Depuis l’attentat à la rédaction de Charlie Hebdo le 07 janvier 2015 auquel a douloureusement réchappé Simon, Marie-Ghislaine a gardé la Une de l’hebdomadaire satirique dessinée par Luz et parue juste après l’attaque. Depuis sept ans, Marie-Ghislaine s’interroge sur le sens à donner à cette couverture « Tout est pardonné » et à sa grande surprise, Simon cherche aussi la réponse.
Simon et Marie-Ghislaine
Marie-Ghislaine s’interroge sur l’interprétation à donner aux évènements puis à cette Une avec le recul : « On peut faire et dire tout ce qu’on veut en utilisant un prétexte » dit-elle en évoquant l’attentat. Pour Simon, cela fait toute la force du dessin : « C’est la puissance de ce dessin pour moi, que ça laisse la place à plusieurs interprétations, même la personne qui l’a fait ne sait pas ce que ça veut dire ». En effet, il replonge dans ses souvenirs et ce jour où il a questionné Luz : « Il y a « Tout est pardonné » qui est sorti. Moi, je lui ai dit que je ne comprenais pas : c’est Mahomet qui nous pardonne à nous, nous qui pardonnons à Mahomet, on pardonne quoi ? L’acte de violence ? Le fait d’avoir représenté quelque chose interdit dans la religion ? Cette question n’est pas évidente pour moi. Il me répond « Je ne sais pas ce que j’ai voulu dire » ». Auparavant, le 12 janvier 2015, au journal Le Monde, Luz avait confié : « j’ai écrit “tout est pardonné” et j’ai pleuré. Et on l’avait cette putain de “une”. »
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Le traumatisme psychique n’est jamais loin de la douleur physique pour Simon et des lourdes séquelles physiques qui lui rappelleront à vie cet attentat : « J’ai passé une semaine dans le coma. Quand ce dessin [la une « Tout est pardonné »] est sorti, j’étais ailleurs. Je me suis réveillé tétraplégique. J’ai appris tout ce qu’il s’était passé, la manif, on a appris que les cloches de Notre-Dame avaient sonné pour Charb et Cabu qui étaient pourtant athées. C’était surréaliste, moi j’étais complètement shooté. Ce qui était vrai était aussi difficile à croire que ce qui n’était pas vrai ». A présent, Simon s’aide toujours d’une béquille pour se déplacer et c’est l’objet qu’il a choisi de présenter à Marie-Ghislaine pour tous les symboles qu’elle représente. D’abord de façon très pratique, Simon déclare que cet objet « symbolise le mieux la distinction avant-après » et qu’il « fait partie de moi aujourd’hui, je ne peux pas me déplacer sans ».
Puis de façon plus intime, Simon confie à quel point cette béquille est pour lui importante. Elle « symbolise également la violence qui m’est arrivée, et le miracle. Dans cette histoire j’aurais dû mourir, ils ont tiré de très près… et je suis là. Quand les médecins se sont occupés de moi, c’était sûr que je ne remarcherais pas, que je ne pourrais pas me passer d’un respirateur. Mais grâce à la chance et l’entourage, je me suis remis beaucoup mieux que ce qui était prévu. C’est la violence et le miracle, ce n’est pas l’un ou l’autre ». Simon ne tarde toutefois pas à dire que cette béquille qui le soutient n’a pas été très facilement acceptée : « [Elle] était une chose dont l’existence m’emmerdait, car elle me rappelait la perte plus que le miracle. Mais un jour elle a arrêté d’être une ennemie, pour devenir au fond une partie de moi, quelque chose qui m’aide et dont j’ai besoin ». La douleur est toujours présente quelque part et ce fut pour lui un long combat afin d’accepter pour mieux pouvoir se relever : « Au début le sentiment de perte est très difficile, tu te réveilles et tu es paralysé, tu as un sentiment de cauchemar, tu es prisonnier dans ton propre corps. […] Mais quand j’ai vu que je progressais, que je n’étais pas condamné, il y a quelque chose de magique ». Simon évoque aussi les parties les plus sombres de son hospitalisation : « J’ai cherché le moyen de me suicider, et je peux te dire que ce n’est pas facile dans un lit d’hôpital, avec une armée de médecins autour de toi […]. Mais je sais aussi qu’à l’instant où je me suis dit que je voulais mourir, y a quelque chose en moi qui s’est battu. Je ne regrette pas d’avoir survécu en tout cas ».
Simon et son objet symbolique : sa béquille
De fil en aiguille, la discussion entre Marie-Ghislaine et Simon leur permet d’évoquer le pardon, la culpabilité et la notion de responsabilité. En évoquant la responsabilité, Simon rappelle qu’effectivement, sur la Une « Tout est pardonné » figure la mention « Journal irresponsable » , car cette Une est aussi une réponse aux gens qui continuaient de penser que le Journal était précisément responsable des assassinats terroristes du 7 janvier et elle manifeste une fois de plus l’attachement du journal à la liberté d’expression, même si certains en sont peinés. Cela permet de soulever pour Simon une autre question, en rapport avec la culpabilité du survivant et ses collègues défunts de Charlie Hebdo : « Quand on survit à quelque chose et d’autres non, on se demande : pourquoi nous ? » même s’il reconnaît que cette pensée ne l’a pas beaucoup atteint. Quant à savoir dans quel sens va le pardon, Simon demande plutôt à Marie-Ghislaine si cela est possible au vu de ce qu’il s’est passé, en prenant l’exemple du procès du 13 novembre qui a actuellement lieu au Palais de Justice de Paris.
La revue de presse spéciale procès du 13 novembre par l’AfVT
Marie-Ghislaine pose une réflexion impressionnante de maturité : « Quand on a été victime ou proche d’une victime, on ne peut pas percevoir les choses de la même façon. Mais je suis une personne qui a du mal à se dire que les gens sont foncièrement mauvais. Il y a toujours quelque chose dans leur vie qui peut justifier leurs acte ». « J’ai du mal à croire à l’existence du mal » acquiesce Simon, avant de poursuivre : « J’ai la chance de pas avoir de haine mais ce n’est pas quelque chose qu’on décide, c’est quelque chose qu’on a. C’est une réaction, ce n’est pas quelque chose qu’on contrôle ». La difficulté d’une telle question entraîne une rhétorique inachevée pour Simon : « Je ne sais toujours pas : qu’est-ce qu’on pardonne, qui on pardonne ? ».
Lire aussi l’article intitulé Tout est pardonné ? de Benoît Guillou paru le 24/02/2015 :
« En l’occurrence, s’agirait-il d’un pardon tel que décrit par Jacques Derrida : « Si je dis, comme je le pense, que le pardon est fou, et qu’il doit rester une folie de l’impossible, ce n’est certainement pas pour l’exclure ou le disqualifier. Il est peut-être même la seule chose qui arrive, qui surprenne, comme une révolution, le cours ordinaire de l’histoire, de la politique et du droit « . [Jacques Derrida, Foi et Savoir suivi de Le Siècle et le Pardon (entretien avec Michel Wieviorka), Paris, Seuil, 2001, p. 114]. »
A défaut de savoir si on pardonne, quoi, pourquoi et à qui, continuons de réfléchir et de nous parler, comme Simon et Marie-Ghislaine.