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VIII Congrès International des Victimes du Terrorisme
Nice, 21-23 Novembre 2019
Mme Laura Dolci, victime de terrorisme et fonctionnaire des Nations Unies
Nous sommes venus des quatre coins du monde dans cette belle ville de Nice parce que le terrorisme a frappé nos vies et celle de nos familles à toujours. Nice nous a accueilli avec solidarité, mais aussi avec sa charge de douleur.
Notre présence ici est une manifestation claire qu’aujourd’hui les victimes du terrorisme ne sont pas une réalité lointaine ou abstraite : elles peuvent se trouver parmi vos voisins ou vos collègues au travail. Un enfant qui, comme le mien a perdu son papa dans une attaque terroriste peut partager la même classe du primaire avec votre enfant. Nous formons aujourd’hui une communauté globale d’individus issu de toutes races, sexes, âges, milieux professionnels, croyances et latitudes.
Depuis la fin des années ’90, le terrorisme s’est globalisé, à l’image d’un monde de plus en plus interconnecté et à mobilité accélérée. Mon mari, Jean-Sélim Kanaan, de nationalité française et égyptienne, fut tué avec 21 autres collègues de 11 nationalités différentes lors de l’attaque terroriste par camion bombe en 2003 contre le siège de l’ONU à Bagdad (Irak).
A présent, il n’y a presque plus un seul pays au monde qui ne compte pas de victimes de ce crime parmi ses citoyens, soit suite à une attaque sur son sol ou dans l’aéroport ou gare d’un autre pays. Notre bébé fut la première victime du terrorisme répertoriée dans le Département français de l’Ain, où nous résidions à ce moment; aujourd’hui, plus de 20 victimes bénéficient d’un soutien dans ce même Département.
Bien qu’il puisse être alimenté par des revendications et causes générées au niveau local, le terrorisme opère aujourd’hui à travers les frontières. Et paradoxalement, dans ce qui est de plus en plus un problème ‘sans passeports’ (ou avec trop de passeports), les victimes du terrorisme semblent de plus en plus tomber entre les mailles du filet – comme si elles étaient la responsabilité de tous et, donc, la responsabilité de personne.
La plupart des attaques se produisent aujourd’hui dans des pays où les infrastructures de l’État sont faibles et les ressources limitées – 9.603 victimes dans le seul Afghanistan en 2018. Dans les pays où le PIB est élevé, les mesures d’aide sont encore insuffisantes ou ad hoc, et ne sont souvent accessibles qu’aux nationaux de ce pays. Ça c’est le cas encore, par exemple, pour plusieurs États de l’Union Européenne.
Comme beaucoup d’autres problèmes mondiaux, la lutte contre le terrorisme et la prise en charge des victimes qui en découle nécessitent le partage de ressources à l’échelle globale. Aucun pays à lui seul ne peut y réussir, et un Congrès mondial comme celui-ci montre clairement la nécessité d’échanger des compétences, de collecter des données, d’identifier les lacunes et les solutions mises en place aux niveaux local, national et international.
Et c’est pourquoi nous devons fortement encourager les efforts entrepris à cet égard par l’Union Européenne et les Nations Unies. Ce n’est que en avançant sur cette voie que nous pourrons nous assurer que personne ne soit laissé derrière.
Chers Tous,
Afin de mettre en place des programmes durables en soutien des victimes du terrorisme, il est impératif de cesser de traiter les victimes du terrorisme comme un élément secondaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les victimes nécessitent une reconnaissance forte et claire au niveau national et international que le terrorisme est un crime grave qui viole profondément et intentionnellement la dignité de la victime, de sa famille et de sa communauté.
Le terrorisme est une attaque violente contre les droits de l’homme, nos droits, et en tant que tel nécessite une réponse globale et multidisciplinaire visant à la réparation et au rétablissement des droits mêmes qu’il a compromis. L’assistance aux victimes devrait devenir un élément central de toutes stratégies de lutte contre le terrorisme, sur le plan national, régional et international. Les États devraient s’acquitter de leurs obligations en reconnaissant les besoins spécifiques des victimes du terrorisme et en coopérant d’avantage avec les acteurs de la société civile et les victimes, ainsi qu’entre eux.
Le moment est également venu d’analyser et de divulguer les spécificités de ce crime et de la victimisation qu’il provoque. Premièrement, le terrorisme n’est pas un crime ordinaire: c’est en temps de paix ce que les crimes de guerre constituent durant un conflit armé. Les survivants des attaques terroristes sont comme des anciens combattants avec des blessures très graves dans le corps et dans l’esprit: les lésions de Kalachnikov et le PTSD nécessitent des interventions hautement spécialisées.
Deuxièmement, le terrorisme a une nature intrinsèquement démonstrative: tuer et mutiler autant de personnes dans le but d’effrayer les tous. Pour les terroristes, les victimes directes n’ont pas d’importance, et cette déshumanisation intentionnelle aggrave tragiquement les blessures physiques des victimes. Enfin, malgré l’ampleur des préjudices subis, la majorité des victimes du terrorisme – y compris ma famille – voient souvent leur droit à l’information et à la vérité violés et se retrouvent par conséquent sans recours juridique effectif.
Ce n’est que si ces spécificités de la victimisation terroriste sont pleinement comprises et acceptées que des réponses adéquates peuvent être mises en place tout de suite après une attaque et pour la longue durée.
Chers Tous,
Le terrorisme a une dimension publique intentionnelle qui va au-delà des victimes directes car elle vise à toucher le cœur même de notre société. Répondre avec une approche ancrée dans les droits humains et la solidarité sociale constitue la réponse la plus forte et efficace à ce crime odieux. Seulement ainsi, on pourra vider le terrorisme de son message nihiliste et destructeur.
Soutenir la résilience des victimes est peut-être coûteux, mais cela rapporte car les effets de la terreur se font sentir au-delà de la victime individuelle. En soutenant la victime on soutient un cercle social bien plus ample.
Donner ampleur à la voix des victimes peut également aider à consolider une norme sociale forte contre le terrorisme et empêcher la répétition de la violence. En revanche, embrasser une narrative de la peur est un raccourci facile qui, malheureusement, ne joue qu’en faveur des terroristes mêmes.
Le temps est venu pour aller au-delà de simples expressions de sympathie ou solidarité aux victimes. Nous, victimes de terrorisme, souhaitons avancer envers une concrète reconnaissance, par loi et en pratique, de nos droits violés et la création des programmes efficaces et durables d’assistance – tout en jouant un rôle actif dans le développement et mise en œuvre des stratégies contre la terreur.
Je vous remercie.