Emmanuel et Léo – Apprendre à grandir

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La sidération est un sentiment que Léo et Emmanuel connaissent bien. A un moment, leur vie a basculé car leur rapport au terrorisme a changé. D’une vision lointaine, elle est devenue une réalité bien trop proche. Pour Léo, c’était en spectateur, comme un enfant qui voit le monde évoluer autour de lui et se rend compte de sa dangerosité. En 2015, il est en CM2 et se souvient de son professeur toujours très souriant, après les attentats il ne souriait plus. Emmanuel, lui, était au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 et s’est trouvé dans un état de sidération lorsque l’horreur a commencé : « Une des premières choses que je me suis dit en voyant les terroristes rentrer dans la salle, c’est « qu’est-ce qu’ils foutent là ? c’est quoi le but ? », et jusqu’à ce que je voie les premières gouttes de sang je ne voulais pas y croire, je ne voyais pas le rapport. […] J’étais dans le déni ».

 

Le témoignage d’Emmanuel devant les caméras de l’AfVT

 

La peur, l’incompréhension et la perte de l’innocence les plongent dans une forme d’obscurité très familière à Emmanuel. L’objet qu’il a choisi, ce sont ses lunettes, qu’il portait à l’intérieur du Bataclan et qu’il a perdu au moment où il réussit à sortir de la salle de concert. Sans elles, il se définit comme aveugle. Le trouble, le bruit, son attente dans un appartement en attendant les secours, sa première déposition au Baromètre, la seconde au 36 quai des Orfèvres, son retour chez lui prenant le vert des feux pour des taxis… Tout cela il le vit dans le flou, dans la noirceur de cette nuit du 13 novembre.

 

Emmanuel parles des rayures de ses lunettes, comparables aux cicatrices de l’esprit

 

Apprendre à grandir avec les attentats

Cette obscurité est également celle qui a servi de décor à l’enfance de Léo, comme il le symbolise dans son texte. Petit garçon, il a appris les attentats de Charlie Hebdo, puis ceux du 13 novembre. Il tente d’expliquer que c’est ainsi que l’innocence de son enfance a volé en éclats : « Les attentats [nous ont] permis de voir que le monde est fou » et qu’il « n’est pas tout rose ». De son côté, Emmanuel s’interroge sur l’enfance qu’ont pu avoir les auteurs des attentats du 13 novembre : « Je me demande encore « comment ils ont pu faire ça ? », ils ont mon âge, éduqués à l’école publique comme moi, et ils en arrivent là. Ce sont des questions qui me bouffent ».

Même si les LEGOs ou l’imprimante sont des objets en rapport avec l’enfance et celui qui s’amuse avec ceux-ci, pour Léo, leur signification est bien plus profonde car ils reflètent la réalité « ce que chacun faisait au moment des attentats ». Ces jeux innocents prennent vite une autre tournure selon l’adolescent une fois que leur utilisation nous rappelle que c’est avec eux qu’on a appris à grandir et qu’ils garderont la vision de les avoir utilisés lorsqu’ils apprirent ce qu’est le terrorisme.

 

La paire de lunettes que portait Emmanuel au Bataclan symbolise encore la vision du terrorisme à laquelle il a été confronté

 

« Si tu as peur ils ont gagné, alors continue de vivre »

« Apprendre à grandir » comme le dit si bien Léo, c’est l’idée de vivre avec le terrorisme sans qu’il nous enferme dans la peur. C’est vivre des évènements en se demandant si ce sont l’œuvre d’un terroriste, comme lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, pour lequel Emmanuel se souvient que « c’était tellement marquant que tout le monde voulait croire que c’était un attentat ». Beaucoup de paranoïa s’en est suivie dans les médias avec l’idée de savoir à chaque fois qu’une actualité se produisait s’il s’agissait d’un attentat terroriste.

Toutefois, cette société dans laquelle nous devons apprendre à vivre n’est pas dénuée d’espoir, à les écouter. Léo part du principe que : « Si tu as peur, alors ils ont gagné, donc continue de vivre ». La résistance qui se construit autour de la lutte contre le terrorisme réside en chacun de ses citoyens. Emmanuel le confirme : « Tu as le droit d’avoir peur. Mais continuer de vivre, c’est un bon message ». Après avoir enchaîné les concerts dans un but thérapeutique, Emmanuel confie que : « Maintenant j’ai plus peur, je me sens bien, je suis différent mais ça fait partie de la reconstruction ». Sa vie, il la compare aux lunettes qu’il a fini par retrouver : « je trouve qu’elles me ressemblent post-13 novembre : elles ont l’air d’aller bien, mais en fait elles sont un peu rayées».

 

Emmanuel et Léo discutent de l’injustice ayant touché des victimes innocentes le soir du 13 novembre 2015

 

La construction, la reconstruction de soi n’est finalement pas si éloignée d’un montage de LEGOs empilé qu’un enfant tenterait de garder le plus haut possible. Lorsqu’un enfant méchant s’amuse à tout ravager et réduire en morceaux le jeu, vient la tristesse, les pleurs, la colère. L’incompréhension aussi : « c’est quoi le but ? » demandait Emmanuel. Finalement, après quelques temps, l’apaisement revient et la construction peut reprendre son cours, Emmanuel évoque la musique essentielle pour lui « je ne peux plus m’en passer, : ça me protège des bruits, d’un moteur qui démarre trop fort, pour cacher le bruit de kalashnikovs que je n’ai pas reconnu au début, les feux d’artifices qu’adore ma fille, le métro qui s’arrête trop vite… ». Et aujourd’hui ? « Ces rayures m’ont fait grandir, j’en ai fait quelque chose du 13 novembre, mais j’ai toujours ces rayures ».

 

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