Historique du premier attentat à la voiture piégée
Article publié dans Le Petit Bleu des Côtes d’Armor. Dernière mise à jour : le 20/12/2014 à 10:18
« Le soir de Noël de 1800, l’attentat qui a failli changer le cours de l’histoire… »
Trois royalistes, dont le chevalier de Limoëlan, originaire de Sévignac, avaient voulu tuer Bonaparte à Paris. Ils ont manqué leur cible. Mais l’attentat a été meurtrier.
Dans son émission “Au cœur de l’histoire” sur Europe 1, Franck Ferrand est revenu, hier, sur l’attentat de la rue Saint-Nicaise. C’est là que, le soir de Noël de l’an 1800, trois royalistes avaient tenté de tuer Bonaparte. Ils sont à l’origine du premier attentat à la voiture piégée.
Un homme de Sévignac, le chevalier de Limoëlan, était impliqué dans ce complot qui a failli changer le cours de l’histoire de France. C’est d’ailleurs en partie de sa faute si l’attentat a manqué sa cible. Il était censé prévenir ses deux complices de l’arrivée du convoi de Bonaparte, leur donner ainsi le signal pour allumer la mèche qui devait faire exploser leur “machine infernale”, une charrette remplie de poudre.
“Limoëlan complètement débordé, n’a pas vu arriver le convoi. Les deux autres voyant le convoi leur foncer dessus, paniquent. L’un des deux détale ; la voiture de Bonaparte est lancée à vive allure, elle évite de peu l’attelage (…). Le seul des 3 conjurés à tenir le choc, c’est Saint-Réjant. Il allume la mèche et fait exploser le tonneau sur la charrette. (S’en suit) un choc terrible. Une hécatombe. Une scène de désolation. On déplore 26 morts, une cinquantaine de blessés, une quarantaine de maisons détruites”, raconte Franck Ferrand.
Le spécialiste interrogé dans l’émission, Thierry Lentz, décrit les trois terroristes comme des “pieds nickelés”, des “amateurs”.
“Ils ne se rendaient pas compte que Bonaparte était très protégé”, explique le directeur de la Fondation Napoléon.
Ci-dessous l’article que nous [Le Petit Bleu des Côtes d’Armor, NDR] avions consacré à l’extraordinaire destin du conspirateur de la “machine infernale”, en 2012.
« Le chevalier de Limoëlan, le terroriste devenu prêtre »
Le chevalier de Limoëlan a tenté de tuer Bonaparte, alors Premier consul, avant de prendre la fuite aux États-Unis où, repenti, il est devenu prêtre.
Joseph Picot de Limoëlan de Clorivière, né en 1768, avait le même âge que François-René de Chateaubriand. Ils ont même été camarades de classe à Rennes et à Dinan. Il est le deuxième fils de Michel Picot de Clorivière, propriétaire du château de Limoëlan, à Sévignac.
Quand éclate la Révolution de 1789, le jeune homme est officier dans l’armée du roi Louis XVI. Son père, compromis dans la conjuration du marquis de la Rouërie, mourra sur l’échafaud en 1793.
Fervent monarchiste
Lui aussi est un ardent royaliste. Le chevalier de Limoëlan, comme on l’appelle, mène donc la lutte aux côtés d’autres chefs chouans, en Bretagne, menant la vie rude et errante de bandits traqués. En 1799, alors que les chefs royalistes déposent les armes, il semble assagi et soumis au régime né du coup d’état du 18 brumaire. Par son oncle et parrain, un père jésuite très connu, Limoëlan fait la connaissance de la pieuse Melle Julie d’Albert, à Versailles, qu’il doit épouser.
Pourtant, il rêve toujours de restaurer la monarchie. Il a l’idée d’assassiner à Paris Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. C’est ce qu’il entreprend avec l’aide notamment de deux anciens chouans, Saint-Réjant, originaire de Lanrelas, et Carbon, un ancien domestique.
Il ne donne pas le signal
Ils décident d’opérer le 3 nivôse an IX, autrement dit le 24 décembre 1800, soir où Bonaparte doit se rendre à l’Opéra. Pour ce faire, ils se procurent jument et charrette, sur laquelle est placée « une futaille (ensemble de barriques, NDR) debout, fortement cerclée de fer et couverte d’une bâche supportée par des cerceaux ». Une fois remplie de poudre, la « machine infernale » est amenée rue Saint-Nicaise, où, en ce soir de réveillon, les cafés et boutiques sont très animés. « Il est maintenant sept heures et demie. Limoëlan et Saint-Réjant se sont séparés ; le premier, posté au coin du Carrousel, doit avertir de l’arrivée du Consul son compagnon qui, sa pipe à la bouche, bien en feu, se charge d’allumer la fusée d’amadou : celle-ci doit brûler durant six à sept secondes (’) », raconte G. Lenôtre.
