Article sur l’enregistrement audiovisuel du procès Charlie Hebdo

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Par une décision datant de juin 2020, le premier président de la Cour d’appel de Paris a autorisé l’enregistrement audiovisuel de l’intégralité des audiences pour le procès des attentats de janvier 2015, qui débutera le 2 septembre prochain au Tribunal judiciaire de Paris. Si l’enceinte judiciaire est habituellement protégée de tout enregistrement des débats, il existe une exception qui se justifie par l’intérêt historique d’un procès.

En effet, l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prohibe, sous peine d’une amende de 4 500 euros et de la confiscation du matériel utilisé, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole, et ce dès l’ouverture de l’audience. La loi permet seulement « des prises de vue quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent », et uniquement sur demande présentée au président avant l’audience.

Cette interdiction vise à assurer la sérénité des débats ainsi qu’une bonne administration de la justice, mais aussi à protéger la vie privée des parties au procès, la sécurité des acteurs judiciaires et les droits de la défense tels que la présomption innocence essentielle dans tout procès pénal. Ces intérêts justifient la restriction de la liberté d’expression et de communication lors du temps judiciaire ; le principe de publicité des audiences permettant de garantir l’accès au public et à la presse.

Toutefois, la loi du 11 juillet 1985 tendant à la création d’archives audiovisuelles, impulsée par le garde des sceaux de l’époque Monsieur Robert BADINTER, autorise des cas exceptionnels d’enregistrements sonores et audiovisuels à des fins historiques.

C’est dans ce cadre légal que s’inscrit l’autorisation d’enregistrement audiovisuel du procès des attentats de janvier 2015, qui jugera des attentats commis par les frères KOUACHI et Amedy COULIBALY les 7, 8 et 9 janvier 2015. Le premier président de la Cour d’appel de Paris justifie sa décision en expliquant que « ce procès présente de toute évidence un intérêt pour la constitution des archives historiques de la justice » et que « cet enregistrement ne peut être considéré comme portant, en lui-même, atteinte à la présomption ». La cour d’appel de Paris estime aussi « qu’il n’est pas davantage de nature à perturber la sérénité des débats. »

Pour comprendre le cadre de ces enregistrements et leur diffusion, il faut reprendre la loi du 11 juillet 1985. Dans un but d’archivage national, un procès présentant un intérêt historique majeur peut faire l’objet de captation sonores et audiovisuelles dans des conditions strictes. Les images du procès ne pourront être diffusées avant l’expiration d’un délai de cinquante ans. Durant ce délai, ces archives sont seulement communicables à des fins historiques ou scientifique. La longueur de ce délai se justifie par l’ambition historique de cette loi. Il permet à la société d’appréhender l’évènement historique que constitue ce procès et d’établir une mémoire autour, tout en préservant les droits des parties dont l’affaire a été filmée et enregistrée. Avant l’expiration de ce délai, le président du Tribunal judiciaire de Paris peut délivrer une autorisation spéciale de diffusion sur demande et sur présentation d’un projet éditorial. Après écoulement du délai de cinquante ans, la reproduction et la diffusion des enregistrements audiovisuels ou sonores sont libres, tout en restant encadrées par des demandes d’exploitation formulées aux archives nationales. Ce sont les archives nationales qui sont détentrices des images qui ne peuvent être diffusées sans leur autorisation.

La possibilité d’enregistrer des procès historiques vise à garder une mémoire vivante, par le biais de l’enregistrement sonore et/ou audiovisuel, des grands procès qui « revêtent une dimension événementielle, politique ou sociologique » et marquent l’histoire de la société française. Elle permet de comprendre le fonctionnement de la justice, tout en préservant le bon déroulement des audiences, l’indépendance des juridictions judiciaires et administratives et les intérêts légitimes des différentes parties. Les enregistrements doivent être réalisés dans des conditions visant à ne pas porter atteinte au bon déroulement des débats ni au libre exercice des droits de la défense. Ils sont réalisés à partir de points fixe (article L.221-4 du code du patrimoine). Ils sont ensuite transmis, via le ministère de la Justice, aux Archives nationales, qui sont responsables de leur conservation (article L.221-5 du code du patrimoine).

