LE PROCES EN APPEL DE L’ATTENTAT DE NICE DU 14 JUILLET 2016 SUR LA PROMENADE DES ANGLAIS

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Le mémorial en l’honneur des 86 victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice – © Maxppp – Jean François Ottonello

Le procès en appel concernant l’attentat de Nice de 2016 a débuté le 22 avril 2024, ravivant les souvenirs douloureux de cette tragédie qui a marqué la France et le monde entier. L’attaque, perpétrée le 14 juillet 2016, a fait 86 victimes et plus de 400 blessés lorsqu’un camion a foncé dans la foule rassemblée pour les célébrations de la fête nationale sur la Promenade des Anglais à Nice.

RAPPEL DES FAITS

Ce soir du 14 juillet 2016, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un résident tunisien âgé de 31 ans et résidant en France, a conduit un camion de 19 tonnes sur une distance de deux kilomètres, écrasant près d’une centaine de piétons avant d’être abattu par la police. Revendiquée par l’État islamique, l’attaque a bouleversé la nation, renforçant les mesures de sécurité et déclenchant une série d’enquêtes pour déterminer les complices et les failles ayant permis un tel acte.

Rapidement, l’enquête conduit à l’arrestation de 8 personnes, soupçonnées d’être impliquées, à divers degrés, dans la commission de l’attaque du 14 juillet 2016.

Parmi les personnes identifiées puis arrêtées, Chokri CHAFROUD et Mohamed Oualid GHRAIEB seront mis en examen pour « complicité d’assassinat en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ».

LE PREMIER PROCES

Au cours du premier procès, qui s’est tenu en 2022, les deux accusés précités ont été reconnus coupables d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et ont été condamnés à une peine de 18 ans d’emprisonnement. Les conseils de Mr. CHAFROUD et de Mr. GHRAIEB ont interjeté appel de cette décision.

Agé de 37 ans au moment des faits, Chokri CHAFROUD a été mis en examen le 21 juillet 2016 pour « complicité d’assassinat en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ». Les charges retenues contre lui reposaient sur le fait qu’il aurait aidé l’auteur de l’attaque dans la perpétration de son acte. Il a notamment envoyé un SMS à M. LAHOUAIEJ BOUHLEL dont les propos ont été retenus par la Cour comme incitant ce dernier à commettre l’attentat. De plus, selon les analyses ADN, C. CHAFROUD se trouvait dans l’habitacle du camion quelques heures avant l’attaque.

Quant à Mohamed GHRAIEB, il a également été mis en examen pour « complicité d’assassinat en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ». Il aurait pour sa part aidé Mr. LAHOUAIEJ BOUHLEL dans la commission de l’attaque terroriste. Selon l’enquête, il est apparu sur des photos prises quelques jours avant l’attentat (notamment la veille) à l’intérieur du camion ayant servi à commettre l’attentat sur la promenade des Anglais. Ses liens avec le terroriste ont été établis au regard des nombreux appels passé avec ce dernier.

LES ENJEUX DU PROCES EN APPEL

Le procès en appel s’est déroulé devant la Cour d’appel spécialement composée de Paris. Il visait à réexaminer les responsabilités et les peines des accusés. L’objectif étant notamment de clarifier les zones d’ombre restantes. Ce procès offre également une opportunité pour les victimes et leurs proches de témoigner à nouveau ou, pour certains, pour la première fois, et de se faire entendre, renforçant l’importance du souvenir et de la résilience face au terrorisme.

L’un des défis majeurs de ce procès résidait dans la complexité de déterminer la radicalisation du terroriste et des accusés, ainsi que de prouver l’implication directe de ces derniers. Tandis que les avocats de la défense ont insisté sur l’absence de preuves tangibles liant certains accusés à l’attaque de manière directe, l’accusation a mis en avant des éléments circonstanciels et des liens indirects, mais significatifs, avec l’auteur principal.

 LA DIMENSION HUMAINE

Au-delà des aspects juridiques, le procès en appel de l’attentat de Nice est profondément humain. Chaque audience rappelle la souffrance des victimes et de leurs familles. Les dépositions poignantes de ceux qui ont perdu des êtres chers ou qui ont survécu avec des séquelles physiques et psychologiques rappellent l’horreur de cette nuit de juillet 2016. Chaque partie civile a la parole, chacune est attentivement écoutée par la Cour.