Saint-Réjant* a donné douze sous à une fillette de 14 ans qui passait par là, pour tenir la jument. Il attend le signal de Limoëlan. Celui-ci a-t-il hésité ? A-t-il changé d’avis ? En tout cas, le signal ne vient pas.
Au moins 8 morts
Le cortège du Premier Consul, lui, passe bien rue Saint-Nicaise à l’heure dite. Saint-Réjant allume la mèche. Trop tard. La voiture de Bonaparte est déjà loin quand l’effroyable explosion survient, déchiquetant tous ceux qui se trouvent à proximité et détruisant une quarantaine de maisons.
On déplore de nombreux blessés et morts, dont la fillette, qui s’appelle Marianne Peusol. La population maudit les auteurs de la machine infernale. C’est le premier attentat à la voiture piégée de l’Histoire. Le nombre de victimes varie selon les sources, mais il est d’au moins 8 morts.
L’opinion, et Bonaparte lui-même, penche pour un complot des Jacobins. La police de Fouché voit plus clair et blâme les royalistes. L’enquête permet d’arrêter Saint-Réjeant et Carbon**. Limoëlan reste introuvable. Dans un premier temps, son oncle jésuite le cache dans les catacombes de l’église Saint-Laurent, où il serait resté quatre mois avant de parvenir à rentrer en Bretagne.
Caché derrière une porte
Il se réfugie alors au château familial de Sévignac. Mathurin Monier raconte qu’il se tient ordinairement « dans une pièce du rez-de-chaussée, pourvue d’un placard profond que ferme une bibliothèque tournante », pour échapper aux policiers qui fouillent régulièrement le château. Mais, au moins une fois, ils ont failli pousser la porte qui les sépare du fugitif. « Mme de Chappedelaine (sœur de Limoëlan, NDR) ouvrant tout à coup une fenêtre s’exclama : ‘Regardez donc, messieurs, le magnifique lever de soleil sur Broons’, en montrant au loin les maisons et le clocher de la ville, écrit Mathurin Monier. Gendarmes et soldats distraits contemplèrent le spectacle à la beauté duquel ils furent peut-être sensibles. En tout cas, la remarque de Mme de Chappedelaine eut le don de rompre le fil de la perquisition (’) ».
Il part aux États-Unis
Peu après, Limoëlan se fait passer pour le domestique de sa sœur et de son mari, en partance pour les États-Unis afin de recevoir, dit-on, un héritage. Une fois sur place, Limoëlan écrit à sa fiancée pour qu’elle le rejoigne. Or, celle-ci a fait vœu d’entrer en religion s’il échappe à l’échafaud et elle vient de prendre le voile ! Limoëlan reste en Amérique, au contraire de sa sœur et son beau-frère, revenus à Sévignac.
Il vit d’abord en peignant des miniatures « car il était doué d’un certain talent », dixit Mathurin Monier. Dans le même temps, il est assailli de remords et hanté par « la machine infernale ». En 1808, il entre au séminaire de Baltimore. Sous le nom de Clorivière, il est ordonné prêtre en 1812.
Trois ans plus tard, à la faveur de la Restauration, il rentre en France pour récupérer sa fortune, « afin d’en rapporter le produit en Amérique et de l’employer tout entier à l’avantage de la religion » ***.
Il devient par la suite le directeur du Couvent de la Visitation à Georgetown, qui a bien besoin de ressources financières. Il est considéré comme son « second fondateur », pour y avoir fait construire à ses frais un pensionnat pour l’éducation de jeunes personnes, une chapelle dédiée au Sacré-Cœur, tout en contribuant à un externat gratuit pour les enfants pauvres.
Il meurt dans ce même monastère en 1826. Dans son testament, il demande aux sœurs de détruire ses cahiers personnels. Car il semble vouloir faire disparaître tout ce qui se rapporte au chevalier de Limoëlan, qu’il n’est plus. Mathurin Monier nous dit que les religieuses n’en ont rien fait.
Le père de Clorivière repose dans la crypte de la chapelle qu’il a fait élever dans cette ville de Georgie. Où son souvenir est encore très présent.
Bernadette RAMEL
* Certains textes disent que c’est Limoëlan qui a fait appel à cette fillette.
** Ils seront exécutés en 1801, après un procès où Limoëlan est décrit comme le chef du complot et condamné à mort par contumace.
*** Note ajoutée aux « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand.
Sources : G. Lenôtre, in « Le Journal de la France » du 19 août 1969 ; Mathurin Monier in « Quinze promenades autour de Dinan » ; Racines en Sévignac (www.racines-en-sevignac.fr). Il existe aussi un livre, « Le Vrai Limoëlan », de Pierre Bastart de Villeneuve, daté de 1984 et qui entend réhabiliter sa mémoire.
Sévignac, 22
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