L’enregistrement audiovisuel d’un procès n’est pas une première. Certains « grands procès » ont déjà fait l’objet d’une captation à des fins de conversation historique et d’archivage. Les procès de Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon sous l’Occupation, ainsi que les procès de Paul TOUVIER et Maurice PAPON, hauts fonctionnaires sous l’Occupation complices de crimes contre l’humanité, ont été enregistrés. Le procès de l’usine AZF ainsi que l’affaire du sang contaminé ont aussi fait l’objet de captations en raison des graves dysfonctionnements qu’ont révélé ces affaires.

L’audience des attentats de janvier 2015 sera le premier procès pour terrorisme à être filmé en France. En effet, la captation audiovisuelle du procès d’Abdelkader MERAH et Fettah MALKI avait été refusée.-delà du caractère atroce ou du retentissement de l’affaire, l’intérêt historique a été considéré comme faible pour ce procès qui jugeait un complice présumé, le frère du terroriste abattu par la police. S’il est vrai que l’absence de l’auteur principal des attentats de Toulouse et Montauban risquait de limiter les explications sur ces attaques terroristes violentes, il aurait pu être intéressant de conserver à des fins historiques un enregistrement de cette audience ; l’affaire Merah ayant marqué un pas dans l’histoire du terrorisme français tant par son extrême violence que par ses impacts sur la société française.

La Cour d’appel de Paris souligne aujourd’hui le caractère symbolique international des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher : « Ces attentats, dont le retentissement et l’émotion qu’ils ont engendré, ont largement dépassé les frontières, en raison des symboles visés : la liberté de la presse, l’Etat et ses représentants ainsi que la communauté juive. Une manifestation a par ailleurs rassemblé le 11 janvier 2015 plusieurs millions de personnes venues rappeler l’attachement citoyen aux valeurs de la République, ébranlées par ces actes. Ce procès présente de toute évidence un intérêt pour la constitution des archives historiques de la justice. »

Dans cette même idée, le Rapport « Terrorisme : faire face » du Comité mémoriel à la garde des Sceaux propose d’autoriser l’enregistrement filmé des principaux procès en matière de terrorisme en soulignant le « rôle important de la procédure judiciaire dans l’élaboration de la résilience individuelle et collective ». En matière de terrorisme, le procès consiste à rejouer le crime dans le théâtre de la justice. C’est donc à la fois un évènement attendu et redouté car il ravive les traumatismes de chacun.

Si le procès peut être facteur de frustration pour les victimes, il est essentiel pour passer du temps vif d’un évènement qui n’est pas terminé tant qu’il n’est pas jugé, au temps de la mémoire qui n’a d’autre enjeu que le souvenir et sa transmission. L’archivage d’un tel procès d’envergure qui s’ouvre le 2 septembre 2020 pour juger les responsables présumés des attentats de janvier 2015, y contribue largement dans un but démocratique, historique et mémoriel.

Sources :

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/07/09/le-proces-des-attentats-contre-charlie-hebdo-et-l-hyper-cacher-sera-filme_6045750_1653578.html

https://www.la-croix.com/France/Justice/Le-proces-attentats-Charlie-Hebdo-filme-une-maniere-souligner-dimension-historique-2020-07-10-1201104479

http://www.crif.org/fr/revuedepresse/france-proces-des-attentats-de-charlie-hebdo-et-de-lhyper-casher-la-justice-autorise-que-les-audiences-soient-filmees

https://larevuedesmedias.ina.fr/larchivage-des-grands-proces-lina-mode-demploi

file:///C:/Users/service-juridique/Downloads/DIAV_Rapport_Comite_Memoriel.pdf

https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/linterdiction-denregistrement-des-audiences-ne-porte-pas-une-atteinte-excessive-a-la-liberte/h/7cdb8dc518bde9004077a616673dac00.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Archives_audiovisuelles_de_la_justice

https://www.lci.fr/justice/l-integralite-du-proces-des-attentats-de-charlie-hebdo-montrouge-et-l-hyper-cacher-sera-filmee-2158827.html

 

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