Chaque semaine, l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT) donne la parole aux parties civiles, victimes et professionnels qui participent au procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice.
Je m’appelle Carolina, je suis une victime de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. J’ai 74 ans, je suis de nationalité argentine et ça fait plus de 30 ans que j’habite à Nice.
Ce 14 juillet, j’étais sur la Promenade avec ma copine Jacqueline.
Avec Jacqueline, on avait fait des voyages ensemble, on était très amies. Ce 14 juillet, à la maison, on était en train de programmer un voyage en Argentine pour visiter le sud du pays après avoir déjà fait tout le nord. Elle m’avait dit ce jour-là « Choisis le moment de l’année le plus chaud, parce que je n’aime pas le froid ». Elle avait horreur du froid.
Jacqueline a été incinérée.
Peux-tu nous raconter ta semaine à ce procès ?
Cette semaine, les victimes de ce 14 juillet ont exposé toute leur douleur. Mais aussi toute leur méfiance à l’égard des résultats de ce procès, car l’accusé principal est mort. Le jugement se porte sur les personnes qui l’auraient aidé à construire tout ce drame, ce qui est différent et difficile.
Cette semaine, je l’ai vécue par moment avec angoisse. L’angoisse de voir la souffrance qu’il y avait chez certaines personnes. L‘angoisse que cette douleur puisse un jour ne pas disparaître.
Le moment plus difficile et marquant en même temps cette semaine, c’était le témoignage d’une mère qui est venue d’Estonie. Elle a perdu son fils, Rickard, ce 14 juillet. Elle ne parlait pas le français, mais il y avait une interprète. Et même si on ne comprenait pas directement ses mots, on voyait en elle la douleur, la souffrance due à la disparition de son fils. C’était comme un cauchemar pour elle, car jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle retournerait dans son pays avec un enfant mort.
Un autre événement qui m’a marqué cette semaine, et qui en vérité est dans le procès, mais aussi un peu en dehors, c’est l’histoire des organes prélevés sur les enfants.
J’ai eu la nausée face à certains témoignages, car ils étaient très durs à écouter.
Il y aussi cette phrase qui m’a beaucoup marquée : « Il n’y a qu’une seule personne qui est coupable ». Ça, cette phrase, je ne peux pas l’accepter, ça m’a interpellée, et même ça m’a choquée, parce qu’on ne juge pas le terroriste qui est mort, mais ses acolytes. Je pense que cette phrase, elle était un peu en trop… Pour moi, c’est inacceptable.
Comment vas-tu à l’issue de cette semaine ?
Face à tous ces témoignages dans lesquels priment la douleur, l’incompréhension, la souffrance, je me dis que même si j’ai perdu une amie qui m’était terriblement chère, ce n’est pas un enfant que j’ai perdu. En tant que femme et que mère, je pense que c’est l’une des choses les plus horribles.
Il y a des personnes qui se sentent miraculées parce qu’elles ont survécu à ce 14 juillet, mais elles gardent comme séquelle un grand sentiment de culpabilité, c’est ce que l’on appelle en psychologie « le traumatisme du survivant ». Moi, cette culpabilité, elle m’a marquée doublement parce que je la ressens pour ma copine Jacqueline et pour les autres aussi.
La culpabilité à l’égard des autres victimes, j’ai plus ou moins réussi à la dompter avec le temps, mais pour la culpabilité liée à la mort de ma copine Jacqueline, c’est beaucoup plus difficile. Parce que même si ce n’est pas moi qui l’ai tuée, elle était venue pour me rendre un service et elle n’est jamais retournée chez elle.
J’appréhende la suite, car je souhaiterais vraiment que tous ceux qui ont collaboré et participé à construire ce macabre événement, soient jugés avec une peine assez importante. Parce que, pour moi, du premier au dernier, ils sont tous coupables : quand on participe à la réalisation de quelque chose, même en amenant « juste » une arme, on sait qu’il y a quelque chose d’obscur derrière tout ça.
Comment te prépares-tu à ta déposition du 05 octobre ?
Mon histoire est un peu différente de tous les témoignages que j’ai entendus aujourd’hui parce que j’ai été impactée par le camion, raison pour laquelle j’ai passé 4 mois à l’hôpital.
Je n’appréhende pas vraiment mon témoignage, car je ne pense pas que ce sera difficile. Mais face à tous les témoignages que j’ai entendus jusqu’à présent, le mien est tellement personnel que je me sens un peu ridicule. Tout s’est passé derrière moi, et merci Dieu, la vie ou je ne sais pas quoi, je n’ai pas vu toutes ces horreurs.
En écoutant et en voyant autant de souffrance lors des autres témoignages, je me sens minuscule.
Un dernier mot ?
C’est la faiblesse et l’ignorance qui amènent à commettre des actes aussi atroces.
*Entretien réalisé le vendredi 30/09 ; questions posées par Clémence*