LE DEROULE DU PROCES

Le procès s’est ouvert le 22 avril 2024 au matin. La première journée d’un procès peut paraître inintéressante, ou plutôt insignifiante aux premiers abords : les interprètes prêtent serment, les droits des accusés sont énoncés, les avocats renouvellent les constitutions de partie civile qu’ils représentent et les témoins sont appelés. En d’autres termes, on demeure encore loin des faits, du concret, du pourquoi tant de personnes sont réunies. Pourtant, cette première journée marque le début d’un long processus. Elle ancre le procès pour terrorisme dans une frontière entre le « simple » procès d’assises, ses accusés, le ministère public, les juges et les victimes, et le procès hors norme. Hors norme, car la salle boisée se fond dans l’arrière-plan d’un étendard. En son cœur, des badges rouges (ceux des victimes refusant de parler à la presse) et verts (ceux des victimes acceptant de parler à la presse). En haut à gauche, quelques badges oranges (ceux des journalistes), présents mais discrets. Tout autour, des robes rouges et d’autres noires. Ce drapeau est celui des procès pour crime de masse. Cette fois-ci, ce sont 86 « anges » qui se sont envolés et plus de 400, toujours là pour les pleurer, mais aussi et surtout, pour continuer de les faire vivre.

Au cours de cette première journée, la souffrance de chacune d’elles est, nous le savons, sincère, mais la cause profonde et les détails morbides qui l’accompagnent, inconnus. Nous savons seulement, dès la fin de la matinée, que le procès durera 1 mois et 15 jours, que près de 25 parties civiles déposeront chaque jour pendant près d’un mois, que les journées seront interminables, mais qu’un verdict sera rendu. Lequel, ça, chacun commence déjà à y penser, espérant d’un côté une confirmation du premier jugement ou une aggravation de la peine et de l’autre, un acquittement.

La première semaine du procès bien que fondamentale, n’a pas été l’objet d’une intervention particulière des parties civiles ou des accusés. Elle fut, pourrait-on dire, l’introduction du procès des accusés en lui-même. C’est dans ce cadre qu’une multitude d’experts est intervenue au cours de cette semaine. Dès le second jour du procès, le chef du service de la section judiciaire en matière de terrorisme de la DGSI a ainsi livré à la Cour une présentation détaillée de l’Etat islamique en 2016. Une ouverture qui a non seulement permis un éclaircissement sur le contexte dans lequel a été commis l’attentat, mais aussi sur la nature de ce dernier. Ainsi, selon l’expert, l’attentat de Nice rentrerait dans la catégorie des attaques inspirées, c’est-à-dire une attaque encouragée à être commise de manière autonome, sans appui opérationnel ou moral de la part de l’EI lui-même.

Le jour suivant (Jour 3), deux autres témoins sont respectivement intervenus concernant l’enquête qui avait été menée par les policiers de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) et de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), et sur le sujet de la revendication de l’attaque par l’Etat islamique.

Au quatrième jour, nous étions déjà loin des simples formalités qui avaient dirigé le premier jour d’audience et presque sans s’en rendre compte, le procès avait déjà basculé dans la réalité d’un acte terroriste. Si l’avant attentat serait évoqué la semaine suivante, c’est l’après qui nous a été conté, non pas par les victimes mais par les médecins légistes qui sont intervenus ce soir-là et les jours suivants. Ceux-ci ont en effet témoigné au sujet des autopsies réalisées, revenant sur les ordres qui leur avaient été donnés et sur la manière dont ils avaient procédé, notamment en ce qui concernait le prélèvement des organes. Or, malgré les explications fournies par les témoins, de nombreuses victimes étaient et demeurent consternées par le prélèvement de certains organes du corps de leur proche. Cet état d’incompréhension des parties civiles résulte notamment du fait qu’alors que la règle de base en matière de prélèvement d’organe est l’échantillonnage, certains organes ont été prélevés dans leur totalité, sans en avertir préalablement les proches du défunt. Le bilan de 14 autopsies dont 4 pratiquées sur des enfants, et des 1300 victimes examinées par les professionnels de santé, témoigne de la violence de l’attaque.

