Entretien avec le réalisateur de Taj Mahal
Nicolas SAADA a accepté de répondre aux questions de l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT.org) afin de raconter dans quelles circonstances son chemin a croisé celui d’une victime du terrorisme…
Avant de rencontrer la vraie Louise, quel regard portiez-vous sur les victimes du terrorisme ?
J’ai été particulièrement marqué par les événements du 11 septembre. À l’époque, j’étais sur le point de devenir père. Je me disais : « Voilà le monde dans lequel ta fille va naître ». D’autres villes ont été frappées dans les années qui ont suivi : Madrid, Londres, Mumbai… J’étais horrifié… Et puis, un jour, j’ai rencontré celle que j’ai renommé Louise pour les besoins du film.
Qu’avez-vous ressenti après avoir entendu l’histoire de Louise ?
J’ai été captivé par ce que j’ai entendu. Je ne parle pas uniquement d’un point de vue narratif mais d’un point de vue humain, tout simplement. Je réalisais que j’avais devant moi une jeune femme qui était une miraculée. Cette personne était passée tout près de la mort, et cet aspect modifiait son rapport au vivant.
Louise a-t-elle exprimé une demande ou un souhait ?
Je crois que « Louise » (ce n’est pas son vrai nom) avait besoin de ressentir le fait qu’elle était non seulement bien vivante mais aussi le témoin d’un événement extraordinaire. J’ai longtemps réfléchi jusqu’à ce que l’évidence s’impose : je devais en faire un film.
Comment Louise a-t-elle pris votre désir de porter à l’écran son histoire personnelle ?
Comme je le disais, il a fallu de mon côté un temps de maturation. Lorsque j’ai évoqué avec Louise mon désir d’écrire un scénario à partir de ce qu’elle avait vécu, il a fallu jouer la transparence. Je ne souhaitais pas écrire un biopic, ni un film d’action. Je tenais à construire un récit intime autour de l’acte barbare qu’est le terrorisme. Louise a décidé de m’accorder sa confiance, à une condition : ne pas être exposée publiquement. C’est la raison pour laquelle la vraie Louise, comme je l’appelle, n’apparaîtra nulle part dans la promotion du film. J’ai un contrat moral avec elle qui vise à la protéger.
Il existe de nombreuses images des attaques de Mumbai : avez-vous utilisé ces archives pour construire le récit ?
J’ai un rapport un peu particulier avec ces images. J’ai visionné tout ce que j’ai pu trouver, y compris les images les plus dures. Cette préparation avait deux objectifs : je voulais être le plus fidèle possible au déroulement de l’attaque menée à l’intérieur de l’hôtel. C’est un premier point. Je voulais également atteindre le stade de l’overdose de ces séquences extrêmement violentes. Ce processus m’a permis de construire ma mise en scène en réaction à ces images dont certaines demeurent insoutenables.
L’histoire a-t-elle été bien reçue du côté des professionnels du cinéma ?
Je dois dire que le film n’a pas été simple à monter mais j’ai eu la chance d’avoir à mes côtés un producteur pugnace, Patrick SOBELMAN. On devait persuader les interlocuteurs que ce film avait une raison d’être. Parfois j’avais l’impression de ne pas être écouté ou mal compris dans cette démarche, surtout avant la rencontre avec Patrick. Cela a été douloureux pour moi et j’ai compris à quel point les victimes du terrorisme devaient être entendues.
Ce que vous dites me renvoie à une scène en apparence anodine mais qui est, selon moi, lourde de sens : celle où la mère de Louise lui chante une berceuse.
À ce moment du récit, la mort se rapproche et semble inéluctable pour Louise. Cette berceuse, en apparence dérisoire, vise à préparer Louise à sa disparition, à son « retrait » du monde.
J’y vois pour ma part une illustration de cette tentation contre laquelle il faut se prémunir : l’infantilisation de la victime.
Je n’y avais pas pensé consciemment mais, en effet, TAJ MAHAL est aussi l’histoire d’une jeune fille qui va devenir femme après cette expérience qui la transforme intérieurement.
Le film comporte par ailleurs des petites touches assez surprenantes, voire décalées.
J’ai tenu à être le plus fidèle aux détails contenus dans le récit de la vraie Louise. Cette dernière était bien en train de visionner le DVD d’Hiroshima, mon Amour, je ne l’ai pas inventé. Lorsqu’un Indien offre spontanément ses babouches à Louise, pieds nus et en état de choc, c’est la même chose. Les détails les plus surprenants appartiennent bien à la réalité. C’est la raison pour laquelle il me semblait inutile de montrer des terroristes hystériques avec des kalachnikovs fumantes. Il suffisait d’immerger le spectateur dans la bulle de terreur dans laquelle Louise était prisonnière.
TAJ MAHAL n’essaie à aucun moment d’expliquer le terrorisme.
Mon ambition, en tant que cinéaste, était de montrer la réalité du terrorisme et de mettre l’art du cinéma au service de l’histoire de Louise. Lorsque notre productrice indienne, Guneet MONGA, a visionné le montage finalisé du film, elle s’est avérée incapable de parler pendant une heure. Plus tard, elle m’a dit que ce film était important pour les victimes du terrorisme, particulièrement dans son pays. C’était le plus beau compliment qu’elle pouvait me faire.
[Le festival de Goa a programmé TAJ MAHAL en séance spéciale, en hommage aux victimes, à la date anniversaire des attentats du 26 novembre, NDR]
Propos recueillis à Paris le 6 novembre 2015 et mis en forme par Stéphane Lacombe pour l’AfVT.org