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Juger le terrorisme, c’est la question que se sont posée les élèves de Terminale L en option Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain au lycée Lucie Aubrac de Courbevoie au moment du procès dit « des bonbonnes de gaz » de Notre Dame.
Attentat raté et relations amoureuses virtuelles
Le mardi 8 octobre, la salle Voltaire du palais de justice de Paris se remplit doucement avec les élèves de Terminale du lycée Courbevoie. Ils s’apprêtent à assister à la journée d’audience consacrée à Selima Aboudi dans le cadre du procès de l’attentat raté des bonbonnes de gaz et de l’agression de Boussy saint Antoine.
Ce procès leur a été présenté en classe la veille par le service juridique de l’AfVT. Après un rappel de la procédure judiciaire, ils apprennent qu’en France, les procès pour terrorisme sont jugés par une cour composée uniquement de magistrats et non pas par des jurés populaires comme les autres procès d’assises. Ils apprennent qu’il y a huit accusés et quelle est leur mise en accusation.
C’est un attentat raté, celui des bonbonnes de gaz en septembre 2016 – mais un attentat raté engage-t-il moins la responsabilité de ses auteurs ? Il aurait pu faire une soixantaine de morts rue de la Bûcherie sur des terrasses à proximité de Notre-Dame. Ensuite il y a la cavale d’Inès Madani, la préparation d’un nouvel attentat à Boussy-Saint-Antoine et l’agression de deux policiers.
Les élèves s’étonnent : les accusés sont très jeunes et toutes, sauf un, dans le box, sont des femmes. Comment ces huit personnes qui habitent aux quatre coins de la France et dont la majorité ne se connaissaient pas avant les faits sont-elles entrées en relation ?
Ils comprennent que les réseaux sociaux ont permis de recruter, de mettre en contact et de donner des instructions pour passer à l’acte violent et commettre des attentats. Ils apprennent aussi qu’ Abou Junayd est un djihadiste virtuel qu’a fabriqué de toute pièce Inès Madani pour attirer les autres femmes, les séduire, leur promettre le mariage et monts et merveilles et les amener à participer à la préparation de l’attentat à Notre-Dame et à l’agression au couteau des policiers.
Le temps de la Justice
Le décor de la salle Voltaire est imposant. Les auditions d’experts, les témoins se succèdent, tour à tour interrogés par le président de la Cour, l’avocat général, l’avocat des parties civiles puis les avocats de la Défense. En assistant au procès, les élèves découvrent la justice en train de se faire, la longueur du cheminement nécessaire pour entendre chacun et pouvoir juger avec du recul, le plus justement possible selon le droit : cela prend du temps.
Il s’agit de comprendre ce qui s’est passé pour Selima Aboudi en ce mois d’août 2016, elle, qui comparaît libre pour non-dénonciation de crime : qui est-elle ? quel est son parcours au moment des faits et depuis ? Il est parfois difficile d’entendre les témoins ou l’accusée, impressionnés par la Cour, qui peinent parfois à s’exprimer. Et puis il y a le box avec six accusés gardés en permanence.
Les lycéens ne s’attendent pas à cela : les accusés sont tellement normaux ! Pourtant les crimes terroristes sont tellement hors de l’ordinaire ! Les échanges entre eux vont bon train : ils s’interrogent pendant la pause, dans la salle de Harlay, sur ce qu’ils ont entendu : comment auraient-ils réagi, eux, avec une sœur ou un petit ami qui clairement se serait radicalisé, se serait enfermé dans les réseaux sociaux ?
L’audience reprend, ils entendent Selima Aboudi, ses réponses, ses contradictions, son aveu : la Justice est en marche !
« La Justice, elle est vivante !»
Il est encore question de Justice et de procès, le 15 octobre au CDI du lycée Lucie Aubrac. Mais cette fois-ci, c’est la parole des victimes de terrorisme que les élèves entendent. Danièle Klein, qui a perdu son frère dans l’attentat du vol du DC10 d’UTA en 1989 et Philippe Vansteenkiste, qui a perdu sa sœur le 22 mars 2016 lors des attentats de Bruxelles viennent leur parler. Ils ont assisté à des procès pour terrorisme.
Danièle et Philippe délaissent presque leur histoire personnelle pour parler de droit et de Justice. Les élèves leur répondent avec douceur et inquiétude, leur demandant comment ils vont. Philippe et Danièle disent chacun à leur tour combien le procès « a une importance vitale » pour les victimes. Philippe explique : « les victimes de terrorisme, on est tous des gens ordinaires. On veut de nouveau faire partie de la société. Mais pour cela il faut avoir une reconnaissance, mais aussi de la Justice. ». Il insiste en évoquant le procès Salah Abdeslam en février 2018 auquel il a assisté à Bruxelles. Le terrorisme a pour objectif de détruire la démocratie, la meilleure réponse est celle de « nos valeurs, de la démocratie, d’où l’importance de la défense » pour les terroristes.
Philippe et Danièle rappellent combien aussi le procès peut être douloureux. Philippe sait bien que lors d’un procès, on ne se pose pas la question de ce que ressentent les victimes confrontées en pleine audience à tous les détails de l’enquête, parfois insoutenables. Danièle évoque la difficulté des trois jours du procès du DC10 face à un box vide après 10 ans d’enquête du juge Bruguière. Mais c’est l’occasion de réaliser que la société française n’a pas oublié et que, par ses juges, elle agit. « La Justice, elle, est vivante », même si elle ne règle pas tout.
La Justice n’est pas une vengeance
Le jugement apporte-t-il un apaisement, demande Léa ? Danièle répond : « cela nous rend acteur de notre propre histoire. On devient des victimes vivantes. On reprend en main notre propre vie. ».
Sarah, elle, pose la question de la qualification de crime de terrorisme : peut-on les considérer comme des crimes contre l’Humanité ?
Puis Sarah revient sur la question de la vengeance. Danièle et Philippe sont unanimes, pour eux c’est jouer le jeu des terroristes : « La Justice n’est pas une revanche ». « Ce qu’on recherche c’est l’humanité, retrouver la beauté de la vie », conclut Philippe.
A l’heure où nous publions cet article, nous avons une pensée fraternelle pour l’ensemble des personnes tuées, blessées, touchées par les attentats de janvier 2015 au sein de la rédaction de Charlie-Hebdo, sur le boulevard Richard Lenoir, à Montrouge et à l’Hyper cacher de la porte de Vincennes, et pour celles du 13 novembre 2015. Pour les premiers s’ouvrira un long procès en septembre prochain, pour les seconds en janvier 2021.
Merci !
à nos deux témoins,
aux lycéens de Terminale L du lycée Lucie Aubrac de Courbevoie,
à Marie-Cécile Castel, responsable du service juridique de l’AfVT,
à Sophie Davieau-Pousset, professeure de la classe,
à Amandine Hene, professeure documentaliste,
à notre partenaire
à l’association V-Europe, membre de l’AfVT
Crédits photo
- Julien Licourt / Le Figaro
- Benoït Peyrucq/AFP, source : la-croix.com