Le lendemain, c’est encore une épreuve que les parties civiles ont eu à affronter, celle du visionnage des images des caméras de surveillance situées sur la promenade des Anglais. Certaines victimes les voyaient pour la seconde fois, d’autre, pour la première, ayant toujours refusé de s’infliger un tel spectacle. C’est alors dans un silence indescriptible que la Cour fut plongée. Un silence brisé par intermittence par les pleurs et les réactions d’effroi des parties civiles présentes sans la salle.

Du 29 avril au 17 mai, c’est près de 200 parties civiles qui se sont livrées devant la Cour. Une étape primordiale pour les victimes et la « manifestation de la vérité ».

Par la suite, 2 journées ont été consacrées à l’implication de Mohamed LAHOUAIEJ BOUHLEL. Bien que celui-ci ait été abattu par la police, cette étape est importante au procès, car elle constitue le fond même de celui-ci. C’est donc en déterminant en premier lieu quel est le degré d’implication du terroriste que celle des accusés pourra ou non être établie. Ainsi, au cours de cette phase, il a été mis en exergue les repérages qui ont été effectués par M. LAHOUAIEJ BOUHLEL à bord du camion et, pour certains, en compagnie des deux accusés.

Finalement, ce n’est que le 28 mai que le procès des accusés a véritablement commencé. Au cours de cette journée, un policier de la SDAT est revenu sur le rôle qu’aurait jouer Mohamed GHRAIEB dans la commission ou du moins, la préparation de l’attaque terroriste. Plusieurs éléments tels que la présence avérée de l’accusé dans le camion le jour de la location de celui-ci, les explications différentes d’un jour à l’autre de l’intéressé, le nombre conséquent d’occurrences (conversations) entre le terroriste et l’accusé alors que celui-ci prétendait le connaître que très peu ou encore la quinzaine d’images enregistrées sur son ordinateur relatives au terrorisme islamiste, ont été présentées à la Cour. L’implication de Chokri CHAFROUD a elle aussi fait l’objet d’un épluchage des éléments retenus contre lui.

Durant les 5 jours suivants, les avocats des parties civiles ont plaidé devant la Cour spécialement composée, rappelant le droit applicable, l’implication des accusés mais aussi et surtout, la souffrance des parties civiles.

Enfin, les avocats de la Défense ont soulevé plusieurs points : l’absence de preuves matérielles à l’encontre de leurs clients, le fait que les éléments présentés par l’avocate générale n’étaient que des conjectures, l’absence de connaissance par les accusés du projet terroriste de M. LAHOUAIEJ BOUHLEL et enfin, le fait que l’association de malfaiteurs terroriste n’était pas démontrée. C’est donc l’acquittement que les Conseils de Mr. GHRAIEB et de Mr. CHAFROUD ont demandé à l’issue de leur plaidoirie.

Après près de 2 mois, le verdict du procès en appel de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice a été rendu le jeudi 13 juin 2024. Les juges ont délibéré dans la journée même. C’est à 19h30, dans une salle d’audience pleine, entre parties civiles, avocats et journalistes, que les juges ont prononcé une aggravation de la peine à l’encontre de Mr. CHAFROUD et de Mr. GHRAIEB. Ces derniers, condamnés en première instance à une peine de 18 ans d’emprisonnement ont écopé en appel de la même peine à laquelle fut ajoutée une peine de sûreté de 2/3, soit environ 12 ans, pendant lesquels les accusés ne pourront bénéficier d’aucun aménagement de peine. Enfin, une interdiction de résider dans les Alpes-Maritimes pendant une durée de 15 ans a été prononcée à l’égard de Mr. GHRAIEB. Mr CHAFROUD sera quant à lui contraint de quitter le territoire national à l’issue de sa détention.

 

Rédigé par Edouard LE FRIEC, étudiant en Master 2 Justice pénale internationale, stagiaire au service juridique et d’accompagnement des victimes à l’AfVT

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