Procès de l’attentat du Bardo : les ratés de la coopération franco-tunisienne
Par Mathieu Galtier, Correspondant à Tunis — 1 novembre 2017 à 18:56
La deuxième audience du procès de l’attaque du musée, qui avait fait 22 morts en 2015, s’est déroulée dans une ambiance houleuse, et s’est soldée par un renvoi au 9 janvier.
Il n’a été question que d’absence, mardi à Tunis, lors de la deuxième audience du procès de l’attentat du musée du Bardo, qui avait fait 22 morts et 45 blessés le 18 mars 2015. Absence des parties civiles d’abord : ni les proches des quatre Français disparus ni ceux des six blessés n’ont fait le déplacement. Ils étaient représentés par quatre avocats français et un confrère tunisien, absents lors de la première audience en juillet. Les autres nationalités touchées n’étaient même pas présentes. «Les victimes sont encore terrorisées à l’idée de mettre les pieds en Tunisie», explique Me Gérard Chemla, qui défend 25 plaignants (blessés et familles de tués) et deux associations – Association des victimes du Bardo et SOS Attentats. Le contrôle, assez lâche, à l’entrée du tribunal, lui a donné du grain à moudre.
Défaillance. Absence de coopération ensuite. Une solution de vidéoconférence pour suivre le procès depuis la France avait été avancée. Elle était même au menu des discussions entre Edouard Philippe et son homologue, Youssef Chahed, lors de la rencontre dans la capitale tunisienne le 5 octobre. Mais aucun dispositif n’était prévu mardi dans la salle d’audience numéro 5, si ce n’est un système de traduction simultanée très souvent défaillant. Un problème logistique dont la cause serait à rechercher dans l’Hexagone. En arrivant à Tunis, les avocats ne savaient pas à quoi s’attendre précisément. «Nous avions envoyé deux lettres recommandées au garde des Sceaux et au magistrat en charge de l’enquête à Paris pour avoir des informations sur ce procès et la prise en charge des victimes. Nous n’avons eu aucune réponse», s’emporte maître Alexandre Martin, qui représente les proches du couple Nadine Flament et Jean-Claude Tissier, tués dans l’attaque. L’avocat dénonce une prise en charge à deux vitesses entre les victimes des attaques ayant eu lieu en France et celles du Bardo : «Celles-là, on s’en fout, elles sont des laissées-pour-compte.»
Me Géraldine Berger-Stenger, en sa qualité d’avocate de l’Association française des victimes du terrorisme, a pu obtenir début septembre un rendez-vous avec Elisabeth Pelsez, déléguée interministérielle chargée de l’aide aux victimes d’attentats, sans avancée concrète. La procédure se déroulant à l’étranger, les parties civiles n’ont, par exemple, pas accès à l’aide juridictionnelle. Les avocats se sont déplacés à leurs frais.
Absence de fond aussi. Les robes noires françaises se plaignent de n’avoir eu accès qu’à «à peine 2 000 pages, soit 15 % de l’instruction», estime Me Emmanuelle Franck, associée d’Alexandre Martin. Il s’agit principalement des témoignages des visiteurs du musée, du rapport de la police judiciaire française venue sur place et des autopsies. Les avocats n’ont pas eu accès aux interrogatoires des 26 inculpés. «Je n’ai pas de leçons à donner, mais si on a ciblé des touristes étrangers, c’est pour atteindre l’Etat tunisien. Le pays doit donc organiser un procès transparent», analyse Gérard Chemla. En attendant d’avoir toutes les pièces en main, les avocats ont pu, durant cette deuxième audience (la première en leur présence), juger de la combativité de la défense.
Tension. Les avocats des inculpés se sont ainsi ulcérés du manque de respect des règles protocolaires de la part des Français. En arrivant à Tunis, ces derniers ne se seraient pas présentés, comme le veut la coutume, à l’ordre des avocats, ni devant le président de la Chambre pénale du tribunal de première instance. Un incident vite réglé mais qui laisse augurer d’une certaine tension pour les débats à venir. Par ailleurs, la défense a demandé que ce procès fusionne avec celui de l’attentat de Sousse du 26 juin 2015, qui a fait 38 victimes, arguant que les réseaux, notamment la filière libyenne, étaient les mêmes. Plusieurs inculpés de ce procès le sont aussi dans celui de Sousse, qui a déjà commencé. Les avocats hexagonaux se méfient d’un mélange qui pourrait encore affaiblir la voix de leurs clients.
Absence de verbe enfin. Seul Me Alexandre Martin a pris, mardi, la parole côté français pour simplement énumérer ses clients, les proches du couple Nadine Flament et Jean-Claude Tissier. Me Imed Ben Khamsa, le partenaire tunisien de Gérard Chemla et de Géraldine Berger-Stenger, a simplement pu demander le renvoi dans «un délai raisonnable d’un à trois mois». En guise de conclusion, le procureur général a demandé qu’une liste complète des victimes de la partie civile soit constituée pour la prochaine audition, qui aura lieu le 9 janvier.
Source: http://www.liberation.fr/planete/2017/11/01/proces-de-l-attentat-du-bardo-les-rates-de-la-cooperation-franco-tunisienne_1607274
Crédit photo: Sofiene Hamdaoui (AFP)