifie pas une condamnation, il pourra requérir un acquittement. Dans le cas de réquisition en faveur d’une condamnation, l’Avocat général proposera une peine définie.

Enfin, l’avocat de la défense plaide. Il construit sa plaidoirie de manière personnelle et sa prise de parole peut prendre diverses formes et avoir divers buts selon la stratégie de défense qu’il aura établi avec son client en amont. La plaidoirie de la défense est toujours riche d’enseignements dans un procès pour terrorisme car l’avocat de l’accusé va porter la voix de son client, en apportant une autre vision de l’affaire. Il est essentiel de rappeler ici le principe du contradictoire, fondamental à tout Etat de droit qui permet de débattre des éléments discutés lors de l’audience et de laisser la défense s’exprimer en toute liberté dans le respect des droits des victimes.

Pour finir, l’audience se clôture avec la dernière déclaration de l’accusé. Le président donne la parole à l’accusé, qui pourra s’exprimer librement une dernière fois avant que la cour se retire pour délibérer. Ce temps particulier peut être source d’apaisement ou de frustration pour les victimes, selon les déclarations faites et le ressenti personnel de chacun. Il reste essentiel à un procès équitable et permet à l’intéressé de s’exprimer librement en pleine conscience.

Le président suspend l’audience, la cour se retire pour délibérer.

Dans un troisième temps, la cour délibère dans le secret des délibérés pour déterminer la culpabilité ou non de l’accusé.

En cas de condamnation, les juges devront prononcer une peine. Les infractions criminelles terroristes exposent leurs auteurs à des peines entre quinze ans de réclusion criminelle et la réclusion criminelle à perpétuité ; étant précisé qu’une période de sûreté peut être prononcée par la cour d’assises. Pour comprendre, la période de sûreté est une durée associée à une peine de réclusion criminelle durant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine qui lui permettrait d’avoir une peine moins contraignante.

Lors des délibérés, les juges doivent répondre à la question : « avez-vous une intime conviction ? », concernant la culpabilité de l’accusé. En effet, le principe de l’intime conviction est lié à la règle fondamentale, applicable devant toute cour d’assises, « le doute profite à l’accusé ». Si la gravité des faits de terrorisme dont est saisie la cour d’assises spécialement composée rend ces procès « inédits », l’Etat de droit et les principes du procès équitable s’appliquent strictement et impliquent le respect du principe essentiel « in dubio pro reo », « le doute profite à l’accusé ».

C’est aussi la force des procès pour terrorisme : injecter des valeurs démocratiques et républicaines par un procès équitable respectant les droits et libertés de chacun face à la barbarie et la terreur semées dans nos sociétés par les attentats.

A la suite des délibérés, la cour rend son verdict. Le procès est terminé. L’accusé et le Parquet dispose d’un droit d’appel.

* * *

Le procès d’assises pour terrorisme est un temps particulier pour toute victime de terrorisme. Il est l’occasion de revenir sur les faits, et parfois d’obtenir certaines explications et réponses. Malgré son caractère essentiel pour le travail de reconnaissance et de mémoire des attentats, le procès peut être facteur d’angoisses et de souffrances. Il constitue une étape de plus dans le parcours d’une victime pour apprendre à vivre avec les conséquences des attentats. Chacun vit et interprète le temps judiciaire comme il le peut.

L’AfVT souhaite être présente aux procès terroristes afin de représenter la grande communauté des victimes de terrorisme, pour porter leurs intérêts et leur voix qui s’élèvent contre le terrorisme.

Dans le cadre de son activité, l’AfVT réalise des comptes rendus d’audience à destination des victimes et du grand public, disponibles sur le site internet https://www.afvt.org/ .

Pour plus d’informations :

[1] En droit pénal français, un délit est un degré de qualification d’infractions pénales qui dépend de la valeur sociale violée par l’infraction. De cette qualification, découle un type de peine attaché au délit (l’emprisonnement) et la compétence d’une juridiction pour juger le délit (tribunal correctionnel).

[2] En droit pénal français, un crime est la qualification d’infractions pénales la plus grave. De cette qualification, découle un type de peine attaché au crime (réclusion criminelle) et la compétence d’une juridiction pour juger le crime (la cour d’assises).

[3] En décembre 1986, lors du premier jour d’audience du procès de trois membres de l’Action Directe devant la cour d’assises de Paris, un des accusés, Régis Schleicher, menace la cour : « Ceux qui siègent ici, magistrats ou jurés, s’exposent aux rigueurs de la justice prolétarienne, et à titre d’information, je voudrais savoir à ce sujet combien de temps vous avez prévu de les faire protéger ». Les défections ne se sont pas fait attendre. En moins d’une semaine, le président de la cour reçoit les démissions de quatre jurés, étant ainsi obligé de renvoyer l’affaire à une séance ultérieure. Une autre conséquence plus générale de cet incident a été un projet de loi qui visait à modifier la loi du 9 septembre 1986 afin qu’elle puisse être appliquée de façon rétroactive aux procédures en cours. Cette loi du 9 septembre prévoyait, entre autres mesures, la suppression du jury à la cour d’assises, mais uniquement pour des faits de terrorisme commis postérieurement à son entrée en vigueur. Or les faits reprochés aux membres de l’Action directe dataient du 31 mai 1983. Il fallait donc modifier rapidement la loi récemment édictée pour qu’elle s’applique à cette affaire et pour empêcher un nouveau renvoi.

 

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